Le Sundgauvien Jacques Hengy a plus d'une corde à sa guitare. Ce musicien professionnel restaure également des maisons alsaciennes. Et a inventé un système de construction et d'isolation à "colombages doubles" qui permet d'adapter les maisons à pans de bois aux normes actuelles. Rund Um l'a rencontré.
De la guitare aux colombages, de la musique au patrimoine. Pour Jacques Hengy, tout est lié, et tout le passionne. "J'ai grandi à Ligsdorf, au sud du Sundgau, raconte-t-il en rigolant. J'ai eu de la chance. A trois kilomètres près, j'aurais été un Suisse. La frontière passe juste derrière la colline." Il vit toujours dans ce petit village de 250 habitants, et enseigne la guitare à l'école de musique de Ferrette.
Son amour pour cet instrument lui vient par le biais de son frère, rentré du service militaire avec une guitare. Puis grâce à un stage, à Auxerres, avec de "super profs. C'était magique, j'avais 14 ou 15 ans" se souvient-il. Mais à l'époque, dans les années 1970, les guitaristes sont rares dans la région. "A Strasbourg, il y a eu la première classe de guitare de France" mais c'est trop loin pour lui.
Il finit par trouver un enseignant à Mulhouse. "Je prenais l'autobus à 6h, et marchais jusqu'en ville pour suivre une heure de cours, puis je rentrais en stop, car les trajets coûtaient cher. J'ai fait ça durant quelques années. Enfin, un prof de guitare a intégré l'école de musique d'Altkirch, et j'ai pu continuer à me former."
Dès les débuts de sa carrière, Jacques Hengy organise de nombreux festivals de musique en Alsace, en Allemagne et en Suisse. Au fil du temps, il se lie d'amitié avec "de super guitaristes d'Amérique du Sud." Lorsqu'en 1992, à l'occasion des 500 ans de la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, il organise un grand festival de guitare "dans les grandes et les petites villes" d'Alsace, "des guitaristes sud-américains reconnus sont venus, chacun a interprété des musiques de son pays."
Et le festival se termine par "un petit miracle" : ces musiciens, dont les Argentin Juan Falù et Jorge Cardoso, "fondent GUIA, 'Guitares d'Amérique' et, rentrés chez eux, "continuent à organiser des festivals de guitare sur le même modèle."
Il restaure sa maison
Mais les mains de Jacques Hengy, qui font chanter les cordes, savent tout autant manier la scie et la truelle. La maison qu'il occupe avec sa famille, "presque la plus ancienne du village, en 1630 elle était déjà mentionnée sur le cadastre", c'est lui qui l'a restaurée de fond en combles, murs, charpente et toit y compris.
Une aventure de jeunesse, qui fait sa fierté, à juste titre. "J'avais 23 ans. C'était la maison de mes grands-parents, et elle tombait en ruines. Dès mon enfance, j'avais voulu la sauver, et j'y suis arrivé." Et il n'en était pas à son coup d'essai, car auparavant, il avait déjà aidé à démonter de vieilles maisons alsaciennes. "Mais là c'était pour moi-même, donc j'y ai mis toute ma joie."
Il invente un système d'isolation
Le virus de la rénovation de maisons alsaciennes ne le quitte plus. Et il imagine un système permettant de construire ou de rénover des maisons à pans de bois tout en leur assurant une isolation optimale : le système de la "double poutre", qu'il a fait breveter.
"Le principe est celui d'un colombage doublé" explique-t-il. "L'idée, au lieu d'une poutre unique, est d'en utiliser deux", moitié moins larges, et de les relier par "un treillis de bois qui donne l'épaisseur du mur. Cette épaisseur peut être variable."
En construction, ce procédé peut s'adapter à tous les styles de maisons à pans de bois, "alsacien, normand, renaissance..." Il fonctionne un peu sur le même principe que celui des maisons à ossature bois. Chaque mur est entièrement réalisé en amont, avant d'être mis en place, tout équipé.
