Moutons, légumes, fromage, laine, noix et plein d'autres choses font le quotidien d'Aurélie Quirin. Dans sa ferme à Weyer, en Alsace Bossue (Bas-Rhin), la jeune paysanne travaille en bio et fourmille d'idées pour valoriser ses produits.
Depuis fin janvier, Aurélie Quirin passe une grande partie de son temps à la bergerie de sa ferme Lisel, à Weyer. C'est le temps de l'agnelage, et un peu partout, bien au chaud sur le foin, des petites boules blanches font la sieste, tandis que d'autres, déjà plus solides sur leurs pattes, commencent à jouer et gambader. Un bon quart des bébés prévus sont déjà arrivés, les autres naîtront au fil des semaines, jusqu'en avril.
La jeune femme doit sans cesse poser puis déplacer des barrières métalliques. Elle aménage ainsi des petits enclos protecteurs pour les nouveau-nés d'un à deux jours et leur mère. Et surveille aussi si tout se passe bien, car pour bon nombre de ses 56 jeunes brebis, ces naissances sont une première.
"Normalement, la mère gère toute seule", explique-t-elle. Mais si c'est la première fois, ou en cas de naissances multiples, "il faut vérifier que chaque petit a bien bu, et qu'elle les laisse tous accéder à ses tétines." Elle palpe donc l'estomac de chaque agneau, derrière les côtes, pour détecter s'il est bien plein. Et dans le cas contraire, elle complète son alimentation au biberon.
Du fromage, mais de brebis
Il y a deux ans, lorsque ses parents avec lesquels elle travaillait depuis vingt ans ont pris leur retraite, Aurélie Quirin a décidé de changer de production. Jusque-là, leur activité se concentrait principalement sur les vaches laitières.
"Moi, je voulais faire du fromage, explique-t-elle. "J'aime en manger, et je voulais aussi une activité que je puisse gérer du début à la fin (…) Mais du fromage au lait de vaches, on en trouve partout en Alsace, comme en Lorraine proche. Alors qu'au lait de brebis, c'est beaucoup plus rare." Aujourd'hui, seules quatre exploitations en produisent dans le Bas-Rhin, et la sienne est l'unique en bio.
Elle a donc constitué peu à peu son cheptel, aménagé une petite salle de traite qui lui permet de traire à la main tout en restant debout, et une fromagerie, où elle produit de la tomme, des fromages frais et affinés, des yaourts, du riz au lait… "Une brebis ne donne qu'un litre à un litre et demi de lait par traite, précise-t-elle. Mais pour la transformation, c'est un lait très riche, dont le rendement est largement supérieur à celui du lait de vache."
Une production saisonnière
Mais dans l'immédiat, la salle de traite, comme la fromagerie, restent inutilisées. Car la ferme vit au rythme des animaux. "Pour les brebis, c'est particulier, elle peuvent seulement être saillies par le bélier à l'automne, explique la jeune femme. Elles portent durant l'hiver, et mettent bas de janvier à avril."
Autrement dit, à partir de fin octobre, plus aucune d'entre elles ne peut être traite. Et la production de fromage ne reprend qu'en février, dès lors que les premiers agneaux de l'année sont sevrés. "La vie à la ferme s'organise donc autour de ça."
Du maraîchage bio, pour mieux nourrir les gens
A côté des moutons, Aurélie Quirin produit aussi des légumes, sur un hectare, où tout est fait main. Là aussi, c'est la morte saison. Mais il est déjà temps de préparer les premiers semis d'oignons, dans la petite serre "non chauffée", précise-t-elle.
Un travail qu'elle affectionne. "C'est chouette de semer, à la fin de l'hiver, et d'observer comment ça pousse" sourit-elle. Et elle se réjouit déjà de pouvoir, d'ici quelques semaines, repiquer ses mini-pousses de céleri, "un travail d'une journée, très zen."
Ce maraîchage est aussi une activité qu'elle-même a initiée dans la ferme familiale. "Il y a 20 ans, quand j'ai rejoint mes parents, ils ne le faisaient pas, se souvient-elle. Notre lait, un camion venait le chercher, pour l'emmener près de Paris, où il était pasteurisé, avant d'atterrir dans les supermarchés. Et je trouvais ça frustrant (…) J'avais envie de plus de contact avec les gens. Je voulais produire quelque chose pour les nourrir. Quelque chose que je pouvais vendre immédiatement, sur place."
Là aussi, la saisonnalité est de rigueur. Aurélie Quirin n'a "pas de tout toute l'année, et pas de tout en grandes quantités." Et continuer à produire en bio, comme ses parents le faisaient depuis 1998, était juste une évidence. "Je ne me suis même pas posé la question. Je ne me l'imaginerais même pas autrement" s'exclame-t-elle.
