Depuis un siècle, à Engwiller, on fait de la musique et on danse. Le groupe folklorique du village s'apprête à fêter ses cent ans. Un anniversaire qui ravive de nombreux souvenirs, et fait la fierté de tous, même des plus jeunes, comme Rund Um l'a constaté.
A Engwiller, souffler dans des instruments à vent ou apprendre de nouvelles chorégraphies est une tradition centenaire. L'ensemble musical du village est né fin 1922 ou début 1923. Le groupe de danse, vraisemblablement lancé par les épouses des musiciens, s'y est rajouté au début des années 1930.
Aujourd'hui, chaque groupe répète de son côté, mais les deux sont bien évidemment complémentaires. Ils se sont regroupés au sein de l'AMDFE (Association de Musique et Danse Folklorique d'Engwiller), forte d'une soixantaine de membres actifs, soit 10% de la population de ce petit village, même si l'on tient compte de ceux venus des communes voisines.
Au fil des décennies, ce groupe folklorique a profondément modifié l'ambiance d'Engwiller, en créant de profonds liens d'amitié, et en ouvrant à tous de nouveaux horizons, par des voyages à l'étranger, et la participation à des festivals.
Les cuivres répètent le vendredi
L'orchestre répète chaque vendredi soir dans la salle polyvalente. "Au départ, c'était dans la salle de la mairie" précise Michel Vogler, président de l'association suite à son père et son grand-père, qui portaient le même nom. "Sur ses 100 ans d'existence, le groupe folklorique a connu 54 années avec un président nommé Michel Vogler" rigole-t-il.
Parmi les musiciens, beaucoup d'anciens comme lui, fidèles au poste depuis près de six décennies. Mais aussi bon nombre de jeunes, qui suivent joyeusement les traces d'un père ou d'un grand-père. "C'est un petit village, Engwiller" explique le nouveau chef, Aurélien Dresch, un jeune, lui aussi. "Tout le monde se connaît et se croise plusieurs fois par jour. Donc si on se retrouve encore le vendredi pour passer la soirée ensemble à faire de la musique, c'est qu'il y a vraiment un lien très fort."
Aurélien Dresch tient à "sortir (ses musiciens) de leur zone de confort", en leur proposant certaines partitions "plus modernes" interprétées à l'occasion de certains concerts. Mais la base du répertoire est constituée de pièces écrites par un compositeur du village, Georges Jung. Né en 1904,celui-ci a dirigé l'orchestre de 1930 à 1960. "Agriculteur le jour, il écrivait sa musique le soir. Il n'a probablement pas beaucoup dormi, cet homme" sourit Freddy Jung, l'un des instrumentistes.
L'AMDFE conserve précieusement les partitions originales de 80 danses, que Georges Jung transcrivait dans de petits carnets. "Nous avons des partitions que personne d'autre ne possède" se réjouit Freddy Jung. "Elles ne sont pas très lisibles, mais nous, on les connaît presque par cœur. D'ailleurs, quand il y avait un musicien remplaçant, c'était parfois difficile pour lui de réussir à les déchiffrer."
"Nous avons un plaisir immense à les jouer" renchérit Philippe Schuhler, autre musicien fidèle depuis près de soixante ans. Il se souvient qu'il a dû, comme chaque nouvel arrivé, "recopier ses partitions pour lui-même." Car dans les années 1960, photocopieuses et ordinateurs n'existaient pas encore.
Les danseurs se retrouvent le mardi
Le groupe de danseurs, lui, se retrouve le mardi soir, également dans la salle polyvalente. Vingt femmes et huit hommes, dont une majorité de très jeunes. Seul regret : le manque d'hommes – l'appel aux candidats est lancé.
"Quand on était de jeunes musiciens, on dansait tous" se souvient Jean-Georges Weber, autre instrumentiste. "Si les 25 hommes de l'orchestre étaient présents, certains étaient réquisitionnés pour danser. Car pour jouer des danses, on n'avait pas besoin de tout le monde."
Les plus anciennes chorégraphies ont été réalisées par Emile Mandel, "un folkloristes de Niederbronn" selon Philippe Schuhler, qui a collaboré avec Georges Jung. "Quand je suis arrivée, en 1980, on avait seulement dix danses" se souvient Margot Vogler, qui a dirigé le groupe de danseurs durant presque un quart de siècle.
