Visiter un ancien site pétrolier à la lampe de poche, et un musée du textile, des idées pour la prochaine Nuit des musées

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Au programme, une visite nocturne de la friche industrielle de Preuschdorf.
Sujet Rund Um en alsacien sous-titré ©France Télévisions

A Preuschdorf, jusqu'en 1965, des mineurs cherchaient le pétrole à 200 mètres sous terre. Et le drap de laine a fait la renommée de Bischwiller jusqu'au 20e siècle. Deux sites, participants à la Nuit européenne des musées, racontent ces pans d'histoire industrielle régionale oubliés.

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Ce samedi 18 mai 2024, c'est la 20e édition de la Nuit européenne des musées. En Alsace, comme partout en France, des dizaines de musées ouvrent leurs portes en nocturne avec, parfois, des animations particulières.

L'équipe du musée du Pétrole de Merkwiller-Pechelbronn propose une balade insolite, à la lampe de poche, sur une friche industrielle d'ordinaire fermée au public :  le carreau Clémenceau, un ancien site pétrolier où, jusqu'à sa fermeture en 1965, des mineurs venaient extraire le pétrole visqueux dans les entrailles de la terre.

Et de son côté, le musée de la Laub, au centre de Bischwiller, propose une visite guidée pour redécouvrir comment, du 17e jusqu'au milieu du 20e siècle, la production de textile a contribué au rayonnement de la ville. 

Un soir sur le carreau Clémenceau

Ce samedi soir, entre chien et loup, il est possible de découvrir un lieu normalement interdit d'accès, situé entre les communes de Merkwiller-Pechelbronn et de Preuschdorf. L'histoire du pétrole et de son extraction en Alsace du Nord durant près de 500 ans est racontée dans le petit musée du Pétrole de Merkwiller-Pechelbronn. Mais une balade sur cet ancien site industriel à l'abandon depuis près de 60 ans, propriété de la communauté de communes Sauer-Pechelbronn, lui offre une toute autre dimension.

Passée la grille d'entrée, d'ordinaire verrouillée, les visiteurs longent l'ancienne maison du gardien, surmontée d'un clocheton. Déjà visible de la route, c'est l'un des derniers bâtiments encore intacts, qui abrite régulièrement des œuvres d'art contemporaines.

Le chemin large, bordé de haies et d'arbustes, est celui qu'empruntaient quotidiennement les mineurs, jusqu'en 1965. Mais depuis que toute activité humaine s'est arrêtée, la nature a largement repris ses droits. 

Un ancien site industriel

"Beaucoup de salariés arrivaient à vélo, et les posaient ici, où il y avait un grand garage, raconte Denise Weinling, ancienne présidente des Amis du musée du Pétrole. Là où il y a maintenant toute cette végétation, se dressait toute une série de bâtiments. Les vestiaires où les hommes se changeaient. Les douches. La lampisterie, car chaque ouvrier avait sa propre lampe, avec un numéro, ce qui permettait de vérifier, le soir, s'il manquait à l'appel."

Une centaine de mètres plus loin, derrière un grillage, une grande dalle de béton est encore bien visible. "Là vous vous trouvez devant le puits de descente numéro 1, qui a été bouchonné et bétonné", explique Pascale Roll-Schneider, médiatrice culturelle du musée.

Accrochées au grillage, d'émouvantes photos du début du 20e siècle rappellent qu'ici se dressait "un chevalement, par-dessus le puits. Avec un système relié par câbles à des machineries dans un bâtiment à l'arrière, pour actionner les descentes."

En effet, ici, pour extraire le pétrole, les hommes devaient descendre jusqu'à 200, voire 400 mètres sous terre. "C'est très rare de chercher du pétrole de cette manière, reconnaît Denise Weinling. La spécificité est qu'ici, il n'est pas liquide, mais très dense et visqueux." Il était donc difficile de le pomper.  

"Ainsi, en 1917, le directeur d'alors a eu l'idée d'aller le chercher dans le sol. Et donc de creuser des puits, et des galeries comprenant, tous les dix mètres, un trou dans lequel le pétrole s'assemblait. Et on le récupérait à partir de là. Huit de ces puits ont été creusés aux alentours de Merkwiller-Pechelbronn, le dernier n'a jamais été achevé."

Une poétique de l'espace

Le chemin continue. Derrière des buissons, à droite, et parmi de grands arbres, à gauche, émergent des pans de murs taggués, des bouts de béton et de ferraille, et des restes de bâtisses ruinées. "Tout est laissé à l'abandon, reconnaît Pascale Roll-Schneider. Mais c'est aussi ce qui fait le charme du lieu. Et il nous reste quelques bâtiments dignes d'être montrés, et qui permettent de raconter l'histoire des mineurs qui ont travaillé ici."

