Les cercles de silence, la protestation sans parole pour réveiller les consciences face au traitement réservé aux étrangers

Les cercles de silence existent depuis bientôt quinze ans, en Alsace comme ailleurs en France. Une fois par mois, leurs membres manifestent debout, sans parler ni bouger, une heure durant. Pour protester contre les traitements souvent inhumains que subissent de nombreux étrangers, en France comme en Europe.

Se lever, face à l'injustice et aux traitements dégradants dont les étrangers sont trop souvent victimes. Rester debout, pour signifier son refus de se soumettre à un climat de discrimination. Le faire savoir, en protestant silencieusement. Mais alerter l'opinion et lutter contre les idées fausses à l'aide de pancartes et de tracts. Tel est le sens des cercles de silence.  

Le premier cercle est né en 2007 à Toulouse, lancé par un moine franciscain, Alain Richard. L'objectif était de s'opposer ainsi à l'enfermement systématique des étrangers sans papiers dans des CRA (centres de rétention administrative) avant leur expulsion.  

Rapidement, les cercles se sont étendus à toute la France, relayés par des associations comme la Cimade ou le Réseau éducation sans frontières. En Alsace, une dizaine de villes (Mulhouse, Guebwiller, Colmar, Sélestat, Duttlenheim, Strasbourg, Haguenau, Saverne, Wissembourg) y ont adhéré, dont certaines dès 2008.

Une protestation non-violente à haute portée symbolique

Les membres des cercles de silence sont issus de divers courants de pensée politique, philosophique ou religieuse. Ce qui les réunit, c'est leur indignation face au traitement que bon nombre de pays européens, dont la France, réservent aux étrangers sur leur sol, ou avant même qu'ils ne l'atteignent.  

Ils ne défilent pas avec des pancartes, ne crient pas des slogans. Ils manifestent immobiles et muets. Mais de manière régulière, répétée. A Mulhouse, Saverne, Haguenau, Strasbourg et ailleurs, ils se retrouvent chaque mois. Le plus souvent, le 30 à 18h, ou encore un samedi après-midi. Toujours sur une place passante, pour être vus par le plus grand nombre.     

Que faisons-nous avec ces gens qu'on nomme "étrangers" ? Comment les accueillons-nous ?

Marcel Zimmermann, cercle de silence de Haguenau

Au fil des ans, beaucoup de membres se sont découragés, et certains cercles ont été mis en veilleuse. Mais la plupart continuent vaille que vaille. Même en plein hiver, même sous la pluie ou la canicule, même s'il n'y a que peu de participants.  

Car des raisons de s'indigner, ils en trouvent toujours plus. "On pensait que la situation allait s'améliorer" résume, pessimiste, Raymond Kriegel, un octogénaire fidèle parmi les fidèles du cercle de silence de Strasbourg. "Mais pour les étrangers, ça ne fait que devenir de plus en plus dur."

Le cercle de Haguenau

Depuis treize ans, le cercle de silence de la cité Barberousse se tient chaque 30 du mois place de la République. L'horaire de début a été avancé à 17 heures, "pour qu'on soit en place quand passent les jeunes des lycées" explique son organisateur, Marcel Zimmermann. Car ici comme ailleurs, le but est d'interpeller, et de secouer les consciences.  

"Que faisons-nous avec ces gens qu'on nomme "étrangers" ? Ces gens qu'on nomme "réfugiés" ? Comment les accueillons-nous ?" demande Marcel Zimmermann en allumant une lampe-tempête. Il explique : "Cette lumière est un rappel de tous les morts en Méditerranée et dans la Manche, aux frontières de l'Europe."

Le petit cercle se constitue autour de la lampe, posée au sol. Les participants s'attachent des pancartes sur le dos, bien lisibles par ceux qui traversent la place.  

Les textes, manuscrits, sont explicites : "Apprendre à vivre ensemble comme des frères pour ne pas mourir ensemble comme des idiots (Martin Luther King)" – " Notre silence est un cri d'indignation, d'appel" , ou encore : "En solidarité, rejoignez-nous quelques minutes."  

Parler et discourir n'est pas toujours suivi d'effet. Se taire peut être une arme spirituelle.

Anny Haas, cercle de silence de Haguenau

Alentour, un manège et des illuminations jettent un éclairage festif sur le petit groupe. Un contraste que Marcel Zimmermann jauge d'un œil critique : "A Noël, ça n'a pas de sens d'organiser de grandes crèches vivantes, si elles ne nous rappellent pas le chapitre 25 de l'évangile de Matthieu : 'J'étais un étranger, et vous m'avez accueilli' " assène-t-il.

Un carillon de clochette, et le cercle de silence est officiellement ouvert pour une heure. "Pourquoi le silence ?" Anny Haas, qui vient depuis le début, donne l'explication : "Parler et discourir n'est pas toujours suivi d'effet. Mais se taire peut être une arme spirituelle."

