Une robe de mariée suspendue à un pont à Charleville-Mézières (Ardennes). Il n'en fallait pas plus pour susciter la curiosité des habitants et de nombreux médias. Il s'agit d'une démarche artistique, a-t-on appris le vendredi 12 juillet. On vous explique.
Mais qui a suspendu une robe de mariée à un pont à Charleville-Mézières (Ardennes) ? L'affaire a fait grand bruit. France 3 Champagne-Ardenne avait enquêté, juste après Ardennes Actus qui avait révélé ce fait insolite. Personne ne savait. Les discussions des riverains allaient bon train : un mariage qui a mal tourné, une histoire d'amour mal embarquée... Et même une alliance de différents partis politiques, suite aux élections législatives.
Rien de tout cela. Il s'agit d'une démarche artistique, et même poétique, nous a raconté l'une des personnes des plus averties sur l'affaire, dans l'après-midi du 12 juillet. Il s'agit de Maxime Collet, le tenancier du Banana Joe, un bistrot écolo situé juste en dessous du pont, sur les bords de la Meuse, près du mont Olympe. "C'est un jeune artiste circassien, Samuel Martinez, professeur de sport à Revin, dans les Ardennes, qui a fait un shooting photo. Il a voulu immortaliser l’instant."
"Ils ont fait ça il y a un ou deux mois. Avant de partir pour Toulouse, ils ont laissé la robe. Il m’a laissé la clé de l’antivol. Car la robe est accrochée, solidement. La photo a été prise par Fabien Legay. Il est venu, il l’a accrochée devant moi, il m’a demandé si j’étais OK, parce que j’ai le bar en dessous." La robe est vite devenue l'attraction locale. Ce n'est pas si fréquent, des robes de mariée suspendues à un pont.
Ode à Arthur Rimbaud et à son poème "Ophélie"
Contacté, le photographe ardennais Fabien Legay va plus loin et révèle que cet artiste passionné et expert en arts du cirque a voulu rendre un hommage au poète Arthur Rimbaud. "Samuel Martinez m'a demandé de photographier et de filmer sa performance, une réécriture du poème Ophélie d’Arthur Rimbaud. On a fait ce shooting à 5h du matin en juin. Nous sommes arrivés sur le pont, il s’est accroché à une corde de cirque, il s’est suspendu, cela a été filmé. Il portait la robe, il a fini presque nu et la robe a filé à l’eau".
L'artiste en question a d'abord hésité avant de parler publiquement de sa "performance". Ses amis l'ont convaincu. Pas à l'aise avec le buzz, bien loin d'être un influenceur du digital. Joint par France 3 Champagne-Ardenne, Samuel, 34 ans, dont six ans de cirque, revient enfin sur l'idée derrière ce projet peu banal. "Avant tout, c’est un projet intime, je ne pensais pas que cela allait dégénérer de cette manière. J’avais en tête cet hommage depuis un an et demi, un hommage à Rimbaud. Et ce poème, Ophélie, qui décrit une femme morte dans la Meuse en robe de mariée. Je viens du monde du cirque. Je suis circassien, ma discipline, c’est la corde lisse", raconte-t-il depuis les montagnes des Pyrénées, où il est en vacances.
"J’avais envie de marier le poème et le cirque. Et je m’étais dit, il faut un lien avec l’eau, la Meuse et une luminosité particulière. La photo a été prise à l’aube, à 5h du matin. Pour rendre énigmatique ce projet. J’ai travaillé avec Fabien Legay, qui a un œil particulier sur le moment présent dans ses photos. J’ai beaucoup aimé son travail. Cette séance, je l’ai faite juste avant d’aller travailler. On a fait cette prestation, et puis je suis allé au jury du grand oral du bac".
Un projet de partage et une clé cachée
La robe de mariée, pour cet artiste, c'est avant tout un "inducteur", un objet qui oblige à modifier la figure de base. "J’ai laissé cette robe accrochée au pont, car je voulais laisser une trace. Ici, il s’est passé une prestation artistique. À la fin, ce projet est abouti, parce que je quitte Charleville. C’est aussi un projet de partage avec mes amis des Ardennes. Un don total, un hommage".
Dans un sourire teinté de mystère, l'artiste et prof d'EPS à Revin, livre même un dernier secret. "J’ai caché une clé autour du pont. La clé du cadenas qui retient la robe au-dessus du vide". Mais attention, dans ses mots, aucun appel ou défi de la trouver. Et une mise en garde aux aventureux. "Il y avait un danger dans cette performance. Le cirque amène cette dimension de risque, c’est aux artistes de la maîtriser. Il ne faut inviter personne à reproduire ce genre de performance. J’avais le matériel, il faut connaître les pratiques".
VIDÉO : la performance de Samuel Martinez
Voir cette publication sur Instagram
Le photographe professionnel a été séduit par l'idée et le personnage. "Samuel ne cherche pas le buzz. Cette performance date de trois semaines (en juin). La robe, il l’a récupérée et l’a accrochée après. La performance a duré 20 minutes, c’est du cirque pendu". Une mise en image de la poésie de Rimbaud, natif de Charleville-Mézières. Ce poème de 1870 décrit une femme délaissée amoureuse d'un prince qui devient folle et se noie de désespoir. En voici les deux premières strophes :
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
– On entend dans les bois lointains des hallalis
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir ;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.(...)
Extrait du poème Ophélie, Arthur Rimbaud.
La machine à fantasme
Cette robe de mariée aura agité bien des fantasmes. Même le magazine Paris Match, souvent bien informé sur les mariages médiatiques, s'en est mêlé, sans trouver l'énigme. Peu ont pensé tout de suite à un hommage artistique au poète local si présent dans la ville de Charleville-Mézières. "Tous ceux qui sont assis dans mon bar et boivent un coup la regardent, et se demandent pourquoi. Mais personne ne m’a demandé. Je ne savais pas que cela allait prendre cette ampleur", raconte Maxime Collet, depuis son bistrot, aux premières loges. Même le maire de la commune ardennaise, Boris Ravignon, s'interrogeait. Mais sans réponse (voir l'emplacement sur la carte ci-dessous).
L'histoire a emballé les internautes. Parmi les 521 commentaires et les 654 partages de notre article, on a trouvé de tout. Les enquêteurs du web se sont régalés. En voici un florilège. "Elle a plongé nue. Merveilleuse installation." "La mariée est peut-être au fond de la rivière, désespérée, mariage annulé." "Une nuit de noces qui a mal débuté, alors vite la poudre d'escampette." "La mariée a compris qu'elle faisait une erreur monumentale. Le jour de son mariage, elle a appris que son futur mari n'était qu'un imposteur, elle a fui et déposé cette robe à l'endroit où ils s'étaient rencontrés."
Preuve qu'une robe de mariée fait souvent déborder l'imagination, l'écrivain Pierre Lemaître (prix Goncourt 2013) a publié en 2008 un polar intitulé Robe de mariée. L'histoire de Sophie, une jeune femme qui mène une existence paisible, puis commence à sombrer lentement dans la démence : mille petits signes inquiétants s’accumulent, et tout s’accélère. À lire et à méditer cet été.