Mais d'emblée, le visiteur d'aujourd'hui est interpellé par la beauté du site, et son romantisme mélancolique, bien davantage que par sa reconstitution purement historique qui demande un gros effort d'imagination. D'ailleurs, l'équipe du musée ne s'y trompe pas, en y faisant venir, depuis quelques années, divers artistes, photographes, peintres et plasticiens, pour qu'ils lui offrent leur propre interprétation.

Actuellement, c'est l'artiste Corine Kleck qui propose l'une de ses œuvres en exposition dans la vitrine de la maison du gardien, côté route. Ainsi qu'une installation in-situ, intitulée "Soleils noirs", seulement visible lors des visites guidées.

Dans un grand bâtiment ruiné, elle s'est servie d'un tas de bidons rouillés d'huile de moteur et de liquide de refroidissement. Pour en faire émerger des coroles noires, fleurs, champignons ou tentacules, selon l'interprétation de l'observateur, réalisées à partir d'une ancienne bâche agricole cousue et thermoformée.

"Quand j'ai découvert le site, ces bidons m'ont passionnée, raconte-t-elle. Ils ont un rapport direct avec le lieu, le pétrole. Et j'ai eu envie de travailler avec ce matériau friable et persistant (…) J'imaginais la vie souterraine qui émergeait. Quelque chose de très organique. Et j'ai eu la chance de découvrir cette vieille bâche agricole. On est encore dans la pétrochimie."

L'œuvre crée "un jardin singulier et inquiétant", une forme de nature morte qui rappelle "la fragilité de la vie" et "les mutations de nos sociétés sur le monde du vivant." Ce samedi soir, dans la pénombre, seulement éclairée par des lampes de poche, elle prendra encore un autre relief, entre lumière et ombres. 

D'autres visites durant l'année

La visite nocturne s'achèvera par une grimpette d'un bon quart d'heure sur l'ancien terril désormais boisé – bonnes chaussures indispensables – dont le sommet offre un panorama à 360 degrés sur les Vosges, la Forêt noire et les villages alentour.

Pour cette Nuit européenne des musées, la réservation est largement conseillée, car pour des raisons de sécurité, les visiteurs de la friche ne peuvent circuler qu'en groupes relativement réduits.

Mais pas d'inquiétude. D'autres visites sont possibles durant l'année. Toujours encadrées, évidemment. "Il suffit de nous appeler, pour un groupe d'environ 10 personnes, précise Véronique Schoenfelder, l'une des guides. Il est alors possible de découvrir le carreau Clémenceau, de monter sur le terril, mais également de visiter le musée. Et même d'aller en forêt, pour voir comment le pétrole sourd encore du sol."

Un musée dédié au passé textile

C'est une splendide maison jaune à colombages, surmontée d'un clocheton, au cœur de Bischwiller. Edifiée en 1665, d'abord "maison commune", une sorte d'hôtel de ville, elle abrite depuis une quarantaine d'années le musée de la Laub. Ses deux étages offrent une plongée dans le passé. La salle du premier est un condensé d'histoire locale, allant de vestiges archéologiques de la préhistoire jusqu'à la mixité sociale au 19e siècle.

Mais d'emblée, c'est le grand espace muséal du rez-de-chaussée qui attire l'œil du visiteur. Là, des métiers à tisser de diverses époques et d'innombrables documents  racontent l'intense activité textile de Bischwiller, entre le 17e et le milieu du 20e siècle.

"On produisait à Bischwiller du drap de laine, raconte Christian Gunther, l'ancien conservateur. Avant la guerre franco-prussienne de 1870, il y avait ici près de 90 usines de drap, grandes et petites. Certaines se réduisaient à un seul métier à tisser installé chez un privé, d'autres comptaient 120 ou 150 ouvriers."

Et la renommée de leur production dépassait largement les frontières régionales et nationales. "J'ai l'exemple d'un fabricant qui allait chaque année à la messe de Francfort pour y proposer ses nouveautés, et en ramener de nouvelles idées" raconte Christian Gunther. Et au 19e siècle, certains drapiers bischwillerois fréquentaient même les grandes expositions universelles de Paris, Londres et New York, "et revenaient médaillés." 

A l'origine : le savoir-faire des huguenots

Cette histoire d'amour entre Bischwiller et le textile commence au 17e siècle, à l'époque des guerres de religion. Le prince Jean II de Deux-Ponts (Zweibrücken), le seigneur de la ville, est sensibilisé à la cause des protestants, les huguenots, par son épouse, sœur de l'un de leurs chefs.

Il ouvre donc les portes de Bischwiller à des huguenots "venus de Phalsbourg et d'Alsace bossue. A l'époque aussi, il y avait déjà des réfugiés, et ils étaient bien accueillis, rappelle Christian Gunther. Et ils sont arrivés avec leur savoir-faire, sans lequel Bischwiller ne serait pas devenue ce qu'elle est devenue."