Le cercle de Strasbourg

Né la même année 2008, le cercle de Strasbourg se réunit place Kléber, chaque 30 du mois à 18 heures. Ici, c'est un coup de gong qui en annonce le démarrage. Mais auparavant, Charles Boubel, l'un de ses organisateurs, égrène à voix haute la terrible liste des tragédies du mois écoulé. 

"Le suicide (à Bordeaux) d'un homme originaire du Kosovo, à qui son titre de séjour avait été retiré."  - "Le 18 décembre, un corps sans vie retrouvé sur une plage, près de Calais" – "Le 20 décembre, un adolescent soudanais de 16 ans mort écrasé, tombé d'un camion" – " A Rennes, le père d'un nouveau-né français expulsé par surprise par le préfet" - "27 personnes mortes en mer Egée dans deux naufrages juste avant Noël"…  

En acceptant de traiter des gens comme ça, on se détruit nous-mêmes. On détruit notre humanité.  

Charles Boubel, cercle de silence de Strasbourg

Pour la tenue des cercles, pas de directive nationale. Chaque groupe local choisit un ou plusieurs thèmes mensuels qu'il souhaite mettre en avant. "Nous faisons presque un travail de vulgarisation populaire" estime un membre du cercle de Strasbourg.

Car ces annonces, ainsi que les panneaux et les tracts, servent surtout à rappeler aux passants des réalités méconnues : "que les demandeurs d'asile n'ont pas le droit de travailler." - "Que certains CRA sont des clusters, car on y enferme des personnes non vaccinées."

"Que dans la majorité des préfectures, les rendez-vous, trop peu nombreux, se font uniquement par internet. Ce qui empêche des étrangers de bonne volonté de renouveler leurs papiers dans les temps, et ainsi, 'fabrique des clandestins' "…

"Les gens ne se rendent pas compte de ce que c'est, être un étranger aujourd'hui en France" martèle Charles Boubel.  "Il y a quantité de fantasmes qui circulent. Arrêtons, on n'est pas envahis. 'S'sin au Litt' (ce sont juste des gens.) Mais en acceptant de les traiter comme ça, on se détruit aussi nous-mêmes. On n'est plus des êtres humains quand on accepte de traiter des gens comme des chiens."

Arrêtons, on n'est pas envahis ! S'sin au Litt, ce sont juste des gens.

Charles Boubel, cercle de silence de Strasbourg

"Il y a, ici, des gens qui n'ont aucune place dans notre monde. C'est effrayant" s'inquiète Sylvie Zorn, autre membre du cercle strasbourgeois.  

"Ces étrangers viennent chez nous car ils cherchent une vie meilleure" estime Marie-Madeleine Ott, une octogénaire fidèle parmi les fidèles. " Sinon, ils resteraient chez eux. Ma mère disait toujours : ces gens ne viennent pas par plaisir. Et ça m'est resté."

Et rien que pour cette raison, elle est là tous les mois. Malgré le vent, malgré le froid, et la fatigue de la position debout. Car pour elle, comparé à ce que vivent de nombreux étrangers, "une heure, ce n'est vraiment pas grand-chose."  

A certains moments de découragement, le groupe de Strasbourg s'était demandé s'il ne fallait pas réduire la durée du cercle à une demi-heure. Mais à chaque fois, les participants ont refusé : "Non, il faut que ce soit un peu coûteux pour nous aussi. Sinon ce n'est pas significatif."

Le cercle de Saverne

Dans la cité des Rohan, le cercle de silence se tient depuis dix ans, place du général de Gaulle, le 30 du mois à 18 heures. Avec une bonne douzaine d'irréductibles. "On proteste en silence, on ne fait pas de grabuge, mais on est là" explique sobrement Etienne Burger, le référent local.  

Lui-même est particulièrement révolté par la cause des sans-papiers : "Je ne supporte pas qu'on maltraite les gens qui ont des papiers dépassés ou non valables, comme si c'étaient des gangsters ou des malfaiteurs. Et je ne supporte pas que cela soit fait en notre nom, au nom de la France."  

On ne fait pas de grabuge, mais on est là.

Etienne Burger, cercle de silence de Saverne

Michel Bock, lui, vient pour "manifester contre notre politique d'immigration qu'on mène si mal. Quand on pense que, dans la campagne électorale, ça devient le thème majeur" explose-t-il. "En Allemagne, on a compris que l'immigration est une chance pour le pays. Mais chez nous…"  

A Saverne comme ailleurs, les membres sont bien conscients que leur action n'est qu'une minuscule goutte d'eau dans un océan. Et qu'elle n'a jamais réussi à infléchir une politique gouvernementale, quelle qu'elle soit.  

Mais ils constatent que, chaque mois, dans chaque ville, quelques dizaines de personnes s'arrêtent. Pour lire les panneaux, prendre un tract, ou même se placer dans le cercle durant quelques minutes. "Et mois après mois, ça fait des milliers de personnes" se réjouit Charles Boubel.    

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