Une vie de lutte. A Colmar, Brigitte Jaggy s’occupe de sa fille lourdement handicapée depuis plus de trente ans. Malgré les difficultés du quotidien, elle a pu mener une carrière et s’est toujours investie pour améliorer la vie des personnes handicapées. Fraîchement retraitée, Brigitte reste toujours positive et continue d’œuvrer pour faire bouger les lignes.
"Marcel Nuss m'a dit un jour, le handicap n'est pas une fatalité. Nous avons droit, nous aussi, à une vie aussi normale que possible". Brigitte Jaggy cite souvent son ancien compagnon de lutte, Marcel Nuss, décédé en février dernier. Atteint d'une amyotrophie spinale, en fauteuil, il s'était beaucoup investi pour les conditions de vie des personnes en situation de handicap.
Brigitte, elle, s'est fait le porte-parole des parents d'enfants polyhandicapés. Jusqu'à faire résonner cette lutte, depuis Colmar, dans le cabinet du président de la République. En 2004, dans une lettre, elle explique sa situation et sa détermination à faire une grève de la faim... qu'elle n'aura finalement pas besoin d'entamer, car les fonds nécessaires au maintien à domicile de sa fille, polyhandicapée suite à une méningite contractée à l'âge de trois mois, lui seront octroyés.
Une vie sociale, nécessaire pour tenir le coup
"Avant la loi de 2005 sur l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées, il n'y avait pas grand-chose", nous raconte-t-elle. "J'étais au bord de la faillite personnelle...". Pourtant, Brigitte n'a jamais cessé de travailler. Notamment dans le commerce international, domaine dans lequel elle a passé des diplômes.
Une vie sociale indispensable à son équilibre, sans laquelle elle avoue qu'elle n'aurait pas tenu le coup. Mais son salaire ne suffisait pas pour employer une aide à domicile, suite au départ contraint de Karen d'un institut spécialisé pour rester à la maison. Et puis, elle était mère célibataire. Le couple qu'elle formait avec le père de Karen n'avait pas survécu au handicap.
Parfois, elle l'avoue, la solitude lui pèse. "J'ai été une employée et une mère. Mais j'ai laissé ma vie de femme de côté, car le handicap fait peur aux hommes..." Son grand regret : ne pas avoir pu voir grandir sa deuxième fille, Sarah, comme elle l'aurait voulu. Malgré les photos de famille, sur lesquelles Sarah apparaît tout sourire aux côtés de sa grande soeur en fauteuil, Brigitte sait qu'elle a subi une grande souffrance morale face à cette vie de misères et de luttes.
Résiliente, elle raconte : "Mon père, qui m'a beaucoup soutenue, me disait toujours qu'il faut faire avec ce qu'on a." Alors, les choses ne se sont peut-être pas déroulées comme prévu, mais Brigitte a fait au mieux, en tâchant de rester positive. A l'office de tourisme du pays de Ribeauvillé-Riquewihr, où elle a terminé sa carrière, sa collègue Marie Martin se souvient d'elle comme d'une personne "souriante, toujours de bonne humeur, qui faisait bien son travail. Au début, personne ne savait ce qu'elle vivait chez elle... C'est incroyable de voir le courage qu'elle a".
Sa fille handicapée, un "maître spirituel"
Aujourd'hui, Karen a 34 ans. Elle ne peut rien faire toute seule, ni manger, ni boire, ni marcher. Elle ne communique que par sons, rires ou petits cris. Un langage que sa mère dit comprendre. Ainsi que son aide à domicile, Didier Auzeneau, présent trois fois par semaine grâce à la prestation de compensation du handicap que touche Brigitte. Il s'occupe de Karen et communique avec elle par le biais de stimuli sensoriels, lui touchant délicatement les mains, le visage. Et puis, il adore lui chanter des chansons. "Elle réagit aux émotions, elle aime bien les notes aigües de l'Ave Maria quand je le lui fredonne", nous raconte-t-il.
Au fil des années, Brigitte Jaggy en est arrivée à considérer sa fille "un peu comme un maître spirituel". "Grâce à Karen, j'en ai appris beaucoup sur l'être humain, la tolérance, la différence. J'ai appris qu'il fallait rester humble dans la vie." Mais cette vie intérieure ne lui fait pas oublier son esprit combatif. Elle a des projets, pour l'Alsace. "Notre région est prospère. Je rêve qu'elle devienne pilote dans l'accueil des enfants polyhandicapés". A bon entendeur...