Sept ans de prison requis au procès de Crancey, quatre morts dont trois enfants : "tous les jours, elle se réveille dans une maison vide"

Le samedi 12 juin 2021, deux voitures entraient en collision sur la route D619, entre Romilly-sur-Seine et Crancey (Aube). Le bilan définitif est de quatre morts (dont trois enfants) pour la voiture accidentée. Le conducteur mis en cause, gravement blessé, a survécu et son procès s'est ouvert ce lundi 3 avril. Sept ans de prison ont été requis contre lui : verdict le 17 avril.

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Tribunal de Troyes (Aube). L'audience commence peu avant 14h00, ce lundi 3 avril 2023. Tous les bancs de la salle sont pris. Stéphane Moccozet, reporter de France 3 Champagne-Ardenne, est sur place. En face de la juge Fabienne Courtillat (le public ne le voit pas), un cadre noir avec la photographie d'une famille qui n'existe plus aujourd'hui : Ali, et ses fils de 6 et 4 ans, sans oublier la petite dernière, âgée de 18 mois. Voici le compte-rendu en direct de l'audience, les propos étant rapportés des plus récents (en haut) aux plus anciens (en bas).

La personnalité et les faits reprochés au prévenu ont été longtemps commentés. La famille des victimes a pris la parole avec émotion et demandé une peine juste. La substitute de la procureure de la République a requis sept années d'emprisonnement contre le prévenu. Le tribunal correctionnel doit rendre son jugement, mis en délibéré pour le lundi 17 avril, à 13h30.

La question de la responsabilité

De son côté, l'avocate du prévenu clame que la responsabilité de son client dans cet accident n'est pas "totale". Elle s'étonne que le patron de l'entreprise n'ait pas été cité à comparaître, quand même bien même le véhicule n'était pas assuré et "présentait des anomalies". La question de la réinsertion du prévenu, pour qu'il puisse à nouveau travailler, a aussi été abordée.

Après l'exposé des motifs aggravants et la demande de sept ans de prison, un doute a été cité quant au fait que les enfants soient correctement attachés. Le frère de la victime a expliqué que c'était le cas. Mais il ne ressort pas de l'expertise que les sièges-auto étaient bien fixés à la banquette arrière. Le ministère public s'interroge toutefois sur la pertinence de ces questions, vu la violence du choc. Est souligné aussi que le père de famille est peut-être aussi partiellement responsable de l'accident (l'expertise n'a pas livré toutes ses conclusions).

Multiple facteurs aggravants, mais pas de peine maximale demandée

Pour tous les facteurs aggravants précédemment cités, le prévenu risque dix ans d'emprisonnement, la plus lourde peine possible en matière d'homicide involontaire. "Je souligne la dignité et l’humilité de la famille des victimes qui ne souhaite pas qu’on enfonce le prévenu, mais qui veut une peine juste. Je ne vais pas demander la peine maximale à son encontre." La substitute réclame sept ans de prison, plus 500 euros d'amende pour la conduite sans assurance, et huit ans d'interdiction de passer le permis (il ne pourra donc plus conduire).

Le défaut d'assurance est également reproché au prévenu, qui avait l'habitude de l'utiliser également en dehors de ses heures de travail : il aurait dû vérifier, selon la substitute. Laquelle a rappelé que l'entreprise de fibre optique n'avait pas honoré ses factures d'assurance, qui n'était donc plus valable. 

La conduite sans permis français est également rappelée, mais à la décharge du prévenu. "On est sur une histoire de demande d’asile, de dates, de délais. Tout ça fait qu’il avait le droit de conduire avec ce permis et qu’il était dans les délais pour demander un permis français." La substitute de la procureure ajoute qu'il s'agit d'un vide juridique. 

"C'est un grand excès de vitesse, et ce n'est pas la première fois."

