Le sort des quatre accusés, jugés au tribunal de Charleville-Mézières pour le meurtre d'un habitant de la Ronde-Couture en 2014, devrait être connu dans l'après-midi, ce 22 décembre. L'avocat général a requis pour un l'acquittement, 15, 18 et 27 ans de réclusion criminelle pour les autres.
Ce vendredi 22 décembre scellera sans doute la fin d'un des plus tristes épisodes judiciaires de l'histoire récente de Charleville-Mézières. Quatre personnes comparaissaient devant la cour d'assises des Ardennes depuis le 15 décembre dans l'affaire du meurtre de Jaouel Rondeau, un jeune de 28 ans abattu le 23 juin 2014 de plusieurs rafales de pistolet semi-automatique dans un salon de thé du quartier carolomacérien de la Ronde-Couture.Sur le banc des parties civiles, la famille Rondeau, accompagnés de nombreux proches assis dans le public. Depuis trois ans et demi ses membres cherchent justice pour la mort de l'un de ses fils, et l'animosité est palpable. Dès l'ouverture du procès, les noms d'oiseaux ont fusé vers les vitres du box où sont cloisonnés les accusés écroués. Plusieurs Rondeau avait alors été évacués de la salle d'audience. "Je suis le porteur légitime de la colère de Mme Rondeau. Ma cliente, avec le tempérament que je lui connaît, , en voyant les gens décontractés dans le box, niant les preuves et se comportant avec froideur et détachement, a exprimé sa colère trop bruyamment vendredi dernier, a noté Me Blocquaux lors de sa plaidoirie, jeudi 21 décembre. Vous savez que je ne vous encourage pas à faire ça, mais je ne vous en veux pas," a-t-il ajouté à l'adresse de sa cliente.
Trois accusés nient en bloc, le dernier se livre
Ces gens "décontractés", ce sont Aurélien Moizet, auteur présumé des tirs, ainsi que ceux qu'on présente comme les commanditaires du meurtre, Madjid Abbad et son frère cadet Abdelaziz. Les trois hommes, respectivement âgés de 28, 33 et 32 ans, sont en prison depuis leur condamnation en février 2017 pour une affaire de trafic de stupéfiants. Ils réfutent toute relation liée au trafic, se décrivent simplement comme voisins. Jeudi 21 décembre, le procureur a requis une peine de 15 ans de réclusion criminelle pour Abdelziz Abbad, 18 ans pour son frère aîné et 27 ans pour Aurélien Noizet.Le rôle du quatrième accusé, le seul qui comparaisse libre, est plus diffus. Ludovic Rochette, 40 ans, est suspecté d'avoir fourni un sac de sport à Aurélien Noizet le soir du meurtre, sac dans lequel on a retrouvé l'arme du crime, près de 10 mois après les faits, en Belgique. "Il y a trois facteurs qui entrent en jeu pour la condamnation de Ludovic Rochette, a souligné son conseil Me Delgenes lors de sa plaidoirie, le 21 décembre. Est-ce qu'il y avait l'arme dans le sac ce soir-là? Est-ce qu'il ramène ce sac? Savait-il que ce sac contenait une arme lorsqu'il le ramène? Si ces conditions ne sont pas remplies, alors mon client n'est pas complice et ne peut être condamné."
Constant dans ses témoignages, Ludovic Rochette avait spontanément parlé de ce fameux sac aux enquêteurs, sans qu'aucune question ne lui soit posée sur le sujet. "S'il n'en n'avait pas parlé, il ne serait pas sur le banc des accusés, les frères Abbad non plus! C'est bien la preuve qu'il ne savait pas ce que contenait le sac!" a tempêté Me Delgenes. Son client a pu convaincre les parties civiles et l'avocat général. Tous ont requis l'acquittement.
Des preuves indiscutables pour les parties civiles...
