Dépression post-partum : "On ne naît pas mère, on le devient", immersion dans une unité de psychiatrie périnatale

Brumath (Bas-Rhin) accueille depuis 1986 les femmes qui souffrent de dépression post-partum. Ici, loin de la tourmente du monde, on apprend à construire des liens et à se reconstruire. Immersion dans cette unité pilote de psychiatrie périnatale. 

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C'est un endroit coupé du reste du monde. Aux frontières de l'établissement dédaléen qu'est l'Epsan (Etablissement public de santé Alsace nord). Un pavillon de bois, ouvert sur un jardin où poussent des fraises et grandissent des enfants. Un pavillon de bois préservé du chaos du dehors. Ici pas de jugements, pas d'injonctions, pas de culpabilité. Ici tout s'arrête. Même le temps. Pour mieux recommencer. Pour mieux commencer.

Une bulle

Ce n'est pas la première fois que je viens à l'Epsan. Etrangement je m'y sens à ma place. J'aime cet endroit à la marge, ce que l'on y fait pour les gens que d'aucuns jugent fous alors qu'ils sont malades. En cheminant entre les unités grillagées, où se devinent quelques silhouettes assises à l'ombre, ce sont toujours les mêmes questions. Saurai-je trouver les mots ? Saurai-je comprendre ? Et, au fond de cette allée, vais-je me voir ? 

Au pavillon Laura Lanteri, où je sonne, vivent ou viennent des femmes malades d'être mères, ou des mères malades de ne pas y parvenir. En France la dépression post-partum touche environ 20% des femmes. Elle est la première cause de décès maternels du 43e jour à un an après l’accouchement. Les chiffres sont précis. Implacables et méconnus.

Etude de l'Inserm sur les maladies mentales pendant la grossesse et le post-partum by France3Alsace on Scribd

Dans ce CRSPP,  ce Centre de ressources et de soins en psychiatrie périnatale, son nom médical, on héberge ces femmes, on les accompagne dans leur quotidien, on les aide à apprivoiser un étranger : leur enfant. On construit jour après jour un lien, que certains esprits obtus pensent inné, et on le consolide. Comme une ligne de vie. Un cordon ombilical. 

Les portes fermées à clé s'ouvrent. Par-delà le sas, des sourires m'accueillent. Des femmes. Blouses roses et blanches. J'entre dans un cocon dont on me fait vite comprendre que le canevas est fragile. Il ne tient qu'à un fil. Une parole. On me briefe. "Ces femmes ont beaucoup souffert de culpabilité faute d'informations suffisantes, mal jugées, déconsidérées. La dépression post-partum est un tabou, et ce tabou pèse sur ces femmes" chuchote le docteur Sarah Sananès, pédopsychiatre, responsable de l'hôpital de jour.

Sarah Sananès craint plus que tout la caricature, les raccourcis journalistiques, les maladresses aussi peut-être. Je comprends.

Le couloir jaune poussin est tapissé de dessins d’enfants. J’entends de la musique douce, des pleurs, des rires. La maison vit. Sarah me conduit dans le jardin où m’attend Valérie. Tatouages, épaules d'athlète, une de ces femmes qu'on pense indéboulonnable.

Briser le tabou

Un petit garçon se jette dans ses jambes solides, plantées dans la pelouse comme un tuteur. Valérie me salue d’une voix fracassante. Bienvenue. Elle a hâte de raconter son histoire, de dire comment La Frimousse, l’hôpital de jour de la structure, l’a remise sur pied. Debout. Sauvée. Je n’avais jamais connu pareille VRP. Nous en rions. Le courant passe. Sarah Sananès s’éloigne. Pas trop, au cas où.

Car à 31 ans Valérie revient de loin. La dépression lui est tombée dessus sans crier gare et tardivement. Quand son fils a eu six mois. C’est rare, ça arrive. C’est d’autant plus violent.

« J’avais plus envie de rien, même plus de m’occuper de mon fils. Je le faisais parce que je le devais et non par plaisir. Il n’y avait pas de plaisir, pas de sourire. Il n’y avait plus rien, je ne ressentais rien. » Valérie ne comprend pas, elle craint qu’on lui enlève son enfant : « La dépression post-partum, personne ne m’en avait parlé, je connaissais le baby-blues mais là …je me suis sentie seule même si ma famille et mon compagnon étaient bienveillants. J’ai d’abord nié puis je me suis perdue. Je me suis dit que j’étais une mauvaise mère, qu’être maman c’est vivre dans un rêve, tomber amoureuse au premier regard, blablabla et que je n’étais pas normale. »

Il n’y avait pas de plaisir, pas de sourire. Il n’y avait plus rien, je ne ressentais rien.

