Témoignage. Accident de TGV d'Eckwersheim : le fils d'une victime "espère que les vraies responsabilités seront dites au grand jour"

Publié le Mis à jour le Écrit par Sabine Pfeiffer

Nicolas Heury a perdu son père lors du déraillement de TGV en 2015 à Eckwersheim. Il attend du procès, vraisemblablement prévu en 2023, que la justice détermine vraiment l'ensemble des responsabilités qui ont conduit à ce drame.

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Le 14 novembre 2015, une rame d'essai de la LGV (ligne à grande vitesse) Est a déraillé à Eckwersheim (Bas-Rhin), faisant onze morts et 42 blessés. Parmi les victimes, Daniel Heury, 57 ans, originaire de Saverne. Ce chef de bord fraîchement retraité venait d'être rappelé par Systra, la filiale de la SNCF commanditaire des essais.

"Mon père était contrôleur toute sa vie, et pour les essais, ils l'ont pris en tant que chef de bord" explique son fils Nicolas. "Il avait la liste des passagers", dont des invités, et "devait vérifier que tout le monde soit bien à bord" ainsi que contrôler "l'ouverture et la fermeture des portes."

"Mon père a travaillé 36 ans à la SNCF, et il est toujours revenu. J'avais plus peur pour lui d'un accident sur la route qu'au travail" s'exclame Nicolas Heury. "Personne n'aurait imaginé qu'il décède en travaillant."

Pourtant, l'inimaginable s'est produit. Et a bouleversé la vie de Nicolas Heury, de sa mère et de ses deux sœurs. Près de sept ans après le drame, cette famille, comme tant d'autres, vient d'apprendre qu'un procès se tiendra, vraisemblablement courant 2023, devant le tribunal correctionnel de Paris. La SNCF, deux de ses filiales et trois salariés y seront jugés. La famille Heury espère qu'"au moins la justice fera son boulot" et déterminera les parts de responsabilité qui incombent à chacun.

Plusieurs jours pour apprendre officiellement le décès

Ce 14 novembre 2015, Nicolas Heury, qui travaille dans la restauration, est en formation à Paris. La veille au soir, 13 novembre, viennent de se produire les attentats près du Stade de France, dans les rues des 10e et 11e arrondissements, et au Bataclan.

Le matin du 14, à l'aube, "vers 5h30, de mémoire", Nicolas Heury reçoit un coup de fil de son père, inquiet de le savoir dans la capitale en cette période troublée. "Il m'a dit : 'Si ça craint, rentre !' Il m'a aussi expliqué qu'il devait se lever tôt pour les essais" se souvient Nicolas, loin d'imaginer alors qu'ils se parlent pour la dernière fois.

Des heures plus tard, le jeune homme de 29 ans est informé d'un accident de TGV par des alertes sur son téléphone. Il met du temps à réaliser qu'il s'agit du train dans lequel travaille son père. Il tente plusieurs fois de l'appeler, en vain.

Pour Nicolas et sa famille, la nuit suivante est cauchemardesque. Il se souvient avoir "harcelé le numéro vert" mis en place. Mais jusqu'au lendemain matin, lui et sa famille n'obtiennent aucune information. "Et il y avait beaucoup de personnes dans le même cas" assure-t-il.

Le lendemain, ils doivent se soumettre à des tests ADN. Nicolas Heury se présente et tente d'en apprendre davantage sur son père, "mais personne ne voulait rien dire." Finalement, suite à son insistance, un gendarme reconnaît que Daniel Heury "ne faisait pas partie des blessés."

La terrible nouvelle est presque plus supportable que ces interminables heures d'incertitude. "On s'en doutait un peu, vu qu'il n'était pas à l'hôpital. Et là, au moins, on savait" estime aujourd'hui Nicolas Heury. "Même si ce n'était pas encore officiel."

Car l'annonce officielle du décès ne surviendra "que quelques jours plus tard." Les analyses d'ADN ont été nécessaires pour identifier certains corps. Or, à ce moment-là, "la priorité des tests ADN était réservée aux victimes du Bataclan." Nicolas Heury ne l'a "compris que par la suite. C'est pour cela que ça a mis autant de temps. Avec le recul, c'est totalement compréhensible."

