Rund Um. Malgré la crise sanitaire, malgré trois interruptions pour cause d'acteurs malades, la troupe de la Choucrouterie garde le cap. Le cabaret satirique strasbourgeois propose sa 37e revue, et offre au public la meilleure des thérapies : le bonheur par le rire.
La Chouc', c'est un lieu pas comme les autres. Un cabaret-théâtre avec deux salles et un restaurant, installé depuis 1982 dans une ancienne usine à… choucroute, évidemment.
La Chouc', c'est une saison entière de théâtre et de musique. Et, surtout, une revue satirique, jouée de novembre jusqu'au printemps. En deux versions, en deux langues. Car la dizaine de comédiens court chaque soir d'une salle à l'autre, d'une scène à l'autre, pour jouer et chanter alternativement en français et en alsacien.
Le bonheur de retrouver le public
Après une 36e revue prête, mais avortée pour cause de restrictions sanitaires, la 37e revue, elle, est bien au rendez-vous. Avec des sketches qui ont eu le temps d'être fignolés. Et une jubilation toute particulière de la troupe d'avoir pu retrouver son public après de longs mois d'abstinence.
"Notre plus grande joie est de pouvoir jouer, et d'avoir le droit de le faire" s'exclame Roger Siffer, fondateur du cabaret-théâtre et coeur du dispositif. En temps ordinaire, se produire chaque semaine, du mercredi au dimanche, semblait à tous une simple évidence. Mais cette année, chaque soir est vécu comme un petit miracle.
"On a dû s'arrêter à trois reprise, car l'un ou l'autre acteur avait attrapé le Covid" explique Roger Siffer. "Donc chaque fois qu'on peut jouer, on se réjouit."
Gags récurrents et humour toujours neuf
En début de spectacle, il reprend toujours sa salutation fétiche : "Bonsoir Mesdames, bonsoir Messieurs. Et le bonsoir aux Lorrains. Ils font aussi partie de l'humanité… malheureusement." (Güete n'Oowe mini Dààme un Herre. Un au de Lothringer a güete n'Oowe. Denn sie kehre au zür Menschheit… leider."
Cette phrase, empruntée à son mentor, le cabarettiste strasbourgeois Germain Muller, créateur dès 1946 du célèbre cabaret strasbourgeois le "Barabli" (parapluie) donne le ton. Toute l'essence de la Chouc est là.
Des gags et quelques personnages récurrents, afin que le public se sente d'emblée en terrain connu. Chez lui. T'heim. Pour pouvoir, ensuite, mieux le chahuter, le bousculer et l'entraîner ailleurs, sur des chemins inédits.
Covid et confinement, thèmes incontournables
Car cette année, bien entendu, un thème nouveau s'est invité : le Covid, et ses diverses facettes. En vrac et dans le désordre : le traumatisme du confinement. Les vidéo-conférences où l'on s'habille à moitié, en gardant le bas de pyjama (nouveau dress code adopté par les acteurs dans la plupart des sketches), et résumé par la formule lapidaire "Owwe huij, unte pfuij !" ("En-haut, ouaouh, en-bas, beurk !").
Et, bien sûr, les masques, déclinés en sketches et en chanson : "Tu ne peux plus fumer en mangeant, plus draguer, plus souffler de bougie, plus avaler de picon, avec le masque."
La société et ses travers
Mais, Covid ou pas, la société reste ce qu'elle est… et surtout, une source inépuisable de moqueries. Les joyeux drilles ne se privent pas du plaisir de passer tout le monde à la moulinette : policiers, paniqués à l'idée de retrouver leur photo sur les réseaux sociaux.
Monde du BTP, qui adapte à sa sauce le concept d'échafaudage social. Ou encore adeptes de viande de cheval, qui se sentent minoritaires et complexés.
A la Chouc, tout est possible. Tout – ou presque – est permis. La centrale de Fessenheim se transforme en musée, non sans certains dégâts collatéraux.
Et le couvent du mont Saint-Odile se cherche une nouvelle vocation : "Odile, petite Odile, ton couvent coûte trop cher. Mais nous avons la solution, nous allons créer un nouveau monde."
