En Alsace, le dialecte est loin d'être unifié. D'un bout à l'autre de la région, entre alsacophones, il faut parfois faire un petit (ou un gros) effort pour bien se comprendre. Car il y a non seulement des différences d'accents, mais aussi de vocabulaire. Second volet de la balade linguistique, dans le cadre de la semaine des langues régionales.
Le mot "pomme de terre" se dit-il "Grumbeer" ou "Aardepfel", parfois "Hardepfel", selon qu'on vive au nord ou au sud de l'Alsace. Le mot "cheval" devient, selon les endroits : "Gaul", "Ross", Pferd" ou "Perd". On utilise soit "Hààgel" soit "Schloosse" pour les grêlons, "Spicher", "Kàscht" ou "Bihn" pour le grenier. "Quetschle" ou "Zwatschge" pour les quetsches, "Tààrt", "Küeche" ou "Waije" pour une tarte, et "Komfitüür", "Müess" ou Schläggel" pour de la confiture.
Les exemples de synonymes en alsacien sont innombrables. Avec le souci que la plupart de ces termes ne sont connus et utilisés que dans des secteurs restreints de la région, et méconnus, voire incompris, ailleurs. Et contrairement aux différences de prononciation, ces variations ne se superposent pas forcément aux distinctions linguistiques entre francique, bas- et haut-alémanique qui subdivisent notre petit territoire.
"On utilise des mots différents pour désigner les choses, tout simplement parce qu'on les ressent d'une autre manière, rappelle Dominique Huck, professeur émérite en dialectologie et en sociologie linguistique de l'université de Strasbourg. On répartit et on nomme le monde avec les mots dont on dispose, et qu'on utilise."
Ainsi, pour désigner une "carotte" (qui se dit "Karotte" ou "Möhre" en allemand standard), le mot le plus usité en Alsace est : "Gälerüeb", et ses variantes de prononciation allant jusqu'au "Chaleriebli" près de la frontière bâloise. Il signifie simplement : "rave jaune". "On compare la carotte à une rave, en précisant sa couleur, détaille Dominique Huck.
En Alsace bossue, en revanche, ce légume est qualifié de "Wurzel" (racine), "qui est simplement une autre manière de le nommer en décrivant le fait qu'il pousse dans le sol." Et dans la vallée de Munster, il est appelé "Bàschnaï", un mot totalement différent, qui serait "d'origine romane" selon le linguiste.
En alsacien, il existe aussi différentes manières de marquer le pluriel. Ainsi, dans la région de Bischwiller, dans le Kochersberg ou en Alsace bossue, le pluriel du mot "Kind" (enfant), qui prend traditionnellement la forme de "Kinder" (ailleurs en Alsace, ainsi qu'en hochdeutsch), devient "King". Et le pluriel de "Hànd" (main), traditionnellement "Händ", devient "Häng" ou "Hang".
"On a deux possibilités, explique Dominique Huck. "On ajoute un suffixe, généralement "er", ou on prononce autrement la fin du mot. Pour l'Alsace, on sait que "King" était beaucoup plus répandu. Mais par la suite, c'est "Kinder" qui a pris le dessus. Cependant, il est intéressant de voir que jusqu'à aujourd'hui, des particularités comme celle-ci ont été préservées localement."
Globalement, le dialectologue estime plutôt remarquable qu' "après autant de temps, aussi peu de choses ont changé." En 1 500 ans, les divergences auraient pu être nettement plus grandes, selon lui. Avec un peu d'effort, chaque Alsacien peut donc réussir à comprendre ce qu'un autre lui dit. "Si l'oreille est un peu habituée, il n'y a pas de grande difficulté, estime Dominique Huck. Ce qui m'étonne toujours, c'est que les différences ne soient pas plus importantes."
Et même si, pour commander une "bière", ont dit "Bäär" à Truchtersheim et "Bier" à Stutzheim, cinq kilomètres plus loin, cela n'a jamais empêché les uns et les autres de boire quelques coups ensemble.