Paraplégique depuis ses 18 ans, Patrick Moyses s'est relevé grâce au sport. Sa médaille d'argent aux Jeux paralympiques de Séoul en natation, en 1988, a changé sa vie. Il a ensuite participé aux Jeux d'Albertville en 1992, en ski de fond, avant de vivre plusieurs éditions comme entraîneur de... handbike. Une aventure extraordinaire.
Entre Patrick Moyses et les Jeux paralympiques, c'est une longue histoire... qui se compte par huit. Huit participations à cette grande fête du sport, excusez du peu ! Séoul, Rio ou encore Tokyo, en tant que sportif ou entraîneur. À Paris, il accompagne la délégation française de paracyclisme, et notamment les deux athlètes qu'il entraîne, Joseph Fritsch et Johan Quaile.
Plus encore que son palmarès personnel, là est sans doute sa grande fierté : pour la troisième fois, le club qu'il a créé en 1991, l'Association Sport Fauteuil Mulhouse, fait coup double. "Ça montre qu'on réalise un travail sérieux. Et ce qui me rend tout particulièrement fier, c'est que nos sportifs ne sont pas des mercenaires qu'on a recrutés, ce sont des jeunes du cru, qui ont grandi dans les environs et qu'on a réussi à amener jusque-là", confie-t-il, ému.
Joseph Fritsch en est le parfait exemple. Le handbiker avait à peine sept ans lorsqu'il a rejoint la structure et son école des sports pour les enfants en situation de handicap. Avec Patrick Moyses, il a grandi, au point de pouvoir légitimement viser une, voire plusieurs médailles aux Jeux paralympiques 2024, à 26 ans.
"Pour nous, c'est génial. Tous les gamins connaissent et suivent Joseph, ils auront envie de faire comme lui", sourit le président de l'association.
Le sport pour surmonter le handicap et retrouver une place
Une formidable source d'inspiration pour faire germer des ambitions. C'est tout le but de l'ASF Mulhouse : faire découvrir le sport à des jeunes d’ordinaire exclus de la pratique sportive et leur ouvrir des perspectives : "Pour les parents, avoir un enfant handicapé, c’est souvent terrible. Mais nous, on veut leur montrer que quelque chose peut devenir possible", poursuit Patrick Moyses.
Et il sait mieux que personne de quoi il parle. Lui dont le destin a basculé une nuit de janvier 1980. Une agression, masquée en suicide - "c'était terrible, à l'époque le suicide était très mal vu, ça a été très difficile pour ma maman, on a eu plus tard les preuves que j'ai été tabassé mais on n'a jamais su ce qui s'est passé" - l'a laissé paraplégique. Il avait alors 18 ans. Et c'est grâce au sport, qu'il a pratiqué intensément au centre de rééducation de Mulhouse où il a séjourné six mois, qu'il a retrouvé espoir.
Très vite, le sport est devenu un moyen de m'en sortir, une façon de redonner un sens à ma vie et de retrouver une place dans la société.
Patrick MoysesMédaillé d'argent aux Jeux paralympiques en 1988
"Je faisais de la natation le matin et du basket fauteuil l'après-midi. Pierre Randaxhe, mon professeur de natation, était aussi directeur technique de la Fédération. Il m'a dit que j'avais du potentiel, c'est comme ça que tout a commencé. Très vite, le sport est devenu un moyen de m'en sortir, une façon de redonner un sens à ma vie et de retrouver une place dans la société, car quand on est handicapé, c'est compliqué. J'avais peur de ne pas trouver de femme, de ne jamais avoir d'enfant... Grâce au sport, j'ai retrouvé confiance", assure-t-il.
Une médaille d'or aux Jeux pour lancer sa carrière et inspirer
Huit ans plus tard à peine, en 1988, Patrick Moyses remportait une médaille d'argent aux Jeux paralympiques de Séoul (Corée du Sud). "J'ai d'abord beaucoup pleuré car je voulais l'or, mais finalement, cette médaille a tout changé, mesure-t-il des années après. Elle m'a prouvé que tout est faisable. Et sportivement, elle a été le détonateur de ma carrière".
Une carrière extraordinaire. Après la natation, le ski de fond... Et dans cette autre discipline également, il s'est qualifié pour les Jeux paralympiques, à Albertville, en hiver 1992. Avant de performer en athlétisme, puis en cyclisme. Couché dans son vélo propulsé à la force des bras, il a décroché un titre de champion du monde. Rien que ça !
Au point d'oser aujourd'hui dire l'indicible. Oui, son handicap a bouleversé sa vie, mais en mieux. Il est bien sûr devenu un modèle pour des générations, à commencer par Joseph Fritsch, son élève, encore sous le charme. "Il m'a offert son maillot de champion du monde de handbike quand j'avais sept ans, à partir de là, j'ai eu envie de faire comme lui, raconte le jeune homme. Grâce à lui, j'ai pu découvrir une multitude de sports, le ski, le ski nautique avant de choisir le handbike. Aujourd'hui encore, c'est mon mentor, il me donne de précieux conseils."
Une "meilleure personne" grâce à son accident
Mais Patrick Moyses a surtout le sentiment d'être une "meilleure personne" grâce à son accident. Il lui a appris l'humilité, l'esprit d'équipe, l'importance de l'entraide. D'adolescent centré sur lui, le Haut-rhinois est devenu un homme tourné vers les autres. Les autres, c'est même devenu sa priorité. Sa mission.
À 63 ans, il est impliqué depuis des années dans de nombreuses associations. Son nom a du poids. Il est sollicité, écouté, respecté. Un engagement pour lequel il s'est vu remettre les insignes de chevalier dans l’ordre national du Mérite, en 2019.
Avec le Rotary Club Mulhouse Europe, il a offert un chien de compagnie à une maison de retraite ou encore fait fabriquer un vélo sur mesure à l'étranger pour une enfant handicapée. Il collecte également des fauteuils roulants avec ses copains de l'association En avant roule, qui les envoie à Saint-Louis, au Sénégal, et finance des opérations pour soigner des pieds bots. Entre autres...
J'ai rencontré des gens incroyables, j'ai voyagé dans le monde entier, je n'étais absolument pas destiné à cela.
Patrick MoysesMédaillé d'argent aux Jeux paralympiques en 1988
"Quand on me demande, je dis oui, je ne réfléchis pas. J'essaye de rendre ce qu'on m'a donné, explique-t-il. J'ai rencontré des gens incroyables, j'ai voyagé dans le monde entier, je n'étais absolument pas destiné à cela. Je n'étais jamais sorti beaucoup plus loin que mon village avant."
Un parcours qu'il raconte dans son autobiographie, Micheline, tu as changé ma vie. Clin d'œil ironique à ces voies de chemin de fer sur lesquelles ses agresseurs l'ont déposé en 1980, comme s'il avait voulu se jeter sous un train. "Je me suis battu pour montrer que j'avais envie de vivre. Tout ça a finalement apporté du bon, relativise-t-il. Depuis plus de 40 ans, je ne fais que ce que j'aime. Je suis heureux de pouvoir dire que je peux me regarder dans le miroir".
D'être un homme bien, en somme. Galvanisé par une médaille paralympique, qu'il souhaite très fort à ses successeurs. Parce qu'il connaît trop bien son poids, les vocations qu'elle inspire et les plaies qu'elle aide à cicatriser.