A Hunspach (Bas-Rhin), une boutique de seconde main a ouvert, voici trois ans, au profit d'un orphelinat de Madagascar. C'est un endroit où il fait bon venir discuter, ou boire un café.
Hunspach compte parmi les plus beaux villages d'Alsace, et de France, avec ses maisons à colombages toutes blanches, y compris les volets. Mais c'est aussi une commune où la solidarité n'est pas un terme vain.
Un peu à l'écart, au bout d'une rue, un lieu insolite jouxte un pré. Un petit bâtiment vitré, à l'allure d'ancienne échoppe, attenant à une maison alsacienne aujourd'hui fermée. C'est ici que, durant des décennies et jusqu'à l'orée des années 2000, une dame du village, "Heimlichs Mame" (Maman Heimlich), a tenu une quincaillerie.
Après une bonne décennie d'abandon, voici que, depuis trois ans, cette boutique a repris vie. Pour le plaisir de nombreux habitants qui reviennent pousser la porte, un peu émus. Mais désormais, en lieu et place des vis, clous et autres objets de bricolage d'antan, on y trouve… de tout, ou presque.
Une vraie caverne d'Ali Baba
Dès l'entrée, les visiteurs sont accueillis par un coin canapé, une pile de jeux de société et de jouets d'enfants. A l'arrière, un meuble couvert de vaisselle. A droite, des étagères de vêtements, des bijoux, et d'innombrables objets de décoration. Un joyeux bric-à-brac, qui donne envie de fouiller, et de prendre son temps.
"C'est un endroit rempli de trésors, un endroit magnifique, s'exclame une habituée, originaire de Metz. Chaque fois que je viens garder mon petit-fils en Alsace, c'est un passage obligé. On trouve tellement de choses, comme je suis adepte de produits de seconde main, je suis ravie. Et puis, il y a toujours une petite corbeille à la sortie, avec des jouets gratuits dans un panier. On adore."
Un peu plus loin, une autre cliente examine une rangée de pulls. "Généralement, je viens avec les enfants, pour les bijoux, les jeux de société, détaille-t-elle. Parfois, je trouve aussi des vêtements qui m'intéressent. J'aime venir ici."
Devant une antique coiffeuse à miroir, une petite fille essaie des broches, tandis qu'une jeune fille s'extasie devant ses trouvailles : "des casse-têtes, des peluches, deux livres et un livre de chatons."
Les gens donnent et achètent
De nombreuses personnes arrivent dans la boutique, les mains pleines. Comme cette dame, chargée de grosses boîtes de puzzles et d'un sac de vêtements. "C'est pour aider, mais c'est aussi pratique pour nous, assure-t-elle. Je passe de temps en temps. Quand l'hiver est fini, on peut changer de vêtements. Et puis, les enfants grandissent, donc j'apporte aussi des jeux, pour éviter que ça traîne à la maison, alors qu'ici, ça peut servir à d'autres. C'est super."
Elle en profite pour faire le tour des rayons, et déniche une peluche et quelques bricoles. "Je repars toujours avec quelque chose" sourit-elle.
Une autre dame débarque elle aussi avec un gros sac plein d'habits. "J'ai des amis qui savent qu'ici à Hunspach, on pratique l'entraide, explique-t-elle. Donc ils me confient des choses que j'apporte ici."
A côté de la caisse, bénévoles et clientes papotent. "Je viens souvent, on trouve toujours plein de choses, et il y a des gens avec qui discuter, c'est cool" reconnaît une jeune fille. C'est un endroit où on peut parler, échanger (…) En passant, dès que je vois qu'il y a quelqu'un, j'entre."
Un projet élaboré peu à peu
Quand Doris Jacky, présidente de l'association Avotra Alsace, a créé cette boutique solidaire voici trois ans, sur une idée de son amie Fabiola, elle avait effectivement voulu lui donner un aspect chaleureux, "plus maison que magasin fonctionnel". Mais n'avait absolument pas prévu ce rôle de "place du village" que le lieu allait rapidement jouer. Pour des clients du secteur, comme les randonneurs ou les touristes de passage.
Pour Doris Jacky, l'objectif premier était, et reste, de venir en aide à 150 enfants de l'orphelinat Avotra situé près d'Antananarivo, la capitale malgache. Elle-même s'était rendue il y a sept ans dans ce pays, qui compte parmi les dix les plus pauvres du monde, et ce voyage a changé sa vie.
"J'ai vu des gens qui n'ont absolument rien, raconte-t-elle. Et j'ai pris conscience de tout ce que nous possédons ici. Donc, en rentrant, je n'ai pas pu faire comme si de rien n'était. Ça m'a mise en mouvement."
Elle a commencé à "faire de petites choses" pour récolter des fonds. Participé à des marchés de Noël, des marchés aux puces et des bourses aux vêtements, avec ce que des amis et des connaissances lui donnaient.
