Un naturaliste, Patrice Costa, alerte sur la disparition des oiseaux et des insectes de nos campagnes, alors que les grands prédateurs sont protégés. Un déclin de la petite faune locale, à enrayer d'urgence.
Il a constaté de visu "le déclin du vivant dans le monde". Patrice Costa, vice-président de l'Institut européen d'écologie et ancien grand reporter en charge de l'environnement, a beaucoup voyagé et observé la faune de la planète. Et, pour lui, "on se rend compte qu'il y a de gros problèmes."
Nos oiseaux disparaissent, "surtout en milieu rural"
La sonnette d'alarme qu'il tire aujourd'hui ne concerne pas les grands singes, ni les ours polaires. Mais, tout près de nous, notre faune locale qui est en grand danger. Principalement les oiseaux des champs, dont le nombre "est en chute libre". Alors que peu de monde semble s'en émouvoir.
Pour Patrice Costa, "ce qui se passe actuellement" est plus qu'inquiétant : "la petite faune campagnarde, principalement les petits oiseaux, c'est incroyable, la vitesse à laquelle ça f... le camp" déplore-t-il. Et d'évoquer ce terrible et récent silence, que chaque promeneur attentif est capable de remarquer. Car trop souvent, en pleine nature, en ces lieux où l'on entendait chanter des oiseaux ordinaires, banals, comme l'alouette des champs, "maintenant, on n'entend plus rien."
Le même constat est relayé par les photographes et vidéastes animaliers, fins observateurs de la biodiversité locale. Ils sont nombreux à raconter que depuis quelques années, les oiseaux se font de plus en plus rares.
Oiseaux et insectes, pareillement menacés
Selon le naturaliste, l'explication de cette hécatombe est simple : "Le problème, c'est que les insectes ont disparu." Et lui-même n'a aucun mal à lister les responsables: "l'utilisation des pesticides et des produits phytosanitaires et l'agriculture intensive avec les openfields", ces immenses champs d'un seul tenant, en monoculture. Mais il pointe tout autant "l'artificialisation des terres, l'étalement de l'urbanisme et la multiplication des ZAC (zones d'aménagement concerté) en périphérie des villes."
On n'est pas foutus de conserver nos petits oiseaux de la campagne.
"Nous avons la critique facile" pour fustiger des pays d'autres continents qui détruisent la biodiversité, poursuit Patrice Costa. "Mais chez nous, on n'est pas foutus de conserver les petits oiseaux de la campagne."
Et de constater que les mêmes ravages se poursuivent sous la terre : "Si on donne un coup de bêche dans le sol d'un openfield" soumis depuis des années à des traitements chimiques, "et si on y cherche des organismes vivants, on n'en trouve plus." Sans même parler des sols entièrement bétonnés, "sous lesquels il n'y a plus rien".
Seuls les "rats des champs" tirent leur épingle du jeu. Les rongeurs, campagnols, mulots et autres petits mammifères "savent mieux s'adapter" à l'évolution de leur milieu naturel, et retrouver d'une manière ou d'une autre le gîte et le couvert.
Les oiseaux des villes sont plus heureux
Curieusement, les oiseaux et les insectes semblent bien mieux se porter en milieu urbain. Ce phénomène récent s'explique aisément : les lois "sur l'abandon des pesticides et des phytosanitaires" ont eu pour conséquence un nouveau développement des insectes. "On laisse des parcelles avec de la végétation folle, et inévitablement, ça attire à nouveau les insectes et les papillons." Et par ricochet, "les oiseaux qui vont avec."
Les grands prédateurs se portent bien
Autre paradoxe relevé par Patrice Costa : depuis quelques décennies, les grands prédateurs, longtemps menacés, prennent à nouveau leurs aises. Les raisons en sont connues : "la réintroduction ou la recolonisation naturelle." Longtemps "massacrés par les humains parce que considérés comme concurrentiels", ils retrouvent aujourd'hui droit de cité. "C'est le retour du sauvage."
A côté des loups et des lynx, les plus médiatisés, "on constate aussi le retour des grands rapaces qui avaient plus ou moins disparu." Exemples parmi d'autres : le Grand-duc d'Europe, le plus grand des oiseaux de proie nocturnes. Ou le Pygargue à queue blanche, "ou encore le Balbuzard pêcheur, qui avait complètement disparu, alors qu'on en dénombre à nouveau une centaine de couples en France."
C'est le retour du sauvage.
Là aussi, l'explication est aisée : "Ils reviennent, suite au rôle de protection de la loi de 1972 sur les rapaces. Mais aussi grâce à la prise de conscience qu'ils sont utiles aux agriculteurs, puisqu'ils pourchassent les nuisibles."
Ainsi, résume le naturaliste, "l'évolution du sommet de la chaîne alimentaire" est positive. Alors que la faune plus modeste est gravement menacée. Et ce qui le "passionne", c'est "ce type de fossé" entre la destruction de "la biodiversité rurale, quotidienne" et le rebond de "certaines espèces emblématiques".
Comment inverser la tendance ?
L'exemple de la renaissance des prédateurs montre bien qu'avec des lois et des initiatives bien adaptées, rien n'est vraiment inéluctable. En Alsace, l'histoire de la cigogne blanche est également parlante : il ne restait plus que neuf couples au début des années 1970, contre plusieurs centaines actuellement – presque trop. Là aussi, manifestement, toutes les mesures de protection "ont porté leur fruit."
Il faut faire vite, très vite.
Mais pour sauver nos oiseaux des champs et des bois, nos insectes et nos vers de terre, si ordinaires, si modestes et pourtant tellement indispensables, "il faut faire vite, très vite" martèle Patrice Costa. Lui-même se dit effrayé par la rapidité de leur déclin : "Ça me fait peur" avoue-t-il. "Et pour le rattraper, ce sera dur."
Toute initiative, même très locale, est bonne à prendre. Comme revoir notre manière d'aménager nos jardins de campagne, afin de favoriser le retour d'insectes autochtones, selon l'exemple du jardin Hymenoptera créé voici quelques années à Obersteinbach (Bas-Rhin). Mais pour réellement inverser la tendance, il faut une prise de conscience globale. D'urgence.
Car pour Patrice Costa, il n'y pas trente-six solutions : il faut cesser de bétonner et, surtout, "il faut vraiment changer nos paradigmes agricoles" et revenir "à une agriculture plus respectueuse." Un changement de cap à grande échelle qu'il appelle de tous ses vœux. Mais qu'il craint de voir arriver trop tard. Alors que la destruction de la faune locale menace tout l'équilibre naturel dont nous sommes partie prenante. D'où ce cri du naturaliste : "Est-ce que nous prenons vraiment conscience que nous dilapidons ainsi notre assurance vie ?"
Patrice Costa participera ce samedi 29 mai à 12h55 à l'émission spéciale de France 3 Grand Est : "Agir ensemble pour la nature", en direct du parc de Sainte-Croix, ainsi qu'aux "Entretiens de la biodiversité", quatre journées de réflexion autour de la biodiversité, qui se termineront dimanche 30 mai.