Ce sera une première en France. Vendredi 12 mars, à 13 heures 30, les infirmiers libéraux manifesteront à Charleville-Mézières. Après un an de crise sanitaire, ils entendent exprimer leur ras-le-bol et leurs craintes, face à la perte de nombreuses compétences.
Arnaud Gibaru est infirmier libéral, à Nouzonville, dans les Ardennes. Dans cette petite ville de quelque 6.600 habitants de la vallée de la Meuse, on recense trois cabinets d'infirmiers libéraux, dont celui d'Arnaud Gibaru qui compte trois postes et demi. Depuis qu'il exerce, en quatorze ans, il constate que tout a bougé. Et la crise du Covid-19 n'a rien arrangé.
"On est beaucoup dans la forfaitisation du soin. On prend les malades en charge, plus globalement. Ce sont les ordinateurs qui décident du tarif. Notre œil ne suffit plus. On assiste à une déshumanisation. On ne regarde plus ce qui est possible. Ce qu'on veut, c'est que le soin coûte le moins cher possible". Dans le collectif de la vingtaine d'infirmiers libéraux qui s'est constitué, et dont fait partie Arnaud Gibaru, on espère être rejoint, le 12 mars, sur la Place Ducale de Charleville-Mézières, pour manifester. Ensemble, ils veulent dire leur souffrance et leur colère. Leur dévouement, pendant cette dernière année de crise sanitaire, n'a pas été suffisamment pris en compte.
Des semaines de 70 heures
"On a essayé de remplacer, d'aider, de renforcer, dans les EHPAD, notamment. Mais depuis le mois d'octobre, il n'y a plus de paiement. On a accepté de travailler sans contrat, sans rien. Mais l'A.R.S. est débordée… On est payé trois ou quatre mois après, avec des tarifs quatre fois moins élevés que prévus, à cause de forfait". En conclusion, les infirmiers libéraux ont le sentiment d'avoir travaillé presque gratuitement, alors qu'ils se sont dévoués 60 à 70 heures, par semaine.
Les difficultés de paiement par la Sécurité Sociale, après des opérations de dépistages massifs ont été, en quelque sorte, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Les infirmiers libéraux disent leur ras-le-bol. Ils se sentent méprisés. Un an après le début de la pandémie, ils sont amers, inquiets pour l'avenir de leur profession, en colère même. Le manque de reconnaissance est une chose. La désorganisation du système de santé, qu'ils dénoncent en est une autre. Ils considèrent qu'ils sont les premiers impactés parmi les personnels de santé.
Ce sont les ordinateurs qui décident du tarif. Notre oeil ne suffit plus. On assiste à une déshumanisation...Ce qu'on veut, c'est que le soin coûte le moins cher possible.
La dégradation des soins
Les infirmiers libéraux assurent faire tout ce qu'ils peuvent, mais ils ont confrontés à la désertification médicale. "On en souffre énormément", reconnaît Arnaud Gibaru. "On fait ce qu'on peut. On se débrouille comme on peut, mais pendant dix ans l'Etat ne s'est pas suffisamment soucié des patients. Les ruraux ont été abandonnés. Les gens isolés, avec la Covid 19, ont encore plus souffert. Cette crise a montré les faiblesses et la désorganisation du pays, dans le domaine de la santé". Les infirmiers libéraux se plaignent du manque de soignants. "Qu'est-ce-qui se serait passé sans nous ?" se demande Arnaud Gibaru.
Dépistages de masse, renfort dans les hôpitaux, suivi des malades de la Covid 19, les infirmiers libéraux ont montré leur professionnalisme et leur dévouement. Pourtant, ils se disent très inquiets. La perte de certaines de leurs compétences les préoccupe.
Les médiateurs de lutte anti-Covid en question
Au fil des jours, les infirmiers libéraux voient leurs compétences attribuées à d'autres. "On ne réalise plus que très peu de vaccinations, maintenant que les pharmaciens les font. Si on laisse faire, bientôt, les prises de sang, les pansements seront confiés à d'autres". Mais ce qui a véritablement mis les infirmiers libéraux en colère, c'est la création de médiateurs de lutte anti-Covid. Les médiateurs de "L.A.C." ont attisé la colère de ces professionnels.
On ne peut pas former des gens en une demi-journée pour des tests salivaires, on n'est pas infirmier en trois heures, mais en trois ans.
Retards de paiement, retrait de compétences, une organisation défaillante du système de santé, et une dégradation, avec notamment, des médecins qui n'ont plus le temps de se consacrer à leurs patients, c'est ce que dénoncent les infirmiers libéraux et c'est ce qui les conduit à descendre dans la rue, vendredi 12 mars à 13h30. Ils entendent bien rester des professionnels de santé de premier recours.