La crêpe à l'alsacienne, appelée "Eierküeche", est plus épaisse et riche en œufs que la crêpe traditionnelle. Autrefois souvent mangée le vendredi, jour sans viande, elle est toujours très appréciée dans certaines familles qui la préparent de génération en génération, en version salée ou sucrée. Un délice régressif.
Il suffit de quelques ingrédients très simples pour s'offrir un voyage, ou plutôt un retour en enfance. C'est très souvent l'effet que procure la crêpe à l'alsacienne, dès les premières odeurs qui se dégagent de la poêle.
Pour Dominique Radmacher, cuisinier de métier, les eierküeche sont "une madeleine de Proust, un petit bijou". Il se revoit, gamin, en train de les dévorer chez sa "mémère", dont il a hérité la recette. De la farine de blé, de l'eau gazeuse — plutôt que du lait pour une pâte plus aérienne — du sel, du poivre, de la ciboulette et des œufs, évidemment. Il en faut beaucoup, mais rien de plus logique, les eierküeche ne sont littéralement rien d'autre qu'un gâteau aux œufs.
"Elles doivent être bien épaisses, car ce ne sont pas des crêpes traditionnelles. On laisse les crêpes aux Bretons, en Alsace, on fait des eierküeche, sourit Dominique. Ça n'existe nulle part ailleurs, si ce n'est en Allemagne et en Autriche. C'est de là que nous vient la recette."
Un patrimoine que le quinquagénaire tient à transmettre absolument : "À l’époque, on cuisinait beaucoup ce genre de plats. Les gens n'avaient pas beaucoup d'argent, ils ne mangeaient pas de la viande et du poisson tous les jours. Aujourd'hui, la situation est différente, mais c'est toujours aussi bon."
Avec les restes, une "schüehbandelsupp"
Chaque famille a ses habitudes. Certaines mangent les eierküeche avec de la sauce tomate, d'autres en gratin avec du jambon, de la béchamel et du gruyère. La grand-mère de Dominique Radmacher les servait avec des pommes de terre rôties et de la salade.
Comme elle, il prévoit volontiers une grande quantité de pâte pour avoir des restes, qu'il coupe ensuite en lanières pour les ajouter à une soupe ou à un bouillon et savourer une schüehbandelsupp (une soupe de lacets de chaussures).
Il décline également les crêpes alsaciennes en version sucrée, avec des fruits. Le plus souvent des pommes, pour cuisiner des äpfelkiechle. C'est l'une des spécialités d'Alphonsine Knaebel.
En version sucrée, des crêpes aux pommes accompagnées de soupe de légumes
Elle pourrait en parler des heures. "Tout le monde adore et m'en réclame", assure-t-elle. Lorsqu'elle s'y met, il lui arrive d'en préparer plus d'une centaine. Elle en offre à ses enfants, ses voisins, des amis…
Il faut dire qu'elle maîtrise l'élaboration des äpfelkiechle à la perfection. Elle reproduit les gestes que lui a appris sa grand-mère (tiens, tiens), "fière d'avoir pris le relais", tout en ayant pris soin depuis de chercher la recette parfaite. Plus de cannelle, plus de sucre, et les pommes adéquates (des idared, voire des jaunagold ou des boskoop) pour un résultat fondant-croquant.
Alphonsine n'attend pas de passer à table pour goûter, avec son commis de mari. À peine la première crêpe alsacienne aux pommes cuite, qu'ils se la partagent. "C'est meilleur qu'un morceau de viande", estime René. Lui aussi savourait déjà ce délice sucré lorsqu'il était enfant.
Un plat bon marché, mais consistant, accompagné d'une soupe de légumes. Et même pourquoi pas, pour prolonger le plaisir, d'une boule de glace à la vanille pour le dessert.
La recette des crêpes à l'alsacienne (eierküeche)
Les ingrédients pour environ 6 crêpes :
300 g de farine de blé T55
sel
poivre
25 cL d'eau gazeuse
4 œufs
ciboulette
La préparation
Mélanger la farine, le sel, le poivre et l'eau. Procéder dans cet ordre (sans les œufs dans un premier temps) permet d'éviter la formation de grumeaux.
Battre les œufs en omelette. Ajouter la moitié à la pâte, mélanger, puis ajouter le reste des œufs et la ciboulette. Laisser reposer la pâte au moins une heure au frais.
Faire chauffer du beurre dans une poêle. Prélever deux louches de pâte et les déposer dans la poêle sur une épaisseur d'un centimètre environ. Laisser cuire quelques minutes jusqu'à ce que la crêpe soit bien colorée, puis retourner pour faire dorer l'autre côté.
Didier Radmacher a pour habitude de manger ses crêpes à l'alsacienne avec des pommes de terre rôties et de la salade verte qu'il dépose sur la crêpe. Il apprécie tout particulièrement le goût des pommes de terre et des crêpes imprégnées de vinaigrette.
S'il reste des crêpes, il les coupe en lanières qu'il met dans un bouillon ou dans une soupe. Cette schüehandelsupp est servie le soir ou le lendemain.
La recette des crêpes alsaciennes aux pommes (äpfelkiechle)
Les ingrédients pour 4 personnes :
6 œufs
4 cuillères à soupe de sucre
2 sachets de sucre vanillé
40 cL de lait
500 g de farine de blé
1 pincée de sel
1 cuillière à café de cannelle
6 pommes (de préférence la variété idared, voire la jaunagold ou la boskoop). Il est également possible de réaliser cette recette avec des cerises (pour faire un kirschekiechle), des myrtilles (heidelbeerekiechle) ou encore des coings (kittakiechle) selon la saison.
La préparation
Éplucher les pommes et les couper en dés.
Battre les œufs avec le sucre et le sucre vanillé. Ajouter le lait, la farine, le sel et la cannelle. Bien mélanger avec le batteur. Puis ajouter les pommes.
Faire chauffer de l'huile dans une poêle, prélever une louche de pâte par portion et déposer dans l'huile (former plusieurs tas de pâte selon la taille de la poêle). Faire frire environ trois minutes de chaque côté.
Après cuisson, saupoudrer de sucre ou d'un mélange sucre-cannelle.
Alphonsine Knaebel sert ses crêpes alsaciennes aux pommes avec une soupe pour le repas, voire avec une boule de glace vanille en dessert ou pour le goûter.
Article initialement publié en janvier 2024.