Au lendemain de la publication des chiffres de la mortalité dans les Ehpad du Grand Est par l'Agence régionale de santé, avec les deux tiers des établissements touchés par le covid19, entre crainte, reconnaissance, fierté, les soignants de Scherwiller, Villé, Molsheim, Thal-Marmoutier racontent.
Ils ont été les premiers confinés. Pas de visite de personnes extérieures depuis le 11 mars sur décision du gouvernement. Malgré cette mesure, les Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) du Grand Est déplorent 570 morts depuis le début de la crise sanitaire. Le chiffre a été dévoilé ce mercredi 1er avril par l'Agence régionale de santé du Grand Est. Jeudi 2 avril dans la soirée, le directeur général de la Santé annonçait lui le chiffre de 884 morts dans les Ehpad au niveau national depuis le début de la pandémie.
Paul Meyer, le directeur de l'Alumnat, l'Ehpad de Scherwiller (Bas-Rhin), que nous avons joint par téléphone ce jeudi matin 2 avril, s'étonne lui-même de sa réaction. "On s'est dit, on n'est pas seul dans cette galère, ce n'est pas que chez nous". Dans cet établissement du centre Alsace, cinq résidents sont décédés sur coronavirus au mois de mars. Alors qu'en temps normal, il y a dix décès en une année. "On entendait partout [les autres Ehpad] : "chez nous, ça va... ", on se demandait. Finalement, c'est un peu partout pareil. On n'a pas mal fait notre travail."Ce chiffre, ça m'a fait du bien !
Le cercueil directement vissé dans la chambre
La résidence de l'Alumnat a une capacité de 46 résidents. Leur moyenne d'âge avoisine les 90 ans. Pour les prendre en charge, une trentaine de personnes : des aides-soignants, des animatrices, des infirmiers et du personnel hôtelier. Et en ce moment, "Quand on a des morts, c'est très difficile." poursuit Paul Meyer. "D'habitude, les pompes funèbres viennent avec un chariot et une housse. Là, elles viennent directement avec le cercueil dans les chambres. Quand vous entendez la visseuse, ça fait bizarre. Et un peu peur."Permettre de dire au-revoir
Si les visites ne sont plus autorisées, les proches de personnes en fin de vie peuvent quand même se rendre auprès de leur parent. Toutes les mesures sont prises (gants, masques), les gestes barrière sont respectés. Ainsi un homme est venu pour voir une dernière fois son père le week-end dernier. "Il lui a dit quelques mots. C'était émouvant. Permettre cet au-revoir, ça nous donne le sentiment du travail accompli" explique le directeur. Et les remerciements des familles pour cet accompagnement ne sont pas rares.Confinés dans leurs chambres
A Scherwiller, chaque résident reste maintenant dans sa chambre. Les portes restent ouvertes pour maintenir un contact avec le couloir, le personnel qui passe. "On est dans un lieu de vie qui s'appelle Ehpad et du jour au lendemain, il faudrait qu'on se comporte comme si on était en milieu sanitaire." explique Paul Meyer. "D'ordinaire, on est dans le bien-être, la proximité, on est proche de nos résidents. Et tout à coup, il faut mettre des barrières ! Ce n'est pas facile."Ce confinement a été mis en place très tôt dans de nombreux établissement alsacien. A l'Ehpad de Thal-Marmoutier comme ailleurs, il n'y a plus de rassemblements de résidents, plus de repas commun ni d'animation depuis trois semaines. La structure n'a pas de victime du coronavirus parmi les 82 résidents. "Comme on était précédemment une structure de soins, on a cette culture du sanitaire" explique Bernard Zapf. Le directeur de l'Ehpad prévient : "notre objectif, c'est d'empêcher que le virus entre dans l'établissement parce que quand il est là, c'est l'hécatombe !"
Une implication du personnel remarquable
Dans le secteur de Molsheim, 208 personnes sont prises en charge dans les Ehpad de Bischoffsheim, Molsheim et à l'hôpital de Molsheim. Dans ces structures, le Covid n'a pas fait de victimes. "C'est aussi grâce à nos équipes" explique le directeur Pascal Dumoulin. "Tout le monde est ultra-vigilant sur les geste barrière, il y a un réel investissement, très peu d'absentéisme. Même les personnels qui sont suspects au Covid, il faut les dissuader de venir travailler" rapporte le responsable.
Les résidents entre compréhension, impatience...
Les résidents eux comprennent. Mais peuvent aussi s'impatienter. Régine Fischer, dont la maman Marguerite est accueillie à l'Ehpad de Wissembourg raconte : "Ma maman me dit : j’en ai marre, qu’est-ce que c’est que ce virus ? C’est triste, on ne voit même plus personne même par la fenêtre." "Les résidents voient les aide-soignants avec des gants, des masques, c’est anxiogène", rapporte Régine Fischer. Cette femme s'investit depuis longtemps dans le soutien aux Ehpad. Et elle s'inquiète : "Est-ce qu’il faut attendre une catastrophe dans les Ehpad pour se rendre compte que ce sont des êtres humains qui y vivent ?" Pour autant, même très âgées, les personnes sont prises en charge médicalement. A l'Ehpad de Scherwiller, un homme de 80 ans qui présentait une détresse respiratoire a été hospitalisé la semaine dernière après un appel au 15.
Inquiets pour l'extérieur
A Villé, l'Ehpad du Giessen accueille 100 résidents. Les mesures de confinement mises en place avant la demande gouvernementale ont permis qu'il n'y ait pas de malade à ce jour (2 avril). Pascale Martin est animatrice sur place. Elle propose aux personnes âgées de joindre leurs proches par Skype. "Mais ce n'est pas simple, les enfants de nos résidents ont souvent dans les 70 ans" sourit l'animatrice. Face à la crise sanitaire, "ceux qui ont toute leur tête sont plus inquiets pour les gens à l'extérieur que pour eux à l'intérieur". "Tant qu'ils ne voient pas [leurs proches], ils ne le croient pas""Je n'aurais jamais crû que mes actions soient un jour destinées à sauver des vies" - Frédéric Bierry, président du Conseil départemental du Bas-Rhin
Dans le département du Bas-Rhin, 86 des 138 EHPAD sont touchés par l'épidémie (126 décès au 2 avril). Alors que des mesures de confinement avaient été prises très tôt, le président du conseil départemental Frédéric Bierry déplore de n'avoir pas eu l'autorisation de développer des tests à destination des personnels et des résidents des EHPAD. "Nous avons un laboratoire dédié qui est en capacité de fabriquer ces tests. Il fallait commander des éléments mais si on avait eu l'autorisation (de l'ARS), on aurait pu éviter ça".Frédéric Bierry craint maintenant que trop de soignants soient contaminés, et qu'il n'y ait plus assez de monde pour assurer les services de réanimation. C'est en ce sens qu'il a adressé un appel au président du Sénat, afin de faire appel à la solidarité des soignants spécialisés des autres territoires en France. Le président du conseil départemental qui est stupéfait face à la situation : "en tant qu'élu, on est au service des gens. Mais je n'aurais jamais crû qu'un jour mes actions soient toutes destinées à sauver des vies".
Dans le département du Bas-Rhin, selon Frédéric Bierry, la situation est, sinon en amélioration, du moins en légère décélération : le nombre d'admissions en réanimation augmente toujours mais moins vite que les autres jours.