Ce fut le seul point d'accord entre les parties civiles et la défense. Pour les trois autres accusés, sans surprise, chacun campe sur ses positions. Pour Me Blocquaux, "la culpabilité d'Aurélien Noizet ne fait aucun doute". "Tout simplement parce des personnes l'ont vu. (...) Noizet nous a dit qu'il a décidé de partir de la réunion du Bois Fortant [réunion où le meurtre se serait décidé, quelques minutes avant les faits, NDLR] pour aller dormir dans sa voiture, devant chez sa tante, voyez la vraisemblance des choses. D'ailleurs qu'y faisait-il s'il n'a pas de lien étroit avec les Abbad?".Selon l'avocat, le lien d'Aurélien Noizet avec Abdelaziz et Madjid Abbad peut-être prouvé par la somme d'argent retrouvée sur le tireur présumé - il ne travaille pas, les 2800 euros lui auraient été fournis par les frères - et par son absence de mobile pour le meurtre - ce sont les deux frères qui lui auraient ordonné de tuer Jaouel Rondeau après une humiliation subie par sa famille lors d'une bagarre. L'avocat des Rondeau souligne aussi la présence de poudre sur le short porté par l'accusé lors de son interpellation le lendemain des faits. Lui, ainsi que Me Harir, conseil de Walid Moussaoui, gérant du salon de thé blessé lors de la fusillade, demande aux jurés de déclarer les trois accusés coupables.
... mais irrecevables pour la défense
Pour la défense, les preuves avancées par les parties civiles se sont que "rumeurs"ou "pas scientifiques". "Monsieur l'avocat général a souligné la brièveté des faits, qui se seraient déroulés sur une durée de trois secondes. C'est aussi le temps qu'il a fallu après les faits pour accuser Abdelaziz et Madjid Abbad, remarque Me Vallet, défenseur du premier. Je conçois que certains témoins n'ont pas vu exactement la même chose sans mentir. Mais que l'on fasse état de choses - «voilà ce que j'ai vu», «voilà ce qu'il s'est passé», c'est autre chose. (...) Les témoignages sont trop discordants pour être valables."Du côté de Me Phour, les contradictions entre les témoignages sont "délirantes". "Comme l'a précédemment indiqué un expert, «le monde des stupéfiants, c'est le monde du mensonge». Or, les témoins, c'est quoi? Jordan, Ahmed... Ils ont tous traîné dans le milieu des stup'. Jason c'est qui? Il ne l'a pas dit mais il est un membre de la famille Rondeau," analyse le conseil de Madjid Abbad. Il note l'absence de preuves scientifiques confondant son client, chose qu'aurait par exemple pu fournir "une analyse des billets retrouvés dans la voiture de Noizet". Tout comme son confrère, il demande à la cour d'acquitter son client.
Le dossier comporte trop peu d'éléments matériels pour déclarer mon client coupable.
Me Manil, avocat d'Aurélien Noizet
Me Manil, défenseur d'Aurélien Noizet, est le dernier à plaider. Lui aussi demande l'aquittement, la culpabilité de son client n'ayant pas été confirmée à cause de l'"absence d'éléments matériels" amenés par l'enquête. Il balaie d'un revers de bras les "rumeurs" venant du quartier, notamment la déposition d'un des frères Rondeau, qui déclarait le lendemain des faits avoir vu un homme en short s'enfuir le soir du meurtre. Mais alors qu'il avait appelé la police quelques minutes après le drame, celui-ci avait répondu par la négative lorsque l'agent lui demandait s'il avait vu "un homme en short" courir, profil qu'on leur avait auparavant signalé. Après les témoignages, l'avocat rappelle l'absence d'ADN des trois accusés écroués sur l'arme, alors qu'on y trouve celui du propriétaire précédent.Le lendemain des plaidoiries, la cour s'est retirée pour délibérer, à 9h30 vendredi 22 décembre, pour délibérer. Le verdict concernant l'acquittement ou les peines des quatre accusés devrait être connu aux alentours de 16 heures, selon plusieurs membres du barreau.