C'est une tradition qui se perd dans la nuit des temps. A Offwiller (Bas-Rhin), vers la fin février, on lance des disques en bois incandescents dans le ciel nocturne pour chasser l'hiver.
De mémoire d'Offwillerois, le Schieweschlawe ("frapper de tranches - ou de disques") a toujours été pratiqué dans ce village du Nord de l'Alsace. La tradition est même si ancienne que nul ne sait quand elle a vraiment débuté.
"On ignore à quand elle remonte, reconnaît Jean-Marc Schlagdenhauffen, historien amateur et fin connaisseur des us et coutumes ancestrales du secteur. Probablement au haut Moyen-Age, voire à l'ère pré-chrétienne."
Mais la signification de ce lancer de disques de bois incandescents dans la nuit semble moins controversée : de manière assez explicite, il symbolise la course de l'astre solaire, annonçant ainsi la fin des longues nuits d'hiver.
Une tradition toujours vivace
Autrefois, cet usage était certainement beaucoup plus répandu. Aujourd'hui, avec Wintzenheim dans le Kochersberg (Bas-Rhin), ou encore Dieffenthal, Offwiller reste l'un des très rares villages alsaciens où il est resté vivace.
Un jour de fin février, à la nuit tombée, les habitants montent sur le Schiewebärri ("montagne des disques"), une colline boisée qui surplombe le village. Ils emportent des longs bâtons effilés à une extrémité, et une bonne provision de disques en bois percés d'un trou en leur centre (les fameux Schiewe). Au sommet de la montagne, dans une petite clairière donnant sur la vallée, ils préparent un grand feu de joie.
Dès que le feu crépite, chacun pique un disque sur un bâton, et le place dans les flammes jusqu'à ce qu'il rougeoie. Puis, d'un mouvement adroit, il le fait rouler sur l'une des Schiewestein (pierres de grès plates marquées de profondes crevasses) posées dans l'herbe depuis des temps immémoriaux. Mû par la vitesse, le disque incandescent se détache alors du bâton et prend son envol, en formant une traînée de lumière dans l'obscurité.
Cette dextérité se transmet de génération en génération. "Je trouve ça génial, c'est super beau quand le disque est enflammé dans le ciel, et on partage un bon moment avec la famille" s'exclame la jeune Emma. "Ce qui me plaît, c'est de voir le disque faire divers motifs dans les airs" renchérit son amie Inès. "Quand on lance le disque dans la nuit, c'est incroyable" confirme Faustine.
"Dès qu'ils peuvent marcher, à 2 ou 3 ans, les enfants montent sur le Schiewebärri, affirme Muriel Weil, conseillère municipale. C'est dans notre ADN. On voudrait vraiment que ça se perpétue, et que les nouvelles générations continuent à le pratiquer. On souhaiterait aussi l'inscrire au patrimoine mondial de l'Unesco, pour être certains que ça ne disparaîtra jamais."
Des visiteurs toujours plus nombreux
Au Musée des arts et traditions populaires du village, Roland Friedrich fabrique toujours quelques Schiewe à l'ancienne, sans raboteuse ni scie électrique, comme son grand-père et son arrière-grand-père le lui ont appris. "Ils en faisaient toujours pour qu'on en ait suffisamment, on était une grande famille, se souvient-il. Donc, tout naturellement, j'ai continué." Et tant pis si l'arrondi n'est pas parfait. L'habileté du lanceur fera la différence.
Depuis une quinzaine d'années, l'événement attire aussi de plus en plus de curieux. Sur ses machines, le menuisier-ébéniste Laurent Diffiné prépare donc dès le mois de décembre des disques en bois plus standardisés, et en grandes quantités. Le jour J, ils seront vendus aux visiteurs, avec un bâton, à l'entrée du sentier qui monte vers le Schiewebärri.
Cette année, le Schieweschlawe d'Offwiller aura lieu le dimanche 18 février. Attention cependant, car au fil des ans, cette tradition ancestrale devient victime de son succès. Ces dernières années, il y avait tellement de monde que bon nombre de visiteurs n'arrivaient même plus à accéder au grand feu de joie, à l'extrémité du terrain.
En outre, si les Offwillerois de souche savent propulser leurs "Schiewe" au loin, sans aucun problème, ce n'est pas le cas des très nombreux novices. Il n'est donc pas rare de voir des disques brûlants maladroitement envoyés en plein milieu de la foule qui s'agglutine dans la clairière pour assister au spectacle. Sans véritable délimitation pour assurer la sécurité de tous.