Une chorégraphe strasbourgeoise les a aidés à étoffer leur répertoire, puis elle-même a pris le relai. "Là, on en est à environ 50 danses pour adultes. On avait aussi un groupe d'enfants, qui avait ses propres danses."
Des photos racontent 100 ans d'histoire
Pour préparer dignement ce centenaire, une poignée de passionnés d'histoire locale se sont mobilisés, dès octobre dernier, afin de retrouver tous les documents liés au groupe folklorique. "Chacun a déniché de vieilles photos chez lui, et on a fait la tournée des habitants" explique Jean-Georges Weber. "Mais on a vraiment dû enquêter pour retrouver les dates et les lieux" ajoute Freddy Jung. "Car souvent, ils ne notaient rien. Nos conclusions ne sont peut-être pas toujours exactes, mais on a fait notre possible."
Parmi leurs trouvailles, quelques trésors, dont la toute première photo de l'orchestre, datée du 15 juillet 1923. Plusieurs membres actuels y reconnaissent leurs propres grands-pères, qui portaient déjà le même costume de scène qu'aujourd'hui : pantalon noir, chemise blanche, gilet rouge à boutons dorés et chapeau.
"Le premier chef, M. Durrenberger de Niederbronn, leur a simplement conseillé de prendre leurs habits du dimanche comme uniforme" raconte Michel Vogler. Il en a été de même pour les splendides robes des danseuses, au plastron brodé de perles.
Une initiative soutenue par "Gustave Stoskopf et Louis-Philippe Kamm", deux artistes-peintres, dont le premier est à l'origine du musée alsacien de Strasbourg, qui "avaient déjà à l'époque créé une fédération de sauvegarde du costume alsacien."
Au fil du temps, certaines pièces des costumes féminins ont dû être refaites à l'identique. Mais les superbes foulards, les dessous et les blouses blanches sont encore authentiques. Et nécessitent avant chaque spectacle des heures de travail de repassage et d'amidonnage.
L'occasion de sortir du village
La collecte de documents anciens a également ravivé le souvenir des innombrables sorties et voyages. La toute première excursion, jusqu'à Niederbronn, remonte à l'été 1923, comme en témoigne une magnifique photo de jeunes femmes en robes alsaciennes et coiffes, installées sur un char à bancs.
"Autrefois, les gens ne voyageaient jamais" rappelle Freddy Jung. "Le dimanche, ils allaient à l'église, et les hommes allaient au bistrot. Mais grâce au groupe folklorique, les Engwillerois ont pu voyager. Jusqu'à Versaille, en Normandie, partout." Ils ont participé à de nombreux festivals, dans le sud de la France, en Allemagne, en Autriche et aux Pays-Bas.
Localement aussi, le groupe folklorique a contribué au rayonnement du village. En se produisant, par exemple, en l'honneur du président de la République Valéry Giscard d'Estaing, venu visiter la commune voisine de Ringeldorf en 1974. Et en animant d'innombrables manifestations.
"Un ancien instituteur avait lancé des 'Tràchtefeschte', (fêtes folkloriques) qui ont duré de 1955 jusqu'en 1977" précise Michel Vogler. "Il y avait souvent un millier de personnes rassemblées sur la place du village. On a déjà fait pas mal de choses à Engwiller, ça, on peut le dire."
Et aucun risque que cela s'arrête. Rien que pour cette année 2023, pas moins de 15 sorties sont planifiées. Parfois loin, et parfois simplement ailleurs en Alsace.
C'est l'occasion de rencontrer "des personnes d'autres pays, qui nous posent des questions", estime Thomas Reinbold, l'un des jeunes danseurs. Mais également de nouer des liens d'amitié avec d'autres Alsaciens : "Avec les villages voisins, ou ceux plus éloignés, comme Seebach, qu'on connaît encore mal. Après la représentation, on boit des verres ensemble, et c'est vraiment chouette." Et de conclure : "C'est un plaisir de faire partie d'une association centenaire."
Un grand week-end festif
Les festivités de ce centenaire de l'AMDFE s'étendront tout au long du week-end de l'Ascension. Avec, entre autres, une grande journée festive le jeudi 18 mai, et un bal le samedi 20 mai au soir.
Les documents historiques collectés font l'objet d'une petite exposition, visible tout le week-end dans la salle polyvalente d'Engwiller. Et qui sera présentée dès le 3 juillet prochain à l'office de tourisme de Niederbronn.