Depuis le 6 avril, l'exploitant ardennais est jugé pour l'assassinat d'Anaïs Guillaume, son amante, ainsi que pour "violences ayant entraîné la mort" de son épouse, Céline Gillet. Depuis le début, il nie toute implication dans le décès de ces deux femmes.
"Craint". "Violent". "Agressif". Trois adjectifs qui reviennent comme une rengaine depuis le mardi 6 avril aux assises de la Marne, pour décrire Philippe Gillet. L'exploitant ardennais de 48 ans est à nouveau jugé pour l'assassinat d'Anaïs Guillaume, sa stagiaire qui deviendra son amante, disparue dans la nuit du 16 au 17 avril 2013, ainsi que le décès de sa femme, décédée dans des circonstances troubles le 3 janvier 2012. À l'issue du procès en première instance en avril 2019, il avait été condamné à 22 ans de réclusion criminelle, une peine non prévue par le code pénal, pour le meurtre (et non l'assassinat, la préméditation n'a pas été retenue) d'Anaïs Guillaume. Il était acquitté dans le dossier concernant sa femme.
À la barre de la cour d'assises de Reims, les témoins s'enchaînent et les mêmes mots reviennent, inlassablement. Philippe Gillet est un homme "violent", "qui n'hésite pas à en venir aux mains pour résoudre un problème". La famille Guillaume a porté plainte en 2012 pour des violences commises sur Anaïs. Nicolas H, qui travaillait sur l'exploitation en même temps qu'elle, se souvient d'une scène de violence durant laquelle Philippe Gillet "balance un seau" d'eau sur sa stagiaire.
Il faut dire que l'homme est imposant. Du haut de son mètre quatre-vingt-deux, carrure impressionnante, il témoigne à la barre avec aplomb. "C'est quelqu'un de charisme, qui a joué de cette capacité de faire sa place à coups d'épaules", résume Daniel Zagury, le "psychiatre derrière les plus grandes affaires judiciaires", selon Vanity Fair. L'expert psychologue, lui, évoque "un souci de structure". "Il faut qu'il se fasse respecter", analyse Jean-Luc Ployé.
Un "physique athlétique" et un "niveau intellectuel supérieur"
À la ferme, au village ou en prison, Philippe Gillet sait se faire respecter. Le rapport de détention fait mention d'un homme "au niveau intellectuel supérieur au public habituel" et "au physique athlétique qui ont aidé à son intégration". L'Ardennais comprend très vite l'endroit dans lequel il évolue, s'adapte très bien à son entourage et joue de sa carrure pour imposer le respect. "J'ai une visiteuse en prison qui me dit qu'effectivement, quand on me connaît pas, on peut être impressionné, remarque l'exploitant, en haussant les épaules. Mais je ne l'explique pas." "Le rapport de détention dit que vous êtes craint des autres détenus, que vous avez un fort ascendant. Est-ce que vous confirmez ?", demande la présidente du tribunal, Hélène Langlois. "Vous savez, il est assez rare dans ce type de rapport qu'il soit fait mention de l'ascendance d'un détenu sur d'autres", relève la magistrate. "Si y'a pas de souci, ça me va bien, répond Gillet, les bras croisés. Je suis comme ça quoi..."
Cependant, des soucis, il y en a. En 2018, Philippe Gillet a été condamné à six mois de détention pour des violences sur son co-détenu. Il dit à la barre avoir simplement mis "une patate". "Pouvez-vous décrire l'incapacité totale de travail qui a été donnée à votre co-détenu ?", demande la présidente. Comme à chaque fois qu'il est mis en porte-à-faux, il marmonne. Et comme parfois, il dérape, quitte à déplaire à la cour. "C'est un drogué qui n'a jamais travaillé de sa vie, alors parler d'incapacité de travail…", maugrée-t-il. Sauf que "la patate" a causé des séquelles : fracture de l'incisive supérieure gauche, fracture de l'abdomen pour n'en citer que deux. "Comment jugez-vous votre coup ? Avez-vous frappé fort ou pas ?", s'inquiète la présidente. Gillet marmonne, "dans le feu de l'action".
Condamné pour avoir frappé un co-détenu
Des soucis, il semble aussi en avoir avec le personnel de détention. Plus particulièrement, avec celui appartenant au genre féminin. "Monsieur Gillet adopte un comportement arrogant et agressif face aux rappels à l'ordre de personnel féminin", lit machinalement Hélène Langlois. "C'est une surveillante qui me cherche en permanence, justifie l'accusé. J'ai tendance à me racler la gorge, elle le prend comme un rappel à l'ordre." Un peu plus tard, la présidente évoque également le cas d'une professeur d'anglais, "qui ne se sent pas en sécurité quand elle se retrouve seule avec lui." Là encore, il déclare ne pas comprendre. Silence. Il lève les épaules. "J'étais en avance sur le reste du groupe, elle me donnait du travail particulier." Nouveau silence. A Châlons, le travail lui est interdit par le directeur du centre pénitentiaire, à cause de plaintes du personnel féminin concernant son comportement.
