VIDEO. Comment fonctionnent les nouvelles classes maternelles immersives en alsacien qui viennent d'ouvrir ?

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Jeux, comptines, sport, tout est bon pour apprendre l'alsacien.
Sujet Rund Um en alsacien sous-titré ©France Télévisions

Petite révolution pour cette rentrée 2023 : pour la première fois, l'Education nationale a ouvert en Alsace quatre classes de maternelle "immersives", où l'enseignant parle principalement l'alsacien. Exemple dans deux des quatre écoles concernées, à Colmar et à Brumath.

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L'enseignement des langues régionales à l'école est un très vieux serpent de mer. En Alsace, l'Education nationale a lancé un enseignement bilingue paritaire allemand-français dès la fin des années 1980. Il est basé sur la parité horaire dès l'école maternelle et élémentaire (la moitié des heures en allemand, l'autre en français, avec deux enseignants distincts) et aboutit, en terminale, à l'obtention d'un abibac (à la fois baccalauréat français et Abitur allemand).

De son côté, l'école associative sous contrat d'Etat ABCM Zweisprachigkeit a ouvert ses premières classes bilingues en 1991, et rapidement introduit dans certaines classes quelques heures d'alsacien en plus de celles en allemand.

ABCM a par ailleurs fait évoluer dès 2011 sa pédagogie vers le principe de l'immersion, qui consiste à ne pas simplement enseigner la langue comme une matière, mais à l'utiliser pour l'ensemble des activités scolaires, en offrant ainsi aux enfants un véritable bain linguistique.

Cette méthode est déjà pratiquée ailleurs en France, et de longue date : par les écoles Diwan pour le breton, Kastolak pour le basque, Bressola pour le catalan et Calendretas pour l'occitan. On y parle la langue régionale non seulement durant les heures de cours, mais également à la cantine et dans la cour de récréation.

Or, depuis mai 2021, cet enseignement immersif d'une langue régionale semblait connaître une certaine insécurité juridique, suite à une décision du Conseil constitutionnel qui l'a considéré contraire à l'article 2 de la Constitution prônant que "la langue de la République est le français". Le Conseil constitutionnel s'était exprimé à ce sujet au moment de retoquer deux articles phares de la proposition de loi du député Paul Molac, adoptée par l'Assemblée nationale le 8 avril 2021, justement destinée à promouvoir et protéger les langues régionales.

Cependant, depuis, aucune école privée n'a dû renoncer à son enseignement immersif. Et depuis cette rentrée, même l'Education Nationale propose ce type de méthode pédagogique dans quatre classes de maternelles de la région. Cerise sur le gâteau, pour des cours principalement en alsacien, considéré comme notre langue régionale "orale", et pas simplement en allemand (considéré comme sa version "écrite").

Ces quatre classes de maternelle se trouvent dans l'école Froebel de Sélestat (18 élèves) et Arc-en-ciel de Brumath (15 élèves) pour le Bas-Rhin, ainsi que l'école des Tulipes à Colmar (8 élèves) et Saint-Morand à Altkirch (14 élèves) pour le Haut-Rhin.

Apprendre la langue par tout le corps

Dans la classe immersive des petits-moyens de l'école des Tulipes à Colmar, on a le droit de se taper sur la tête, de se triturer les oreilles, et même de tirer la langue. La maîtresse, Pascale Riehl, donne elle-même l'exemple, en grimaçant allègrement, tout en accompagnant ses gestes et mimiques de directives en alsacien : "Klopff, klopff uff em Kopf" ("tape, tape sur la tête"), ou "Streck d'Zung erüss" ("tire la langue").

Les petits s'en donnent à coeur joie, et n'ont aucun mal à suivre et à l'imiter, même si aucun mot de français n'est prononcé. "Je leur parle l'alsacien en jouant, en faisant du sport, et toutes sortes d'activités" explique l'enseignante, grand sourire. "J'aime qu'ils bougent, qu'ils manipulent des choses, car à ce moment-là, leurs oreilles sont grandes ouvertes, et la langue alsacienne pénètre directement dans le corps. Ils la comprennent et l'intègrent bien mieux que si je leur donnais des feuilles."

