Il y a quelques semaines, le couple de Grands-Ducs nichant sur l'abbatiale de Wissembourg a donné naissance à trois petits. Fait rarissime en ville, pour ne pas dire exceptionnel. Aujourd'hui il n'en reste plus que deux, en pleine forme, en plein apprentissage avant de prendre leur envol définitif en automne.
C'est le rapace nocturne le plus grand d'Europe : le hibou Grand Duc (Bubo Bubo pour les savants), reconnaissable entre mille par son envergure et son profil aristocratique. Depuis 2018, un couple loge sur les corniches de l'abbatiale de Wissembourg. Décidément on ne se mouche pas du coude chez les Grands-Ducs.
Cette année, le couple a donné naissance à trois petits, fait rarissime en ville souligne Frédérique Merck de la Ligue de protection des oiseaux (LPO).
Espèce protégée
Frédérique Merck, ornithologue amateur, a souvent les yeux au ciel depuis quelques semaines. Observant quasi quotidiennement ces boules de plumes qui ne sont déjà plus si petites que cela. Elle les veille, les surveille. Ces petits sont rares mais sont aussi protégés. Par la loi comme par Frédérique.
En France, alors que tous les rapaces nocturnes ont été protégés dès 1902 en tant qu'oiseaux utiles à l'agriculture, seul le Grand-duc d'Europe était exclu de cette protection. Ces super prédateurs, carnivores, pouvant manger du scarabée jusqu'au héron, faisaient peur dans les chaumières.
Il n'a pu bénéficier d'une prohibition de la chasse qu'en 1964. Le mal était fait. Le Grand Duc avait quasiment disparu d'Alsace dans les années 40. Il a fallu attendre une politique volontariste de nos voisins allemands et des lâchers réguliers pour que ce dernier y remontre le bout de ses ailes.
Aujourd'hui, ils seraient 1500 couples en France, une cinquantaine seulement en Alsace. Le Grand-Duc préfère généralement les falaises, son habitat naturel. L'espèce occupe ainsi les principales chaînes de montagnes et les bordures de plaines attenantes (Pyrénées, Massif Central, Alpes, Vosges, Jura). Rarement la ville. Sauf à Wissembourg. "Oui c'est assez exceptionnel, on peut parfois le retrouver dans des sites industriels désaffectés mais là sur une église, à ma connaissance, ce sont les seuls. Peut-être parce que Wissembourg jouit d'une diversité de milieux qui leur plaît : champs, forêts, vignes."
Les Grands-Ducs de l'abbatiale
Voilà donc, en 2018, un couple de Grands Ducs qui prend ses quartiers sur les corniches de la vieille abbatiale, plus habituée aux innocents pigeons qu'aux prédateurs d'envergure.
Impossible de passer inaperçus. Nous l'avons dit, le Grand Duc est le plus grand rapace nocturne d'Europe. "Deux kilos environ, 1m80 les ailes déployées pour la femelle légèrement plus grande que les mâles." Perché sur la croix, qu'il affectionne tout particulièrement, le rapace trône en majesté. Et les hululements côtoient les cloches. Drôle d'oiseau. Et c'est parti pour durer. Les Grands Ducs sont fidèles en amour comme en domicile et peuvent vivre au moins vingt ans.
Cela faisait longtemps donc que les connaisseurs attendaient des naissances. Le Grand-Duc ne se reproduit pas chaque année et les espoirs ont été jusqu'alors vains. "Nous avons eu jusqu'à présent pour diverses raisons, uniquement des œufs clairs. Cette fois, dans une zone inaccessible aux humains, c'était la bonne."
Les petits, au nombre de trois, sont nés il y a sept ou huit semaines "à la dure. Chez les Grands Ducs confort minimal. Pas de nid. La femelle pond à même le sol sans branche sans rien, trois ou quatre œufs par portée."
Les petits pas si petits que cela sont reconnaissables à leur duvet et à l'absence d'aigrette sur leur tête. "On peut les voir très facilement, ils sont très curieux. Ils s'approchent du bord de la corniche, ils se penchent, ils nous espionnent."
Phase d'apprentissage
La phase d'apprentissage de haut-vol est dangereux pour les petits. C'est la dure loi de la nature. Mais tous ont pu compter sur des anges gardiens, les fidèles de l'Eglise. "A chaque fois qu'un petit se retrouvait au sol, les fidèles nous appelaient. On venait vérifier l'état de santé du petit et on le remontait là-haut. Ils sont maladroits, ils tombent régulièrement, c'est normal."
Un petit n'y survivra pas. La hanche fracturée, il sera euthanasié au Gorna (Centre de soins des animaux sauvages). "Il a du être emporté par le vent lors de l'orage de vendredi dernier. On l'a trouvé comme ça, trop tard je pense, on n'a rien pu faire pour lui, c'est triste."
Frédérique est confiante pour la suite. "Les deux petits volent bien, ils s'entrainent, c'est déjà plus convaincant." Dans une semaine ou deux, les petits sauront parfaitement voler. Finies les sueurs froides. Ils seront prêts à quitter le nid ou plus exactement leurs parents cet automne. "Contrairement aux Moyens-Ducs qui ont disons des dortoirs collectifs en hiver, le Grand-Duc ne vit pas en famille. Ils partiront chacun de son côté c'est sûr. Peut-être pas trop loin quand même ? "