Il n'y a pas qu'avec les femmes de la prison que Philippe Gillet a des rapports difficiles. "On ne quitte pas Philippe Gillet", commente Jean-Luc Ployé. "S'agissant des relations avec la gent féminine; l'accusé tisse une toile autour de sa victime : il lui apporte une aide financière, l'emploie comme stagiaire." Un mécanisme d'emprise, que nombre de témoins, des amis d'Anaïs Guillaume ou d'anciennes compagnes, relatent à la barre. "Il est attiré par des femmes plus jeunes, poursuit l'expert. J'ai situé sa relation avec la gent féminine soit comme une relation de soumission de l'autre à lui, soit qui relève de la performance. C'est moi qui prends et je ne donne pas forcément." Par exemple, peu avant sa détention, il a une relation avec une jeune Ardennaise. Elle veut rompre, mais trouve un mot de menaces sur son pare-brise, avec des détails suffisamment précis et une mention explicite à Philippe Gillet pour craindre des représailles. Le tribunal correctionnel de Charleville-Mézières le condamne pour ces menaces en 2015.
Durant son audition, celui que l'on surnomme "le taureau des Ardennes" se tient droit, les bras croisés. Il prend un ton déterminé, parfois à la limite de l'arrogance. "Il m'a dit qu'il n'était pas respectueux envers les gens, que si on lui demandait de ne pas fumer, il allait fumer, que si on lui demandait de ne pas se garer, il allait se garer, rapporte l'enquêtrice de personnalité. Il avance toujours des arguments et ne s'excuse jamais. Il a toujours raison." Alors, lors de son audition, les questions tournent court. Interrogé à de multiples reprises sur son implication dans la disparition d'Anaïs Guillaume, sur ses sentiments vis-à-vis de la jeune femme, il élude, s'attarde sur des détails. "Lors de votre première déposition, vous avez déclaré qu'Anaïs était votre compagne", pointe la présidente. "Question de sémantique", évacue Gillet.
Une carapace fissurée à deux reprises
Pendant dix jours de procès, Philippe Gillet a pris soin de ne montrer aucune faille. L'expert psychologue Jean-Luc Ployé dit ne déceler "aucune fissure de cette carapace. Il a des poussées narcissiques. Il parle essentiellement de lui-même." A l'exception du jour où sa fille Victoria est apparue le crâne dégarni, stigmate d'une grave maladie. Il s'est effondré dans son box, hurlant "Foutez-moi la paix ! Je prends cinq minutes". Mais après ce coup de colère et quelques larmes, il n'a plus rien laissé transparaître. Jusqu'à ce lundi. Après des heures d'audition, la présidente du tribunal lui demande d'une voix posée : "Et votre mère ? Comment était-elle?" "Elle disait toujours que j'étais le seul qu'elle avait élevé totalement", raconte l'exploitant. La magistrate sent une ouverture. "Vous étiez très attaché à votre domaine ? Non ?". Silence. On entend un reniflement. Gillet fixe le sol, les mains cramponées à la barre. "C'est le grand malheur de ma vie", répond-il dans un hoquet. "Pourquoi monsieur Gillet ?", s'enquiert la magistrate. "On me l'a beaucoup reproché. J'arrivais pas à décrocher, même pour des vacances à la plage... Le boulot, la ferme… c'est une maladie", lâche l'agriculteur.
Car c'est l'une des failles de Philippe Gillet. Outre ses filles, et "plus particulièrement Victoria dont il est très fier", souligne l'enquêtrice de personnalité, l'agriculteur est très fier de son exploitation. "Il parle de lui de façon extrêmement positive, notamment de sa réussite agricole", insiste Jean-Luc Ployé. A tel point que sa défense s'articule en partie sur un argument : "Si je suis ici, c'est par jalousie", relève l'expert. Roselyne H, une compagne rencontrée sur un site internet après le décès de sa femme, s'exprime dans des termes plus élogieux. Un témoignage qui détonne parmi ceux de ses ex-compagnes. Plus âgée que lui et avec un bon niveau d'études, elle dit avoir été séduite par son ambition, ses projets pour la ferme.
Alors, Olivier Menut, qui représente la famille Guillaume, joue la corde sensible. "Vous avez réussi à développer une exploitation agricole, mis en place un élevage de vaches laitières, vous en étiez fier, surement à juste titre, mais ma question, c'est malgré cette réussite, quels sont vos regrets à votre âge ?", demande-t-il. "Je n'étais pas destiné à aller dans l'élevage, je sais pas pourquoi je me suis mis en tête de reprendre l'exploitation de mes parents", répond l'agriculteur. Après un moment d'hésitation, il poursuit : "Vous dire le point de départ... c'est cette putain de ferme, à laquelle je me suis attaché plus que tout et qui m'a fait prendre des décisions…" Il marque une pause. "Je me rappelle de la femme de Nicolas H, (son employé avec qui il a voulu s'associer après le décès de son épouse, ndlr) qui me disait que je n'avais pas pris le temps de vivre. J'y ai repensé plusieurs fois en prison." Et l'éleveur de conclure : "Elle a tout bouffé, et elle me bouffe encore aujourd'hui. C'est une passion dévorante."
Après deux journées d'audition consacrées à l'affaire Anaïs Guillaume, Philippe Gillet devra répondre aux questions de la cour concernant les derniers instants de son épouse ce mardi. Lui jure que Céline Gillet, "la meilleure chose qui lui soit arrivée", est morte écrasée par une vache, mais les experts vétérinaires doutent de cette version. Les jurés rendront leur verdict cette semaine.