Les nouveaux venus se regroupent dans un seul quartier, bientôt surnommé le "welsches Dorf" ("village welsche", c'est-à-dire "français") et constituent une "Zunft" (corporation). "On sait que vers 1700, il y avait 25 tisserands à Bischwiller. Ils travaillaient ensemble, et se rendaient sur les marchés en Alsace, en Lorraine et en Allemagne, pour y écouler leur marchandise."

Ils exercent aussi des métiers distincts. A ne pas confondre : le "Wewwer" (tisserand) qui travaille le lin et le chanvre pour en faire du linge de maison, draps de lit, serviettes et sous-vêtements, avec le "Tüechmàcher" (drapier) qui produit le drap de laine, un tissu épais principalement destiné aux vêtements. On trouve aussi des "Wollbereiter" (préparateurs de laine), des "Wollschärer" (racleurs de laine), des "Hieter" (chapeliers), et des "Strumpfstricker" (tricoteurs de chausses). 

Les métiers à tisser évoluent

Au début, chacun travaille chez lui, avec un métier à tisser en bois "qu'il a fabriqué lui-même, ou fait faire par un menuisier", adapté à la taille de sa "stubb" (son salon). "Certains fabricants ont commencé tout petit" rappelle l'ancien conservateur.

Mais au fil du temps, les métiers à tisser s'agrandissent et se perfectionnent. On les installe alors dans une nouvelle pièce plus spacieuse, créée à l'arrière de la maison.

"Toute la famille était mise à contribution, assure Christian Gunther. Les enfants rattachaient le fil lorsqu'il cassait, l'épouse travaillait de son côté. Et peu à peu, un "Gsell" (aide) ou deux venaient prêter leur concours." Puis c'est l'embauche de salariés, toujours plus nombreux. Après la Révolution, des familles juives se lancent également dans le tissage.

La production évolue vers une phase plus industrielle à partir de 1842, à partir du moment où "un fabricant de Bischwiller a installé une machine à vapeur dans sa manufacture. Alors, c'était parti ! Chacun en voulait une, on a construit des cheminées, et il y a eu près de 90 usines, partout en ville."

Les métiers en fonte remplacent les machines en bois. Mais "le système reste le même, rappelle Christian Gunther. Il y a toujours la navette avec le fil, qui fait ses allers-retours. Simplement, c'est automatisé, alors qu'avant, c'était fait à la main."

La production s'intensifie, et cet élan économique se traduit par l'arrivée du train. Dès 1855, Bischwiller est l'une des premières villes alsaciennes à avoir sa propre gare, sur la ligne de Strasbourg à Wissembourg. 

Des couleurs pour des usages bien définis

Selon les périodes, le drap de laine de Bischwiller adopte diverses couleurs, en fonction de l'usage qu'en font ses commanditaires. "Au départ, c'était du drap noir, qui servait à coudre les habits, 'Fräck' (vestes), pantalons et manteaux, détaille Christian Gunther. Après la Révolution, certains fabricants en ont produit du rouge garance et du bleu, pour habiller les soldats de Napoléon.

Dès la fin du 19e et au début du 20e siècle, l'usine Goellner Hirsch a aussi fait du drap vert, très réputé, pour recouvrir les tables de billard. Et un brave fabricant protestant réformé, Lambling, vendait au Vatican du drap jaune, pour ses gardes suisses." Et du drap noir aurait été commandé spécialement par la Grande Bretagne pour les funérailles de la reine Victoria, en 1901. 

Une industrie exangue après 1870

Mais ce "grand boom" connaît un immense frein après le conflit franco-prussion de 1870-1871. A son issue, l'Alsace-Moselle devient allemande, ce qui n'arrange pas les affaires des drapiers bischwillerois. En effet, la concurrence avec d'autres villes allemandes devient rude, et la qualité de drap est différente.

Près de 70 entreprises sur 90 optent donc pour la France, et se délocalisent, principalement vers la Normandie. Les chefs d'entreprises partent avec leurs machines, et les ouvriers les suivent. Forte de 11 500 habitants avant la guerre, la population bischwilleroise en perd 4 700 entre 1871 et 1885.

Pourtant, dans la petite ville alsacienne, la production parvient à se maintenir. Toujours avec du drap de laine, mais aussi de la jute, jusqu'au milieu du 20e siècle. La dernière entreprise ferme en 1960. Seule Vestra, une usine de confection masculine, se maintient jusqu'en 2002, mais son tissu est déjà fabriqué ailleurs.

Aujourd'hui, dans la ville, quelques anciennes cheminées et certains bâtiments majestueux dévolus depuis à d'autres usages évoquent encore ce passé révolu. Mais la mémoire de cette période glorieuse tend à s'estomper. D'où l'importance de ce lieu pour la maintenir vivace.

Depuis mi-avril, le musée de la Laub est ouvert chaque mercredi, samedi et dimanche après-midi de 14h à 18h. Et ce samedi 18 mai, pour la Nuit européenne des musées, il ouvre ses portes dès 19h, avec une visite guidée proposée à 19h30. Mais dès cet été, il restera fermé pour un an de travaux.

 

 

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