Une amie de Wissembourg s'est mise à collecter des objets et à les vendre pour elle sur le Bon coin. Doris a aussi "beaucoup communiqué, et de plus en plus de gens s'y sont intéressés, et ont eu envie de faire quelque chose."
Puis, comme durant la crise sanitaire, il n'y a plus eu de marchés aux puces, l'idée a fait son chemin de créer un magasin. L'association est née, et la mairie lui a mis à disposition cette ancienne quincaillerie, à titre provisoire. "Et peu à peu, ça s'est organisé, sans que j'aie jamais vraiment projeté de le faire" reconnaît Doris Jacky.
Aider dans plein de domaines
Rien qu'en 2023, les ventes réalisées dans la boutique solidaire, et complétées par des dons, ont permis d'envoyer plus de 20 000 euros à l'orphelinat. Pour Doris, cet argent doit aider les enfants de plusieurs manières. "Le premier objectif est qu'ils puissent manger à leur faim, explique-t-elle. Il est important qu'ils puissent avoir quelques fruits, et parfois un peu de viande ou de poisson."
Les dons de l'association servent aussi à payer leurs frais de scolarité, et de santé. "Et puis, les bâtiments doivent être entretenus. On réfléchit toujours à utiliser l'argent le mieux possible" assure Doris Jacky, qui reste en contact téléphonique permanent avec l'équipe de l'orphelinat, et à l'écoute de besoins spécifiques.
Ces échanges sont enrichissants pour les deux parties. "Tout ce qu'on peut faire pour améliorer leur vie est une grande joie, assure-t-elle. Ça donne du sens à ma vie, et à l'action de tous les bénévoles qui travaillent ici."
Des bénévoles très impliqués
Les bénévoles sont une vingtaine, dont une douzaine présente une à plusieurs fois par semaine. Elles sont à deux aux horaires d'ouverture de la boutique, pour accueillir les clients et réceptionner les dons.
Mais une très grosse part du travail s'effectue en coulisses. Car il s'agit de trier et répartir les nouvelles choses qui arrivent et, si besoin, de les remettre en état. A l'arrière du magasin, trois pièces minuscules, très encombrées, permettent un minimum de stock. Dans une autre salle du village, de nombreux cartons sont entreposés, mais ce n'est qu'une solution transitoire.
Sur une petite table, deux bénévoles, deux Sonia, déballent des cabas qu'elles viennent de réceptionner. Elles examinent chaque vêtement de près, car il n'est pas question de mettre en rayon un vêtement avec un trou, ou un défaut. "Et si c'est chiffonné, les clients ne voudront pas l'acheter, précise Sonia Eschenmann, en désignant une jolie robe, très fripée. Mais ce n'est pas grave. Je vais l'emporter chez moi, la laver, la repasser, pour la rapporter après." Des efforts qui en valent la peine. "Certains clients nous apportent beaucoup de belles choses. On a parfois de superbes robes, et certains sont très contents de pouvoir trouver ici des vêtements pas chers, et beaux."
Le grand souci est le manque d'espaces de stockage. "Les gens sont contents de vider leurs armoires, mais on n'a pas beaucoup de place", regrette-t-elle. "Dès le début, on était très étonnés par la quantité de dons, renchérit sa collègue, Sonia Vallée. Et là, on est de plus en plus connus, Les gens viennent de plus en plus, nous apporter plein de choses."
Un lieu où l'on se sent bien
Cet élan de solidarité où chacun trouve son compte, Emma Jacky, la fille de Doris, l'apprécie à sa juste valeur. Dès que la jeune femme, qui vit aujourd'hui à Strasbourg, retourne dans son village, elle passe par la boutique. Qu'elle apprécie tant pour l'ambiance que pour son objectif.
Car Emma s'est elle aussi rendue à Madagascar, l'an dernier. "Un seul euro vaut beaucoup plus là-bas, explique-t-elle. C'est peu pour nous, et tant pour eux (…) C'est chouette, avec ce magasin, on peut acheter, se faire plaisir. Et ça aide tellement."
Lorsque la météo le permet, selon leur disponibilité, les bénévoles installent aussi une table à l'extérieur, où les clients peuvent rester boire un café, et manger un bout de gâteau préparé par l'un ou l'autre.
Il y a trois ans, "beaucoup de gens nous ont dit : 'C'est totalement fou, vos idées loufoques, ça ne marchera jamais !', se souvient Doris Jacky. En ajoutant, tout sourire : Je suis moi-même étonnée de ce qui en a résulté. Je ne l'aurais jamais imaginé."
La boutique solidaire est ouverte le mercredi matin de 9h à 12h, ainsi que le jeudi, le samedi et le dimanche après-midi de 14h à 18h.