Témoignage. L’État abandonne le dispositif de dépistage de la dépression post-partum, "je me sens trahie, c'est scandaleux"

Publié le Écrit par Cécile Poure

En France, une femme sur six souffre de dépression du post-partum. Le suicide est la deuxième cause de mortalité maternelle dans l’année qui suit l’accouchement. Pour favoriser le dépistage de ce mal-être, le gouvernement a mis en place en 2021 une application dédiée aux jeunes parents. En déshérence aujourd’hui.

Nous avions rencontré Sophie Schaeffer, il y a deux ans, lors d’un reportage sur la dépression du post-partum. Elle avait alors témoigné, à visage découvert, de sa souffrance, terrible, à la naissance de son premier enfant en 2019. De l'hospitalisation en unité psychiatrique qui s'ensuivit.

Aujourd’hui, Sophie a un deuxième enfant, elle va mieux. Elle s’est engagée dans une association qui écoute et oriente ces jeunes mamans, nombreuses, en détresse. Maman Blues. Elle est même devenue responsable de l’antenne strasbourgeoise. C’est à ce titre qu’elle nous contacte. "Je me sens trahie, ce qui se passe est scandaleux, on s’appelle ?"

1 femme sur 6 touchée par la dépression du post-partum

Sophie m’explique sa colère. Le gouvernement, par effet de "pourrissement", souhaite mettre fin, dans les faits, faute de financements, au dispositif 1000 jours Blues, dispositif dédié aux parents qui souffrent de dépression du post-partum. Comme Sophie, avant eux.

Crée en 2021, sous la forme d’une application puis d’un site internet, les 1000 jours Blues propose en ligne un questionnaire : l’EPDS, ou inventaire de dépression postnatale d’Édimbourg. Pour faire simple, une échelle d’autoévaluation d’un état dépressif, reconnue par les professionnels de santé.

Une première prise de conscience, un premier pas vers l’acceptation et bien sûr la prise en charge. "Certaines femmes peuvent être dans le déni. Voir que tu es en orange ou en rouge, ça déclenche quand même une petite alarme, ça suscite des questions et oui quelque part une prise de conscience. Pour nous, c’est aussi une façon de rentrer en contact avec elles. De les orienter. L’anonymat facilite aussi la parole" précise Elise Marcende.

Elise est présidente de l’association Maman Blues. À ce titre, d’octobre 2021 à avril 2023, Elise Marcende a été l’interlocutrice privilégiée de ces parents sur cette plateforme. "Lorsqu'il prend contact, le parent, la plupart du temps des femmes, bénéficie en premier lieu d’un espace de paroles, d’une soupape de décompression. En fonction de ses besoins, de l’urgence de la situation, on lui propose différentes réponses : consultations psychologiques, hospitalisation, soutien à domicile, associations. Souvent, le premier problème que l’on rencontre, c'est justement de ne pas savoir vers qui se tourner : les professionnels de santé méconnaissent le sujet ainsi que les ressources possibles, ou n’ont pas vraiment les temps. De plus, on n’ose pas se tourner vers les proches à cause d’un sentiment de honte."

Elise le sait bien, en 2009, pendant sa grossesse, elle manifeste des signes de mal-être, "pas du tout pris en charge : j’avais un toit sur la tête, un compagnon aimant, alors hein, pas de quoi se plaindre." Elise décompense à la sortie de la maternité, "je suis directement allée aux urgences psy, je suis restée deux mois en clinique psychiatrique puis six avec ma fille en unité mère-bébé, UMB, qui présentait des signes de souffrances."

Seules 1/3 des patientes déclarant des difficultés psychologiques durant la grossesse ont eu une consultation auprès d’un professionnel.  La suppression du dispositif 1000 jours Blues, faute de budget alloué, serait, en ce sens, encore moins entendable. Et le "réarmement démographique", une bombe à retardement.

Près de 123 000 évaluations passées via l'application

 

C’est précisément pour combler, un peu, ce manque que Maman Blues s’est portée, à l’époque, volontaire pour animer la plateforme. Entre octobre 2021 et février 2024, près de 123 000 évaluations ont été passées via l’application. Avec des résultats alarmants. 14.8% présentaient des idées suicidaires fréquentes. 57% avaient un score supérieur à 13 (13 étant le score au-delà duquel des éléments caractéristiques d’une dépression du post-partum sont identifiés.)

"C’est simple, en moyenne, huit à dix personnes prenaient contact chaque jour avec nous via l’application. Le week-end, les vacances, ça ne s’arrête jamais. Ce n’est pas laisser mourir le dispositif qu’il faut faire, mais mettre deux permanents. C’est d’utilité publique. Nous avons même eu des tentatives d’infanticides, c’est grave oui."

Huit à dix personnes prenaient contact chaque jour, via l’application. Le week-end, les vacances, ça ne s’arrêtait jamais

Elise Marcende, Maman Blues

 

Les résultats sont donc là, bien visibles. Le financement non. Et c’est là tout le problème. "Le dispositif, préconisé par la commission des 1000 premiers jours en 2020, a été mis en place en octobre 2021. Dès le départ, ça a été assez aléatoire. Imaginez, moi, j'ai connu quatre budgets en deux ans et clairement, nous étions en sous-effectifs."

Stratégie du pourrissement

Fatiguée par ce fonctionnement, Elise jette l’éponge en avril 2023. "On était payées avec des mois de retard, j’avais pris une disponibilité pour faire ce travail qui me tenait à cœur, je suis fonctionnaire, là ça devenait dangereux professionnellement, j’ai préféré sortir de là."

C’est une infirmière en santé mentale qui prendra le relais, Wanda Hervieu, qui n’a plus aujourd’hui les moyens d’accomplir sa mission. "D’une quinzaine, ils sont passés à quatre, ce qui est largement insuffisant et les budgets n’ont toujours pas été alloués. L'application est à l’arrêt total, personne ne décroche plus."

On nous serine avec le réarmement démographique, mais à quel prix ? Pour les mères et pour leurs enfants ?

Sophie Schaeffer, Maman Blues Alsace

Suite au départ d’Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles, porteur de la politique des 1000 jours, l'engagement des différentes directions générales (DGCS et DGOS) s'est essoufflé. Sophie lève les yeux au ciel. "C’est inconséquent de penser que la santé mentale périnatale n'est pas un sujet politique. Qu’on la traite en fonction des personnes en poste dans les ministères. C’est un sujet grave, important, d’utilité publique qui nécessite de la continuité et un réel engagement, pérenne."

"Là on nous serine avec le réarmement démographique, mais à quel prix ? Pour les mères et pour leurs enfants ? La santé des mères est primordiale pour celle de leurs enfants. Non, tout ça encore, c’est parce que les femmes sont la dernière roue du carrosse. Tout comme la santé mentale d’ailleurs. Là, c'est double peine."

Maman Blues a lancé une pétition en février dernier et compte saisir le gouvernement par l'intermédiaire des ministres concernés. "Il faut pérenniser le budget actuel pendant au moins deux ans, avoir de la visibilité et surtout renforcer les structures existantes. Ça marche, pourquoi les supprimer ? Faire des propositions différentes chaque semestre, ça n’a pas de sens, ce sont justes des effets d’annonce. Les femmes méritent mieux. Il faut arrêter de nous prendre pour des connes."

En attendant, des enfants naissent, des parents avec eux, parfois désemparés.

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