La pandémie a accentué les troubles psychiatriques et psychologiques des adolescents. Ils sont plus anxieux et ont plus de pensées suicidaires. Les professionnels du secteur en Alsace témoignent d'un mal-être général et grandissant.
Des mois de confinement, l'école à la maison, les consignes sanitaires en perpétuel changement... Les raisons ne manquent pas pour fragiliser les adolescents durant cette pandémie qui n'en finit pas. C'est le constat fait par des professionnels du secteur psychologique et psychiatrique en Alsace. Les jeunes sont davantage sujets à des pensées suicidaires et des troubles anxieux.
"Ils font plus de crises d'angoisse, ils n'arrivent plus à sortir, ils prennent du poids", explique Rémy Badoc, président de Suicide Ecoute Prévention Intervention auprès des Ados (SEPIA). Il travaille pour cette association basée à Colmar depuis trente ans. Pendant la pandémie, le nombre de demandes n'a pas augmenté mais il remarque une hausse de ce type de pathologies.
Une phobie sociale née des différents confinements
"Depuis le début de la crise sanitaire, je rencontre des adolescents qui ont une phobie sociale. Ils n'arrivent plus à sortir de chez eux. Ils sont incapables de faire des activités banales comme prendre le bus ou aller à la boulangerie", témoigne Mylène Holocher, psychologue à la maison des adolescents à Mulhouse.
"Pendant les confinements, on leur a dit "restez chez vous" et ensuite, se confronter à nouveau au regard des autres ça a été compliqué. L'adolescence est un moment de crise identitaire, où l'individu se construit comme une personne à part entière et le regard des autres a une importance dans ce processus. Avec la pandémie, ce regard extérieur a été rendu inaccessible", ajoute la psychologue.
Pour Emmanuelle Zemb, également de la maison des adolescents à Mulhouse, "les jeunes vont mal car il y a un manque de perspectives à cause de la crise sanitaire. Ils n'arrivent pas à se projeter. Quelque part, cette crise a amputé les moments d'insouciance et de joie. Ils ont toujours cette crainte, quand ils font la fête, de contaminer les aînés."
La maison des adolescents de Strasbourg voit les appels à l'aide augmenter. "Nous avons des moments d'accueil sans rendez-vous, cela représente 30% de l'activité donc on arrive à aider rapidement des jeunes mais en général il faut attendre deux semaines pour obtenir un rendez-vous. Les délais sont rallongés. Ailleurs, ils sont encore plus longs, ça peut aller jusqu'à un mois", rapporte le pédopsychiatre, Vincent Berthou.
Des pensées suicidaires en hausse
Les jeunes qui demandent de l'aide ont parfois des pensées suicidaires. Pour éviter les passages à l'acte, les professionnels doivent faire preuve de vigilance. "On essaye d'abord de repérer ceux qui manifestent certains signes. Par exemple ceux qui se scarifient ou qui ont des conduites à risque comme l'excès d'alcool, on va les prioriser ", détaille Vincent Berthou.
La psychologue Mylène Holocher assure que, "penser à la mort pendant l'adolescence c'est normal, ça fait partie du processus. Mais quand derrière, il y a des idée suicidaires, c'est souvent lié au harcèlement. Le cyberharcèlement a été facilité par la pandémie. En quelque sorte, quand il y avait l'école à la maison, l'Etat disait aux jeunes : "vous pouvez utiliser les réseaux sociaux". À cause de ça, certains jeunes se font harceler sans arrêt pendant des mois. À l'école et puis sur les réseaux sociaux en rentrant chez eux, ça ne s'arrête pas", explique Mylène Holocher, psychologue.
Récemment, le chanteur belge Stromae, a remis au coeur des préoccupation la question du suicide avec son titre "L'enfer", chanté pour la première fois au JT de TF1. Il avoue avoir lui-même eu des pensées suicidaires.
Pour le pédopsychiatre Vincent Berthou, c'est important de parler de ces thématiques pour inciter ceux en détresse à demander de l'aide. La psychologue, Mylène Holocher met quant à elle en garde sur le risque de banalisation de certaines pathologies psychologiques et psychiatriques à travers ces initiatives prises par des célébrités.