Longtemps tabou, le suicide est la troisième cause de mortalité des agriculteurs. Pour mieux en repérer les signes avant-coureurs et soutenir les personnes en situation de mal-être profond, la Mutuelle sociale agricole (MSA) d'Alsace lance un réseau de sentinelles formées dans ce but.
Une très grande amplitude d'horaires de travail, une forte pression économique et financière, des contraintes environnementales et climatiques, à quoi s'ajoute un regard souvent négatif porté par la société. Tous ces facteurs font peser un grand poids sur les épaules des agriculteurs. Un poids parfois si lourd qu'il peut les conduire à la dépression, voire à mettre fin à leurs jours.
Selon une étude de la MSA, la sécurité sociale agricole, le suicide est la troisième cause de décès des agriculteurs. Face à cette terrible réalité, divers réseaux régionaux de la mutuelle ont mis en place depuis quelques années des plans d'action afin de venir en aide aux exploitants en détresse.
En Alsace, le service social de la MSA a lancé en juillet 2020 un service d'écoute téléphonique régional, "pour qu'il y ait une réponse immédiate, physique, et un accompagnement sur le long terme" explique Nathalie Vaudeville, responsable du service social Alsace et du Dispositif mal-être de la MSA.
En parallèle, l'idée est de créer officiellement un réseau de sentinelles : des proches ou des connaissances de l'agriculteur/trice capables de repérer des signes de son mal-être et d'en faire le signalement si la personne n'est plus en mesure de demander de l'aide par elle-même.
Des sentinelles pour repérer, écouter et orienter
En Alsace comme partout, le constat est alarmant : "On a une montée en puissance importante du nombre de personnes en grande difficulté dans le monde agricole, une montée croissante de la précarité, des salariés comme des chefs d'exploitations" rappelle Nathalie Vaudeville. Une situation "extrêmement préoccupante", encore aggravée par la récente inflation, et l'augmentation du coût de l'électricité et des matières premières.
On ne sera jamais assez nombreux pour qu'aucune situation ne passe entre les mailles du filet.
Nathalie VaudevilleResponsable du service social Alsace et du dispositif mal-être de la MSA
C'est pourquoi la MSA Alsace souhaite renforcer son réseau de sentinelles, en le formalisant. "Il y a déjà tout un tas de gens sentinelles sur le terrain, mais ils ne sont pas recensés" explique la responsable du service social. "Le mécanisme existe depuis pas mal de temps. Mais là, l'idée est de créer un listing" et de trouver des bénévoles supplémentaires qui aient envie de renforcer le dispositif.
"On ne sera jamais assez nombreux, pour qu'aucune situation ne passe entre les mailles du filet" précise la travailleuse sociale. "Toute personne qui voudrait être relai est la bienvenue." A condition d'être majeure, et d'avoir d'ores et déjà des contacts avec le monde agricole.
Une journée de formation pour devenir sentinelle
Il y a bien sûr les proches, les voisins, mais aussi tous les membres des divers corps professionnels en lien avec l'exploitation : "le collecteur de lait, le vétérinaire, le membre du cabinet comptable", l'assureur, l'élu…
Une formation d'une journée sera proposée au second semestre 2023 pour donner les outils permettant de repérer les signaux d'alertes d'un mal-être et, le cas échéant, d'un risque de passage à l'acte. "Venir en formation est important" assure Nathalie Vaudeville. Un candidat "peut toujours faire marche-arrière après" s'il ne se sent pas entièrement à l'aise dans ce rôle qui, précision importante, n'entraîne aucune obligation légale ou contractuelle. L'essentiel est que "tout le monde soit suffisamment bien informé pour appeler en cas de besoin."
La Ligne détresse, clé de voûte du dispositif
Chaque sentinelle en contact avec un agriculteur qu'elle estime être en souffrance peut téléphoner à la Ligne détresse, mise en place par la MSA Alsace depuis juillet 2020, et ouverte du lundi au vendredi de 8h à 19h au 06.42.53.60.99. "En créant cette ligne, nous voulions recentrer tous les signalements, et être certains qu'il y aurait toujours quelqu'un au bout du fil", précise Nathalie Vaudeville. "Lorsque des messages sont laissés la nuit ou le week-end, nous rappelons dès que nous reprenons la ligne."
Contrairement à la ligne nationale Agri'écoute, qui fonctionne 7 jours sur 7, mais avec des psychologues non basés en Alsace, la permanence de la Ligne détresse est assurée par des travailleurs sociaux de la région capables d'intervenir immédiatement.
Dans toutes les situations, il y aura une rencontre.
Nathalie VaudevilleResponsable du service social Alsace et du dispositif mal-être de la MSA
La Ligne détresse "reçoit tout un tas de signalements, de la part des familles, ou de professionnels." Car la personne concernée peut être dans le déni, ou se sentir trop mal pour encore trouver la force de demande de l'aide. Mais il arrive aussi que l'appel provienne directement de l'agriculteur/trice, conscient d'avoir urgemment besoin d'un réel soutien.
Peu importe qui est au bout du fil, et quel est le degré d'urgence. Chaque appel est suivi d'une visite sur place. "Dans toutes les situations, il y aura une rencontre" assure Nathalie Vaudeville. Dans l'heure qui suit, si besoin.
On ne se pose plus la question. On prend la voiture et on y va.
Nathalie VaudevilleResponsable du service social Alsace et du dispositif mal-être de la MSA
"On va évaluer au téléphone pour comprendre si c'est gravissime ou pas. Parfois, on programme un rendez-vous dans l'après-midi ou le lendemain matin, avec l'accord de la personne. Mais souvent, on ne se pose plus la question. On prend la voiture et on y va. Dès qu'on pense qu'il y a un risque, on appelle le 15. Et il arrive qu'on soit obligés de procéder à une hospitalisation."
Et dans tous les cas de figure, cette première visite sera suivie de beaucoup d'autres. Histoire de reprendre tous les problèmes les uns après les autres, et de trouver des solutions. "Après, il y a des contacts réguliers. On essaie de travailler les problématiques professionnelles, financières, familiales, en lien avec les travailleurs sociaux. De voir les priorités de la personne. Et, petit à petit, on arrive à maîtriser ses difficultés."
Des résultats encourageants
Depuis sa mise en place, voici trois ans, ce dispositif de réactivité de tous en cas d'urgence, et d'accompagnement sur le long terme, semble avoir fait ses preuves. "On s'est rendu compte après expérience que les gens ont surtout besoin de ne plus être seuls avec leurs difficultés, quelles qu'elles soient" explique Nathalie Vaudeville.
Elle refuse de communiquer des statistiques, mais assure que "parmi les gens accompagnés par cette Ligne détresse, aucun, depuis juillet 2020, n'est passé à l'acte. Et pour nous, c'est la plus belle des victoires."
La Ligne détresse de la MSA est accessible du lundi au vendredi de 8h à 19h au 06.42.53.60.99. En-dehors de ces heures, on peut laisser un message pour être recontacté. Toute personne prête à faire partie du réseau de sentinelles peut se signaler auprès de la MSA.