Une course entre deux scènes
Les deux revues, la française et l'alsacienne, se jouent à un quart d'heure de décalage. Elles ne sont pas identiques, à chacune sa coloration et sa forme d'humour. Mais les comédiens se soumettent à un aller-retour endiablé entre les deux salles, et entre les deux langues.
"Jongler entre l'alsacien et le français ne me pose aucun problème" résume Bénédicte Keck, la dernière recrue de la troupe. "Je le fais aussi dans ma vie quotidienne. Mais le plaisir n'est pas le même. En alsacien, j'ai le sentiment de pouvoir donner davantage de moi-même."
En alsacien, j'ai le sentiment de pouvoir donner davantage de moi-même.
Bénédicte Keck, comédienne
Outre le changement de langue et de registre, il s'agit aussi, avant chaque prestation, de changer de costume. Ce qui, dans la hâte, risque parfois de mener à des situations périlleuses.
"Il y a peu, en revenant dans la loge, j'ai vu Jean-Pierre (Schlaag) déjà habillé pour un sketch que je joue avec lui" raconte Arthur Gander, autre membre de la troupe. "J'ai donc enfilé mon costume correspondant. En oubliant complètement que j'avais encore autre chose à jouer entretemps. Je m'en suis souvenu in extremis. Le stress. J'ai vite pu me rechanger, courir sur scène et enchaîner."
Les politiques dans le viseur
Tradition oblige, comme dans chaque revue, les femmes et les hommes politiques en prennent pour leur grade. Mais la nouvelle maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, est encore épargnée.
Le "Moi Tarzan, toi Jane" de Roger Siffer, qui exhibe son petit gilet en léopard, et raconte son cri de la jungle sous les fenêtres de l'hôtel de ville, reste encore très bon enfant.
"Quand on a commencé à écrire, elle venait d'être élue, il n'y avait pas encore grand-chose à en dire" explique Guy Riss, autre pilier de la troupe. "Mais maintenant elle nous fournit de la matière pour la revue de l'an prochain. Et là, on ne la ratera pas."
Dans le colimateur, en revanche, "les Verts" de tous poils. Accusés de verdir la cathédrale, les feux rouges et l'arc en ciel. Et de forcer les chasseurs alsaciens à troquer leurs fusils contre des tasers.
Des politiques d'autres bords ne sont pas épargnés pour autant. Ni Brigitte Klinkert, "notre ministre alsacienne", qui a droit à un chant pseudo-religieux repris par le public. Ni l'opposant aux dernières municipales strasbourgeoises, Jean-Philippe Vetter, montré en train de "chasser les rouges." Ni le nouveau maire de Colmar, Eric Straumann, sur qui la troupe semble fonder de grands espoirs : "Donne-toi un peu de mal, et tu seras bon pour la Choucrouterie."
Un récurrent au paradis
Durant des années, la cible privilégiée de la Chouc', c'était Gilbert Meyer, l'ancien maire de Colmar décédé en septembre 2020. "Lorsque des spectateurs arrivent en disant : 'C'est dommage, il n'y aura plus de sketch sur Gilbert', je reste évasif" raconte Guy Riss, son interprète depuis des années. "Je leur dis : 'Entrez, vous verrez bien.'"
Et ils découvrent un Gilbert Meyer qui fait son entrée remarquée au paradis, où Dieu le père en personne doit freiner son envie irrépressible de se faire réélire.
Un public encore un peu frileux, mais aux anges
"Nous on est là, et vous êtes là" ("Mir sin noch do, ja, ja, un Ihr sin do, ja, ja") chante la troupe lors du final. Et le public est effectivement de retour, et heureux de l'être. Même si, certains soirs de semaines, il reste des fauteuils vides.
"Pour l'instant, ce n'est pas toujours rentable, mais ce n'est pas l'essentiel" assure Roger Siffer. "Germain Muller disait : 'Jette l'argent par les fenêtres, et il rentrera par la porte.' Même si la salle n'est pas pleine, c'est génial, les gens se déchaînent. Ils crient, s'esclaffent, jubilent, et en sortant, nous remercient d'avoir pu à nouveau s'amuser."
"En vert et contre tousse", dans sa version française, "Grien hinter de Ohre" dans sa version alsacienne, la revue de la Choucrouterie est encore jouée jusqu'au 20 mars prochain.