Mieux valoriser la laine
Durant la période estivale, la jeune femme travaille en moyenne de 5 heures du matin à 21 heures. D'innombrables heures, indispensables pour pouvoir cueillir les légumes les plus fragiles à l'aube et au crépuscule, traire les bêtes, et transformer le lait à la fromagerie.
Les mois d'hiver, en revanche, lui laissent parfois un peu de répit pour laisser cours à sa créativité. Quand elle trouve de ci-de là une ou deux heures de disponibles, elle s'installe sous le "Schopf" (hangar) avec son écharpilleuse, et un gros sac de laine.
"Mes moutons sont tondus une fois par an, précise-t-elle. J'élève mes bêtes pour leur lait, mais je ne veux pas jeter la laine, car c'est un beau produit, avec lequel on peut faire plein de choses."
Un premier tri permet de séparer "les poils longs, courts, propres ou plus sales". Elle donne ces derniers à ses clients, qui les utilisent comme paillis et fertilisant dans leur jardin. Mais "ce qui est court et vaporeux, elle le passe dans cette antique machine à balancier, qui peigne la laine, sépare les brins, et fait tomber les résidus de foin."
Puis, après l'avoir lavée, durant les soirs d'hiver, elle feutre cette laine à l'aide d'une aiguille. Une autre activité qui l'émerveille. "J'ai toujours aimé travailler la laine, c'est agréable au toucher, c'est chaud, c'est doux." Elle voulait créer "quelque chose que les autres ne font pas, et qu'on ne trouve pas partout." Et l'idée lui est venue d'en faire… des boucles d'oreilles.
Les formes données à la laine feutrée peuvent varier : boules rondes, cubes, gouttes, brins allongés… Les couleurs aussi : beige clair, brun clair ou brun sombre. "J'utilise de la laine naturelle, et je la teinte avec de l'écorce de chêne ou du brou de noix" précise la jeune femme. Ses premiers bijoux, créés en décembre dernier, ont déjà fait de nombreux heureux. "A Noël, pas mal de gens des alentours en ont reçu" assure-t-elle.
Avec sa laine, Aurélie Quirin voudrait aussi faire des coussins, pouvoir la filer, et même, à terme, lancer un atelier de bricolage. "Des idées, j'en ai plein, mais le temps me manque" soupire-t-elle.
Des produits originaux à partir de tout
Pour ne rien gaspiller, et proposer sans cesse des produits originaux à ses clients, elle teste aussi plein de choses avec ses fruits et ses légumes. Comme décortiquer ses noix et les faire caraméliser.
"A la saison des noix, je crée des gourmandises avec les noix. A la saison des pommes de terre, je prépare des Grumbeerekiechle (galettes de pommes de terre). Au printemps, je propose des plants d'herbes aromatiques, énumère-t-elle. A l'automne, il y a du jus de pommes, ou des anneaux de pommes séchées, ou encore des oignons déshydratés. Je fais sans cesse des essais."
Tout est vendu à la ferme
Exceptés quelques kilos hebdomadaires de légumes et de pommes de terre, qu'elle livre à la crèche de la commune voisine, Drulingen (Bas-Rhin), elle vend toute sa production dans sa grange, le vendredi soir et le samedi matin.
Dans l'immédiat, son étal n'est plus très garni. Il lui reste des pommes de terre, les derniers potirons, des oignons, des noix, fraîches ou caramélisées, des boucles d'oreilles, et du pain cuit par le boulanger avec la farine de son propre blé.
"Les clients le comprennent, assure-t-elle. Ils ont accepté de suivre les saisons, et de manger les légumes au moment où ils sont produits, et là où ils sont produits. Ils savent qu'il n'y a plus beaucoup de choix. Mais d'ici peu, j'aurai à nouveau bien plus de choses à proposer."
Tout vendre sur place lui convient parfaitement. "Je ne travaille pas avec les grandes surfaces, car je peux tout écouler ici, précise-t-elle. Je produis en petites quantités, et je m'efforce de les valoriser au mieux. Et ça me plaît. C'est un vrai plaisir, quand les clients reviennent et me disent : 'J'ai goûté, et c'était bon !' Mon plus beau salaire, c'est la reconnaissance des gens."
Question salaire, la jeune femme reste discrète sur sa propre rémunération. Particulièrement durant cette période creuse, car "c'est (sa) première vraie saison avec une coupure en hiver, à cause des brebis." Elle estime qu'il lui faudra quelques années avant d'avoir le recul nécessaire pour voir "si c'était le bon pari". Elle limite aussi autant que possible ses déplacements en tracteur, et donc ses frais de carburant. Mais globalement, elle garde bon espoir que "ça va marcher."
Et, surtout, à l'orée du printemps, elle se réjouit déjà de ce qui l'attend. D'ici peu, elle sera à nouveau submergée par d'innombrables activités. Mais sans jamais oublier de s'émerveiller face à la nature, et ses richesses renouvelées au fil des saisons.