Pour faire comprendre des notions a priori plus abstraites comme "laufe" (marcher), "renne" (courir), ou donner des consignes du type "Mir gehn jetzt in de Gàrte" (on va aller dans le jardin), elle leur montre des petits dessins pour accompagner ses paroles et ses gestes. Et ça fonctionne. A peine quelques jours après la rentrée, parmi ces huit élèves de 3 à 4 ans, non-dialectophones, aucun n'a l'air perdu ou perplexe.

Une immersion en alsacien seulement partielle

En début de matinée, pour le moment, Pascale Riehl parle exclusivement en alsacien. "Mais vers la fin, si les petits sont fatigués, il m'arrive de raconter une histoire en français" précise-t-elle. "Ou de leur parler en français lorsqu'ils jouent dans la cour." De même l'après-midi, après la sieste. Et à certains moments, elle ajoute un peu d'allemand.

En effet, selon la demande du Rectorat, il ne s'agit pas d'immersif dialectal à 100%. "Le recteur nous a dit que pour les maternelles petits et moyens, c'est 75% d'alsacien et 25% de français" explique l'enseignante. "Et plus tard, pour les classes des grands, ça devra être 50/50%. Car si on enseigne des choses importantes, comme les chiffres ou l'alphabet, on doit aussi le faire en français."

Ce maintien d'une certaine proportion de français est la réponse de l'Education nationale au risque d'inconstitutionnalité. "Le français doit être maintenu, c'est la loi. Dans l'école publique, on ne peut pas ignorer le français" rappelle Rémy Kozlik, inspecteur à Mulhouse, et responsable de l'enseignement des langues vivantes et du bilinguisme pour le département du Haut-Rhin.

Mais il réfute le principe de pourcentages. "Chaque langue trouvera sa place naturellementAvec l'allemand et l'alsacien, ça viendra de façon intuitiveassure-t-il. "Je pense que certains jours, les enseignants seront dans une situation immersive en allemand et en alsacien, sans recourir au français, parce que la communication fonctionnera ainsi. Et peut-être que le lendemain, dans certaines situations, le français sera indispensable (...) L'enseignant sent ce genre de choses, et trouvera la place appropriée pour chaque langue."

Et l'année prochaine, lorsque les premiers élèves concernés entreront en grande section de maternelle, la proportion de français devra effectivement être augmentée, pour ne pas pénaliser les enfants lors de leur entrée au CP. Mais Rémy Kozlik reste persuadé que "l'enseignant va sentir tout au long de l'année la dose de français nécessaire pour que l'enfant soit à l'aise, et puisse bénéficier des acquisitions nécessaires à la fin de la maternelle."

A Brumath, une traduction immédiate

"Quelle est cette couleur ? Bleu. C'est 'blöij' en alsacien, et en allemand, c'est 'blau'." Dans la classe immersive de l'école Arc-en-ciel de Brumath (Bas-Rhin), l'enseignante teste une autre méthode. Elle enrichit immédiatement le vocabulaire de ses petits élèves en leur donnant le même mot en alsacien, en allemand et en français. "On est encore en période de rodage, j'essaie, principalement en alsacien et en allemand" précise-t-elle. "Je n'ai pas de plage horaire dédiée à l'alsacien. J'emploie les trois langues en même temps, et ça marche plutôt bien."

Ses élèves, dont une grande majorité de moyens de 4 ans, qu'elle avait déjà l'an dernier dans le cadre d'une classe bilingue classique, et qui ont donc déjà l'oreille aguerrie à l'allemand, n'ont manifestement aucun problème de compréhension.

L'enthousiasme est de rigueur lorsqu'ils entonnent en choeur "Wenn de gare in d'Schüel gehsch, klàtsch in d'Händ" (Si tu aimes aller à l'école, tape des mains). Mais la prononciation reste encore un tantinet fantaisiste. "Chez mes parents, je sais juste dire 'klàtsch in d'Händ' explique Candice, 4 ans. "Parce que je ne sais pas encore bien le début de la chanson."

Pour l'apport dialectal, l'enseignante est largement secondée par l'agente éducative, présente à temps plein dans sa classe. En effet, Corinne Husser, parfaitement dialectophone, est particulièrement heureuse de pouvoir, enfin, parler dans sa langue maternelle sur son lieu de travail.

