Le nouveau gouvernement allemand a annoncé fin novembre 2021 vouloir légaliser le cannabis dans le pays. Pour les professionnels du CBD en Alsace, cette mesure pourrait avoir des conséquences sur leur activité, mais aussi donner des idées aux responsables politiques français.
En Allemagne, la nouvelle coalition feu tricolore (SPD, Verts, Libéraux) compte légaliser le cannabis dans les prochains mois. Dans le pays, le cannabis à usage thérapeutique est légal depuis 2017. La future loi prévoit une vente encadrée, dans des magasins agréés, et seulement destinée aux adultes.
En France, depuis 2020, plusieurs boutiques proposent à la vente du cannabidiol, ou CBD, c'est-à-dire une des molécules présentes dans le cannabis. Il est à distinguer du tétrahydrocannabinol (THC), la molécule qui provoque des effets psychotropes et qui se consomme sous forme d'un joint. Le cannabis à dominante CBD peut être consommé de plusieurs manières (huiles, vaporisation, capsules...) et est utilisé pour limiter le stress, ou encore des sentiments d'anxiété. Pour pouvoir être commercialisé, le CBD ne doit pas avoir une teneur supérieure à 0,2% de THC.
Pour les professionnels qui vendent ces produits à base de CBD en Alsace, le projet allemand doit inspirer son voisin français : "Ça peut être un moteur pour que la France franchisse le pas. On est entouré de pays qui assouplissent leurs lois. Et ça va devenir compliqué de surveiller toutes les frontières, il y a un tel flux entre l'Allemagne et l'Alsace...", estime Ben Fangio, co-gérant de la boutique CBD'eau, située rue des Frères, à Strasbourg.
C'est une bonne chose que l'Allemagne prenne cette décision. Ça peut ouvrir les yeux à la France.
Solène KoelleResponsable du Lab du Bonheur, à Strasbourg
Un constat que partage Solène Koelle, responsable du Lab du Bonheur, dans la capitale alsacienne : "C'est une bonne chose que l'Allemagne prenne cette décision. Ça peut ouvrir les yeux à la France, pour voir comment se passe la légalisation dans un pays voisin. Nous sommes le pays qui consomme le plus en Europe, mais également un des plus répressifs en la matière", regrette-t-elle.
En effet, d'après l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, 44,8% des Français de 15 à 64 ans ont déjà consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie. En Allemagne, ce chiffre tombe à 28,2 %. Pourtant, la France n'autorise toujours pas la commercialisation du cannabis, que ce soit à usage médical ou récréatif.
Deux activités bien différentes
Solène Koelle ajoute qu'une légalisation du cannabis en Allemagne peut influer sur son commerce : "Dans un premier temps, on risque d'avoir moins de clients, car certains seront tentés de traverser la frontière. Mais on a aussi beaucoup de clients qui ne veulent pas du tout de THC, et qui consomment du CBD pour soulager leur stress ou des douleurs". Le cannabis à dominante CBD n'est donc pas vu comme une alternative légale à celui à dominante THC, et est bien différencié de la molécule aux effets psychotropes.
Un avis que partage Ben Fangio : "Ce n'est pas du tout la même activité. Avec le CBD, on met en avant le côté détente et relaxation. Ce n'est pas avec ça qu'on est défoncé! Trois quarts de clients ne veulent que du CBD, les gens ne supportent plus le fait d'être stone, et veulent garder ce côté convivial."
Jean-Sébastien Delattre est le gérant de la boutique de produits à base de CBD High Society, à Colmar. Il estime que les consommateurs tenteront dans un premier temps de s'approvisionner outre-Rhin : "Cette légalisation risque de nous mettre un petit coup au départ. Certains clients pourraient être tentés par le cannabis et traverser la frontière, mais ils faut qu'ils sachent que le CBD, contrairement au THC, il permet de garder son permis de conduire! Mais je pense que les douanes seront renforcées, et qu'on ne pourra pas acheter de l'herbe comme on veut."
Comme ses confrères, le gérant colmarien estime que la France doit prendre exemple sur l'Allemagne : "Ce qui va se passer là-bas, ça va permettre de faire plus d'études sur les effets de la légalisation dans un pays. L'Allemagne serait comme une sorte de laboratoire pour nous. Mais je sens qu'on va dans le bon sens, ça me rassure."
On ne lâchera jamais les molécules bien-être, car aujourd'hui, on a une clientèle convaincue et qui en ressent les effets pour soulager les douleurs d'un cancer ou d'une sclérose en plaque. On ne peut pas leur dire "Bon, on arrête, on ne fait que du récréatif".
Ben FangioCo-gérant de la boutique CBD'Eau, à Strasbourg
Pour Ben Fangio, pouvoir vendre légalement du cannabis à dominante CBD est déjà une victoire : "On est déjà heureux de vendre des cannabinoïdes ! Et je suis persuadé que le cannabis récréatif va arriver en France. Mais on ne lâchera jamais les molécules bien-être, car aujourd'hui, on a une clientèle convaincue et qui en ressent les effets pour soulager les douleurs d'un cancer ou d'une sclérose en plaque. On ne peut pas leur dire 'Bon, on arrête, on ne fait que du récréatif'."
En France, une expérimentation à grande échelle du cannabis médical a commencé en mars 2021. L'expérience, qui doit durer deux ans, a inclus son millième patient en novembre 2021.