Après la première étape, l'assemblage des parties en bois, la structure est couchée au sol, et complétée par des cables électriques et autres équipements prévus. "Puis on la remplit avec le mélange isolant, fait de chaux et de chanvre. Comme il est liquide, il s'infiltre dans le treillis. Il forme donc une continuité, toute la longueur du mur est remplie d'un coup, sans risque de microfissures" précise l'inventeur.
Lorsque ce mélange isolant est sec, il suffit d'ajouter les enduits de finition, pour l'extérieur comme pour l'intérieur. "C'est fait en une fois pour tout le mur" ajoute Jacques Hengy. "Puis le mur est levé, on le met en place, et c'est terminé."
Des étudiants polytechniciens de Lausanne (Suisse) comme de Karlsruhe (Allemagne) s'intéressent déjà au système de la "double poutre". Et pour son mémoire, le fils de Jacques Hengy, Jules, vérifier s'il est également compatible avec la rénovation des maisons anciennes. Il étudie s'il est possible, lors de restaurations lourdes impliquant de démonter et remonter tout l'édifice, de scinder les anciens colombages en deux afin de leur appliquer le même procédé.
"Je vais voir si ça marche, ou pas, mais en principe, ça devrait le faire" estime le jeune étudiant. "On peut éventuellement ajouter un peu de bois neuf, pour consolider la structure. Mais à l'intérieur comme à l'extérieur, l'aspect doit être préservé."
Selon lui, appliquée à la rénovation, l'invention de son père aurait un autre gros avantage : maintenir l'esthétique de l'ancien, tout en ajoutant un confort maximal. "On déconstruit et on reconstruit. Ce n'est pas simplement rénover, c'est moderniser. Il faut que la maison garde son aspect d'origine, tout en intégrant les normes actuelles. Qu'elle soit comme un bâtiment neuf, qui tiendra à nouveau durant plusieurs siècles."
Bientôt un village-vacances sur ce principe
Voici quelques années, "en se promenant en famille" du côté de Ferrette, Jacques Hengy découvre un ancien village-vacances d'EDF, fermé et laissé à l'abandon. Il y voit "le lieu idéal" pour y tester son invention, et rachète l'ensemble du site.
Son idée est de remplacer la trentaine de bungalows en mauvais état par de petites maisons à colombages, construites selon son système de la "double poutre". Dès qu'il aura obtenu la validation de son brevet, les travaux pourront commencer. Et il prévoit déjà un ajout supplémentaire, pour lequel il attend également un brevet : des panneaux solaires intégrés dans l'espace entre les poutres.
Une source d'inspiration 100% sundgauvienne
Un festival de guitare alsacien qui a essaimé sur le Nouveau continent. L'amour pour la musique, qui est "une langue universelle", transmis à des générations d'élèves. Et des idées à foison pour préserver et magnifier le patrimoine architectural régional.
Jacques Hengy en est persuadé. Ses élans artistiques et son esprit créatif lui viennent d'une seule source : celle de la rivière Ill, qui sourd à quelques centaines de mètres de sa maison à Ligsdorf, et où il va régulièrement se promener pour y puiser de nouvelles idées.
Il en veut pour preuve la quantité d'artistes et d'inventeurs qui ont vécu non loin de l'Ill, un peu plus au Nord, dans la capitale alsacienne. Il les imagine tous longer ses berges durant leurs heures d'insomnies. "Parmi les plus grandes découvertes qui ont fait avancer l'humanité, prenons Gutenberg. Il était à Strasbourg, et sans lui, l'humanité ne serait pas aussi avancée" estime-t-il "Il y avait aussi Pasteur, Goethe.. Même Mozart a séjourné à Strasbourg. Et bien, il paraît que tous ces gens ont déambulé le long de l'Ill, qui les inspirait. Et toute cette inspiration, si on remonte le cours de la rivière, elle vient d'ici."
Mais à Ligsdorf, le lieu reste confidentiel. Un minuscule ruisseau au bas d'un pré. Cette discrétion convient bien à Jacques Hengy : "Cette source d'inspiration, il ne faut pas trop en parler" s'amuse-t-il. "C'est un véritable trésor." Qui, selon lui, doit rester un peu caché, un peu secret, pour ne rien perdre de sa magie.