"Depuis que je suis agent éducatif, j'ai enfin l'occasion de parler l'alsacien à l'école" sourit-elle. "A l'ouverture des classes bilingues, j'ai pu parler l'allemand avec les enfants, une langue que je connais aussi. Mais je suis vraiment contente que l'alsacien ait enfin droit de cité à l'école." Et elle se dit très surprise qu'après un si court laps de temps après la rentrée, les enfants comprennent et commencent déjà à répéter ce qu'elle leur dit.

Des parents convaincus

A Brumath, la plupart des parents des enfants de la classe immersive ne sont pas dialectophones. Mais ils en attendent beaucoup. "On pense que démarrer des langues jeune permet de mieux en apprendre d'autres plus tard" explique Isabelle, la maman de Thomas. "Quand l'école a proposé ce cursus, on a trouvé ça super. Ça donne une ouverture culturelle, une meilleure connaissance de l'environnement local, et de l'histoire. On est des Alsaciens d'adoption, donc c'est Thomas qui va nous permettre de mieux découvrir cet endroit où on vit."

Même écho de la part de Magalie, maman d'Alexandre : "Je suis alsacienne, mais je ne parle pas l'alsacien, mes parents ne sont pas d'ici. Et c'est un petit regret. C'est pour l'ouverture sur les langues, sur notre culture, notre patrimoine."

Un seul enseignant pour trois langues

Certes, cet enseignement "immersif" partiel reste décevant pour ceux qui s'attendaient à une immersion dialectale complète. Il est cependant novateur à plus d'un titre. D'une part, l'enseignant ne s'exprime pas en une, mais en trois langues différentes, et bascule de l'une vers l'autre à sa guise, en fonction de son ressenti et de son expérience. "C'est une grande aventure" reconnaît Rémy Kozlik. "C'est une première que, dans notre pays, les enfants de l'école publique apprennent trois langues dès la maternelle."

Et d'autre part, on s'éloigne donc du sacro-saint principe d' "un prof, une langue" qui a prévalu durant près de quatre décennies d'enseignement bilingue. "On pense que dans ce système trilingue, il est intéressant d'avoir un seul enseignant qui passe d'une langue à l'autre, comme ça vient" ajoute l'inspecteur.

Dans l'immédiat, il reconnaît qu'il s'agit avant tout "d'une expérimentation, et cela, nous allons l'observer et l'analyser (...) Des chercheurs universitaires, des conseillers pédagogiques et des inspecteurs de l'Education nationale suivront les choses de près."

"C'est une expérimentation" martèle-t-il. "On veut savoir comment ça marche, il faut construire une pédagogie. Ensuite, le recteur nous dira 'Ok, on continue', ou bien 'On poursuit le test durant quelques années.'

Pour la suite, rien n'est donc encore décidé, loin de là. "Il y a d'abord un questionnement pédagogique : Les enfants doivent suivre un programme. Est-ce possible en trois langues ? C'est le premier point. Le second concerne le nombre d'enseignants : Avons-nous suffisamment d'enseignants dialectophones pour rendre possible la suite de cet enseignement immersif à l'école primaire ? On ne le sait pas encore. On fait comme on peut."

Au début du projet, voici deux ans, l'Education nationale avait envoyé un courrier à 4000 enseignants de maternelle et primaire en Alsace, (enseignants bilingues comme monolingues du premier degré), pour leur demander s'ils maîtrisaient l'alsacien, et si, le cas échéant, cette expérimentation d'enseignement de la langue régionale en classe immersive les tentait. Sur les 4000, seuls... deux avaient répondu, dont Pascale Riehl.

"C'est ma langue maternelle, je pense, je vis et j'ai des émotions en alsacien, pas en français ni en allemand" s'exclame cette dernière. "C'est un tel trésor, il y a tant de nuances, de poésie. Ce serait tellement dommage qu'elle se perde. Donc si on ne fait rien, on aura beau pleurer, et nous lamenter, ce sera de notre faute. Mais j'y crois, et pour l'instant c'est super."

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