La première fois que Yaffa est venue en Alsace c’était en 2014 à la faveur d’un voyage organisé par l’association Les enfants de Tchernobyl. Après six étés passés dans la famille Lutz de Landersheim (Bas-Rhin) durant son enfance, elle a repris le chemin de l’Alsace il y a un an, chassée par la guerre, pour un séjour sans billet retour.
Yaffa est postée derrière le bac à shampoing d’un salon de coiffure strasbourgeois. Elle masse délicatement les cheveux d’une cliente qui manque de s’endormir. "Elle a des doigts en or. Elle est vraiment faite pour ce métier", s’extasie la cliente.
Yaffa a commencé son apprentissage le 26 juillet dernier. "Nous avons eu du mal à trouver un patron. Nous avons fait tous les salons de coiffure qui sont sur la ligne de bus entre Saverne et Strasbourg, nous raconte Yaffa. Et quand la responsable du salon m’a dit que c’était bon, elle me prenait, j’étais très contente".
Le français de Yaffa est encore hésitant, mais les sourires et l’enthousiasme qu’elle met à parler la langue font oublier toutes ses maladresses. Yaffa a 19 ans. Elle est Ukrainienne. Elle vient de Narodytchi une ville qui se situe à 90 kilomètres de Tchernobyl. C’est dans cette zone, que la Russie a mené sa première offensive, au début de la guerre.
Albert Lutz est administrateur de l’association Les enfants de Tchernobyl. Avec sa femme Cathy, il accueille Yaffa dans sa maison de Landersheim (Bas-Rhin) depuis son arrivée en France. "Aujourd’hui, Yaffa est réfugiée, mais nous l’avons accueillie la première fois quand elle avait 11 ans. Nous avions décidé, avec ma femme, d’accueillir un enfant de Tchernobyl, c’était en 2014", nous explique Albert Lutz. "Quand la guerre a éclaté, nous nous sommes inquiétés et nous avons pris contact avec elle pour lui proposer de venir vivre chez nous. Au début, elle ne voulait pas". À ce moment-là, Yaffa et ses proches vivent cloîtrés dans leur maison et se réfugient dans la cave quand la menace se rapproche.
Une nouvelle vie s'organise
Les choses s’accélèrent le jour où la maison de la meilleure amie de Yaffa explose sous une bombe. Yaffa, dont la famille est dispersée en Europe et en Israël, décide de fuir avec deux amies et leurs enfants. Elle reprend contact avec la famille Lutz pour leur dire qu’elle prend la route pour les rejoindre. Le voyage commence en bus jusqu’en Pologne, puis le train jusqu’en Allemagne. Albert Lutz est sur le quai d’Offenbourg quand le train de Yaffa entre en gare. Une de ses amies est restée en Pologne, l’autre est prise en charge par une famille de Lingolsheim. Yaffa est à l’abri dans une famille avec laquelle elle n’avait jamais rompu le contact.
Très vite, une nouvelle vie s’organise pour elle. Les quelques mots de français enregistrés lors de ses différents jours ne suffisent pas pour se lancer dans les études. Albert prend les choses en main. Yaffa est inscrite à un cours de français proposé par l’association Accueil sans frontière à Saverne. La jeune femme qui avait suivi un cursus de 5 mois de coiffure et d’esthétique en Ukraine, souhaite s’engager dans une formation en France. Le CFA de Saverne lui offre cette possibilité. Le porte-à-porte lui permet de trouver un salon de coiffure pour faire son alternance. Un an après son arrivée en Alsace, Yaffa se rêve une nouvelle ici, un métier. Elle envisage de passer son permis à l’automne. Quand elle aura trouvé un emploi, elle souhaiterait s’installer dans un appartement.
D’ici là, la famille Lutz veille au grain, heureuse de voir que les liens tissés dans le passé grâce à l’association Les enfants de Tchernobyl, se renforcent. "Nous la considérons comme notre fille et nos enfants comme une petite sœur", analyse Albert Lutz. Attablée à côté de lui, Yaffa opine en le regardant avec tendresse.