Ardennes : saisie exceptionnelle de près de 200 vaches pour maltraitance, un éleveur "en détresse" poursuivi

A Mouzon (Ardennes), les services de l’État sont intervenus pour récupérer de nombreux bovidés au sein d'une exploitation en difficulté. L'agriculteur était suivi depuis 2016, il n'a jamais pris en compte les nombreuses mises en demeure qui lui ont été adressées. 

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C'est une situation complexe qui affecte l'ensemble des acteurs de la filière bovine dans les Ardennes. Au-delà des infractions caractérisées, il y a un agriculteur en plein détresse, confronté à de nombreuses difficutés conjoncturelles. "Cela n'excuse pas tout, cela n'excuse pas la maltraitance animale" souligne Bruno Faucheron, premier vice-président de la chambre d’agriculture des Ardennes, présent à la conférence de presse, "mais sa fragilité peut expliquer la situation. Il n'a pas été en capacité de faire face à son devoir d'éleveur".

Un cheptel presque intégralement retiré

L'éleveur bovin de Mouzon (Ardennes) à la tête de son exploitation depuis 2006 s’est vu retirer quasiment l’intégralité de son cheptel le 8 mars 2021. Sur les 200 bêtes du troupeau, il ne lui en reste plus qu'une dizaine. Des vaches si affaiblies que certaines devront être euthanasiées : les services de l’État ont trouvé un troupeau dans un état sanitaire alarmant.

A la suite de l'intervention des services de l’État dans cette exploitation dans le cadre de la préservation du bien-être animal, Laurent de Cagny, le Procureur de la République a tenu un point presse en présence entre autre du colonel de gendarmerie et d'Hervé Descoins, directeur de la DDCSPP, direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations des Ardennes. 

Le dispositif a été impressionnant. Lundi 8 mars, dans la campagne de Mouzon, près de Sedan, les services de l’État se sont invités dans la ferme de cet éleveur en grande difficulté. Ils suivaient de près cet agriculteur depuis 2016. Entourés par des gendarmes et épaulés par l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), mais aussi des vétérinaires, ils sont une vingtaine à venir sauver des bêtes qu'ils savent dans un état sanitaire préoccupant.

 

Il aura fallu 12 heures pour prendre en charge les 170 animaux.   

Hervé Descoins, directeur départemental

 

Deux mises en demeure depuis 2016

Les services de l'Etat se sont rendus à de nombreuses reprises sur l'exploitation. 2018, 2019, 2020. A chaque fois, les mêmes remontrances, les mêmes constats, les mêmes rappels à la loi et les mêmes injonctions. Ce sont même deux mises en demeure qui lui ont été intimées. "Nous sommes allés au bout de ce que nous pouvions faire", explique Hervé Descoins, "nous lui avons demandé de diviser par deux son cheptel. De passer de 200 à 100, c'était le seuil maximal de ce qu'il était en capacité de gérer à notre avis."

Mais rien n'y fait. Il ne prend pas les conseils en considération, ni même les menaces. "Nous avons laissé assez de temps, plusieurs années pour retrouver une gestion saine. Nous ne pouvions plus surseoir".

13 cadavres découverts sur place

La situation fait froid dans le dos. Un nombre important de mortalités, de nouveaux constats de maltraitances établis par les services de l’État, des divagations régulières des animaux : telle était la réalité de cet “élevage”. Lors de l'enlèvement des bovins, il a été découvert 13 cadavres sur l'exploitation dans un état de décomposition avancé. 

21 têtes de bétail ont été dirigées vers l'abattoir pour être euthanasiées, elles n'étaient pas identifiées, "la chaîne de traçabilité n'était pas respectée" explique le procureur, "il en va de la sécurité alimentaire de nos concitoyens".

Mais ce n'est pas tout. Les animaux étaient dénutris, les vétérinaires ont constaté des retards de croissance. "Un état de maigreur extrême" selon le directeur de la DDCSPP, "mais aussi des squelettes apparents, une fonte musculaire évidente." 

En plus du manque de nourriture, les bovins vivaient dans de mauvaises conditions. "Les stabulations étaient trop humides", explique la vétérinaire, "avec des problèmes sur les sabots". Ce sont toutes ces raisons qui font dire au procureur, Laurent de Cagny, qu'il s'agit "de maltraitance évidente."  L'agriculteur a été placé sous contrôle judiciaire dans l'attente de son jugement. Il est poursuivi pour "maltraitance et mauvais traitements par exploitant d'établissement agricole". Il encourt jusqu'à 1 an de prison ferme. L'agriculteur sera jugé en comparution immédiate le 25 mars prochain. Il a deux semaines pour préparer sa défense. Son casier judiciaire est vierge.

"Sur fond de difficultés familiales et professionnelles"

À Cheveuges (Ardennes), l’éleveur Bruno Faucheron, premier vice-président de la chambre d’agriculture des Ardennes, œuvre pour le bien-être animal. Il en est d'ailleurs le référent national. Le procureur l'avait convié à la conférence de presse. "Car c'est un dossier complexe qui va au-delà des atrocités que nous avons décrites", explique Laurent de Cagny.

La filière bovine vit des heures difficiles et cette affaire en est peut-être l'illustration. "Je n'excuse pas la maltraitance, dit d'emblée Bruno Faucheron, "mais on ne laissera pas tomber l'éleveur. C'est un cas sensible et on ne va pas le lâcher en pâture. On lui tend la main encore. Même si on l'a accompagné depuis le début de ses difficultés et qu'on lui a donné des conseils, il ne les a malheureusement pas suivis. On sera toujours là comme on l'est avec l'ensemble de la profession."

L'homme a repris l'exploitation en 2006 après son père. Mais entre ses difficultés familiales et une filière en souffrance, la situation n'a cessé d'empirer.

 

C'est un homme fragile, il fait tout pour éviter le pire ... Un homme isolé et à la dérive." 

Bruno Faucheron, 1er vice-président chambre d'agriculture des Ardennes

Mouzon se situe à 350 mètres d'altitude. Cela fait trois ans que les éleveurs y subissent la sécheresse, "l'année dernière a même été catastrophique, précise-t-il, la production de fourrage est presque au point mort. A cela s'ajoute la conjoncture économique, la pression sur le monde agricole, une déferlante de vidéos sur les réseaux sociaux relayées de façons abusives, sans oublier la viande qui est de plus en plus souvent décriée ces derniers temps. Le monde agricole n'a pas le moral et derrière cette affaire de maltraitance, il y a une profession inquiète sur son avenir." 

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