Sept années difficiles

Daniel Heury peut finalement être enterré le 22 novembre, huit jours après l'accident. Sa famille avait pu récupérer son corps la veille.

Une famille qui aujourd'hui "va mieux : on est tous d’accord, soudés" affirme Nicolas Heury. Même si le drame "a eu pas mal de répercussions." Principalement le départ de sa mère, franco-américaine, qui est "repartie un an après s'occuper de ses parents aux Etats-Unis." Or, son fils en est certain, "elle ne serait jamais partie si mon père était resté présent."  

"On a un peu perdu nos deux parents" résume-t-il. Tout en nuançant immédiatement, car le contact avec sa mère n'est pas rompu, loin de là : "Je ne vais pas me plaindre, d'autres ont davantage souffert." Comme ces deux jeunes, "dont l'un avait 18 ans en 2015, comme l'une de mes sœurs" qui ont perdu leurs deux parents dans le déraillement du TGV.

Les premiers temps, les familles des victimes étaient réunies "une fois par an au tribunal." Mais ce rendez-vous annuel a été abandonné depuis plusieurs années. En 2021, la famille Heury a été informée "des personnes mises en cause." Et un courrier recommandé, très conséquent, est arrivé ce 30 août 2022, pour annoncer la tenue du procès.

Depuis le début, Nicolas Heury a tenté de suivre régulièrement l'évolution de l'enquête. "Trois à quatre fois par an" il consultait le dossier d'instruction, via son avocat qui en demandait une copie.

A son échelle, il s'est fait sa propre idée des origines du déraillement. "Je ne suis pas technicien, mais il y a des fautes inouïes qui ont été commises" estime-t-il. "Il y a eu de mauvais calculs, de mauvais freinages, et peut-être des essais pris à la légère."

"On ne peut pas demander à des conducteurs de calculer des distances de freinage. Que des conducteurs soient mis en cause, je le comprends, mais pour moi ce ne sont pas eux qui ont la plus grosse responsabilité."

Un besoin de vérité

Lors du procès, qui devrait démarrer "durant le second semestre 2023", la SNCF, ses filiales Systra et SNCF réseau, ainsi qu'un conducteur principal, un cadre et un pilote, seront jugés pour "blessures et homicides involontaires par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité."

Pour Nicolas Heury, "les responsabilités sont à chercher plus haut." Il trouve "incompréhensible" que les ingénieurs de Systra, "qui ont organisé ces essais" aient simplement le statut de "témoins assistés." Alors que les conducteurs, "qui ont juste accepté de le faire sont, eux, mis en examen."

Le jeune homme dit s'exprimer au nom de toute sa famille, qui n'est absolument pas dans un esprit de revanche. "On pense tous la même chose" assure-t-il. "Les condamnations ne nous importent pas." En revanche, leur attente est que toute la lumière soit faite sur les causes du drame.

"On n'en veut à personne personnellement" précise-t-il. "Mais on en veut aux entreprises, ça oui, c'est certain." Ils espèrent surtout que la SNCF et ses filiales assumeront leurs responsabilités, et ne se contenteront pas de "se renvoyer la balle."

Nicolas Heury s'est porté partie civile, et représentera sa mère et sa sœur lors du procès. Une perspective qu'il n'appréhende pas trop. "Au moins, ce sera fait, et on pourra passer à autre chose" explique-t-il.

Il reconnaît que durant les sept années écoulées, "la vie a continué", mais qu'il y a "encore des moments compliqués." Lui-même a racheté la maison familiale, et son petit garçon est né en 2020.

"Mais ce jour-là, j'étais presque triste" raconte-t-il. "En sortant de la maternité, j'aurais voulu appeler mon père en premier" pour lui annoncer la nouvelle. Car Daniel Heury aurait été "tellement fier" d'apprendre qu'il avait un petit-fils.

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