Valérie

Un jour, Valérie a brisé le silence. Et la spirale. Elle été orientée vers La Frimousse. Depuis décembre, elle y vient deux fois par semaine. Toujours avec son fils. Rencontrer son infirmière référente, faire une séance de massage, un atelier de soins, jouer avec lui, voir l’assistante sociale, la puéricultrice ou la psychomotricienne. Valérie vient surtout verbaliser. Parler de ses réussites sur le quotidien qui bouffe et de ses doutes qui l'entament.  « J’ai pu enfin mettre des mots sur mes maux. J’ai compris qu’on ne nait pas mère, qu’on le devient. Au fil du temps, j’ai appris à connaître mon fils, appris à prendre sur moi, accepter les pleurs et les cris, relativiser, parler. J’ai appris à l’aimer. On est toutes différentes c’est certain mais j’ai eu besoin de ça, je n’ai plus honte de le dire. »

J’ai pu enfin mettre des mots sur mes maux. J’ai compris qu’on ne nait pas mère, qu’on le devient.

Valérie

Mieux, en témoignant, Valérie veut servir d’exemple. « Ici, ils m’ont sauvé la vie et celle de mon fils, notre vie à deux. Ça a été un nouveau départ. Il faut que cette maladie soit connue, reconnue, dire que ce n’est pas une honte mais que ça tue. La dépression post-partum peut arriver à n’importe qui et il faut l’accepter. Il faut savoir se faire aider. » Seule la moitié des dépressions post-partum seraient dépistées.

Au fil de la discussion qui divague comme le fil du temps, Valérie m’apprend qu’elle attend un second enfant. Pour décembre. « Je me sens prête, je suis bien préparée, je n’ai pas peur. » Nous nous quittons sur cette révélation belle et incongrue vues les circonstances. Je recroiserai un peu plus tard Valérie devant le bureau de la pédopsychiatre, pressée qu’elle est de lui « poser, docteur, une petite question concernant la semaine qui vient de s’écouler … » Je souris. Valérie doute encore. Elle doutera je crois toute sa vie. Comme moi. Comme toutes les mamans.

Devenir mère

Outre La Frimousse, l’hôpital de jour, qui peut accueillir six dyades mère-bébé par jour, le CRSPP dispose depuis 2007 d’une unité à temps plein.

Le bâtiment se trouve de l’autre côté du jardin. Les volets sont tirés. Il fait chaud. C’est ici que les cas les plus sévères sont admis. La durée du séjour y est de six à huit semaines. Une mère et son enfant ont parfois besoin de tout ce temps pour se découvrir et s’aimer.  « Ici c’est les soins intensifs, comme le service réanimation pour les mamans » m’explique Aude Triffaux-Ghesquières, la pédopsychiatre responsable de l’unité. Aude, elle, ne parle pas tout bas, ne chuchote pas. Elle bouscule. La déstigmatisation de la maladie mentale passe aussi par là.

Ici c’est une maison de quatre lits, complète ce jour-là. « Nous accueillons des dépressions du post-partum sans antécédents antérieurs mais aussi des mères dans des états délirants ou des femmes qui ont des antécédents et qui décompensent au moment de l’accouchement. » L'accouchement est en moment où les femmes sont particulièrement vulnérables. Où tout "sort" et pas seulement un bébé.

En parlant, nous passons devant un salon télé, un réfectoire, une salle de jeux d’eaux, un dortoir, des chambres individuelles, une salle de bain adaptée, une laverie. Le pastel domine jusque dans les lits d'enfants. Dans cette maison tout est fait pour apprendre ou réapprendre en douceur, sans pression, les gestes quotidiens. A deux ou à trois. « Nous avons des jumeaux actuellement. » L’unité mère-bébé compte une douzaine de soignants, une psycho-motricienne et une psychologue.

« Ici on vise les soins de la maman, du bébé, du lien mère-enfant et du papa qui est lui aussi fragilisé dans ces moment-là. On prend le temps qu’il faut, tout le temps et ça peut être long. Quand elles sortent c'est qu'elles sont prêtes. Parfois, oui, certaines n'y arrivent pas.» Les femmes que je croise ici ont les traits flous, un sourire flotte sur leurs lèvres, timide. Toutes ont leur bébé dans les bras. Ou à portée de caresse. Une petite victoire. Déjà.

Marie-Eve est restée dans cette unité un mois. Avec Théo son fils. Pour une dépression post-partum elle aussi. C'est la sage-femme qui la suivait qui lui a conseillé de venir. Marie-Eve refuse dans un premier temps. Le poids de la honte et du jugement. Le déni aussi. Une semaine plus tard, Marie-Eve est hospitalisée. "J'étais vraiment trop mal et ce mal-être était plus fort que ma honte. Ce n'est pas facile de se rendre à l'évidence, on rêve d'avoir un enfant et quand il est là on n'y arrive pas. Moi, c'est simple, j'avais l'impression de ne pas être sa maman. J'avais l'impression que c'était un étranger."

J'avais l'impression de ne pas être sa maman. J'avais l'impression que c'était un étranger.

Marie-Eve

La jeune femme a la voix qui tremble légèrement. Mais son regard, lui, est clair. Sarah Sananès la prévient, ombre tutélaire, gardienne du temple. "C'est enregistré vous savez ? Vous êtes sûre de vouloir que les gens entendent ça ? Vous vous sentez prête ? Ce n'est pas anodin vous savez ?" Marie-Eve acquiesce. "Oui, je suis sûre. Pour briser le tabou, pour que les femmes à qui ça arrive ne se sentent plus seules, ni anormales." Montrer aussi qu'on s'en sort, que ce lien affectueux défectueux se construit. "J'ai l'impression d'être devenue sa maman au fil des jours, encore aujourd'hui et c'est magique."

Théo a aujourd'hui 7 mois. Un petit gars potelé tout en sourires qui se prête, couche en l'air, aux massages de sa maman. Tous les deux viennent encore à La Frimousse deux fois par semaine. Comme Valérie.

Quand ils sont arrivés, ils étaient l'un à côté de l'autre et maintenant  regardez-les ils sont ensemble

Caroline Roesche, infirmière puéricultrice

"Le temps du massage c'est un temps de plaisir pour la mère et l'enfant. Ils se regardent dans les yeux, ils se touchent, s'apaisent. Ces moments de plaisir sont très importants. Dans la vie quotidienne où tout va si vite, on a plus le temps, on donne juste les soins obligés. Ce sont de petits temps mais ils ont une grande importance. Quand ils sont arrivés, ils étaient l'un à côté de l'autre et maintenant  regardez-les ils sont ensemble. Entre eux il y a un fil fort" me glisse Caroline, infirmière-puéricultrice. Théo glousse. Moi aussi.

Des soins coordonnés

L'Epsan a été pionnier dans la prise en charge de la psychiatrie périnatale en se dotant dès 1986 d'un hôpital de jour dédié. Récemment, en 2019, l'établissement a créé une équipe mobile, pluridisciplinaire de sept personnes dont le financement est assuré par l'Etat pour trois ans. C'est une première en France. L'équipe travaille à domicile pour les mamans qui éprouvent des difficultés plus légères ou directement dans les maternités pour informer et dépister. "Il faut dépister le plus tôt possible les problèmes d'interactions : interactions mère-enfant mais aussi celles inhérentes à certains bébés suite par exemple à un accouchement traumatique. Plus c'est tôt mieux c'est. Ces troubles peuvent avoir des répercussions graves et durables sur la vie de l'enfant, de l'adolescent et de l'adulte" explique Sarah Sananès.

Et l'établissement ne va pas s'arrêter là. En septembre, l'unité mère-bébé va pouvoir accueillir les pères à temps plein. "Ils sont souvent perdus, ne comprennent pas, ils peuvent décompenser. Eux aussi. Et il ne faut pas se contenter de construire la relation mère-enfant mais le triangle parental" Aude Triffaux-Ghesquières se réjouit. "Il faudra rebaptiser la structure, je pensais à La Parent-hèse." J'approuve. Moi et les jeux de mots c'est une longue histoire. D'autant que oui, ici, nous sommes entre parenthèses. Pas une parenthèse enchantée bien sûr mais bienveillante, engagée et féministe. Désormais, il faut que cette bulle éclate et se répande.

Le secrétaire d'Etat chargé de la protection de l'enfance, Adrien Tacquet, en visite à l'Epsan en mai dernier, en a visiblement pris conscience. Un entretien post-natal sera désormais réalisé entre la 5e et la 12e semaine pour repérer d'éventuels signes de dépression. Et surtout, l'Etat prévoit cette année la création de dix unités parents-enfants supplémentaires ainsi que 20 équipes mobiles en psychiatrie périnatale. 

Nous terminons cette visite sur ces promesses d'avenir et un pichet d'eau. Je n'ai pas envie de partir. Le temps presse ? Je ne sais pas et je m'en fous. Avec Chrystèle Staub, cadre de santé, nous refaisons le monde. Il y a des rencontres comme ça, fortuites, qui sont des retrouvailles. Dans ce monde, les femmes n'auraient pas à être jugées parce que la naissance n'est pas, pour elles, le plus beau jour de leur vie ou parce qu'elles n'éprouvent rien face à un être étranger venu de leurs entrailles. Les mères pourraient être malades sans culpabiliser. Dans ce monde, on apprendrait à aimer comme on apprend tout le reste. 

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