Louise Oddoux, substitute de la procureure de la République de Troyes

Le chiffre indiqué sur le compteur kilométrique du prévenu est rappelé, à savoir 140 km/h selon les expertises. Bien loin des 90 autorisés, donc. "C'est un grand excès de vitesse, et ce n'est pas la première fois. [Il] a reconnu qu’il avait eu le pied un peu lourd sur l’accélérateur car il était en train de changer de musique." Quant à son taux d'alcoolémie, "on a du mal à croire qu'il n'a bu que deux bières"

C'est au tour du ministère public de prendre la parole, c'est à dire la substitute de la procureure de la République, Louise Oddoux, Elle cite l'affaire Palmade, avec la notion sous-jacente d'homicide involontaire consécutif à accident. "C'est dans ce contexte que le tribunal devra se prononcer. Je rappelle que prendre le volant d'un véhicule, c'est être responsable d'un côté, et faire confiance aux autres conducteurs de l'autre. Et [le prévenu] n'a pas été à la hauteur de cette confiance." 

Une famille brisée, mais digne

Toujours de la part de la défense de la famille, on rappelle que "depuis le 12 juin 2021, madame Jean se réveille tous les jours dans une maison vide. On lui a beaucoup reproché d’avoir parlé sur les réseaux sociaux de sa douleur." Et d'ajouter que "le prévenu n’a pas roulé à une vitesse excessive, mais très excessive. Le véhicule a fait au moins un tête-à-queue avant de percuter de face la voiture de monsieur Mohamed. Ali avait 28 ans le jour de l’accident. C’était un homme mûr. C’était un père de famille qui avait fait le choix d’être père au foyer. Toute sa vie, c’était ses enfants. Madame Jean a été veuve à 29 ans. Ses enfants avaient 6 ans, 4 ans et 18 mois. La petite dernière est née dans le véhicule et elle y est morte."

La petite dernière est née dans le véhicule et elle y est morte.

L'avocat de la famille des victimes

L'avocat rappelle que le prévenu "roulait à vive allure, sans permis de conduire, sans permis de séjour, sans assurance". Et que "la responsabilité de cet accident doit être assumée pleinement par le prévenu. Monsieur Ali Mohamed et ses enfants sont les victimes. Et il y a quelqu’un qui est entièrement responsable."

L'avocat des victimes oscille entre justesse et blâme. "La famille n’est pas là pour enfoncer qui que ce soit mais pour que justice soit rendue. Elle croit aux excuses et au pardon. Mais encore faut-il que la demande soit sincère. Ils auraient bien voulu que le prévenu puisse les regarder dans les yeux quand il les a exprimées." 

Un autre de ses frères, plus jeune, confie, la voix tremblante, que le disparu était "[son] pilier". Il a pris la route en même temps que lui et s'est retrouvé sur les lieux de l'accident quelques minutes après qu'il se soit produit. "J'espère qu'il comprendra le sens de la justice aujourd'hui", conclue-t-il en regardant le prévenu.

C'est au tour du frère d'Ali de prendre la parole. Il narre la dernière journée qu'il a vécu à ses côtés. La salle apprend, horrifiée, qu'après le repas du soir et le départ d'Ali et des enfants, ce dernier est revenu car il avait oublié le bouchon d'un biberon. Ce n'est qu'après qu'il a repris la route, avant de croiser ensuite la trajectoire du prévenu.

Ma seule motivation est d’honorer la mémoire de mon mari et de mes enfants.

Nathalie Jean, épouse et mère des quatre victimes

Nathalie Jean a été décrite comme "veuve à 29 ans" après avoir perdu son compagnon Ali. La famille était originaire de Mayotte. Elle prend la parole en lisant une déclaration écrite. "Aujourd’hui, j’ai tout perdu, je n’ai plus rien. Ma seule motivation est d’honorer la mémoire de mon mari et de mes enfants. J’attends une peine à la hauteur des faits compte tenu des circonstances aggravantes."

Récit et personnalité du prévenu

On apprend que le prévenu avait déjà été reconnu comme étant à l'origine d'un excès de vitesse de plus de 50 km/h en 2020. L'étude de sa personnalité ne révèle ni consommation régulière d'alcool, ni usage de stupéfiants. Du point de vue administratif, sa demande d'asile a été rejetée après son arrivée en France. Aucune obligation de quitter le territoire français (OQTF) ne semble avoir été délivrée à ce moment-là. Du reste, il souhaitait rester en France. Incarcéré en attendant son procès depuis le mois de mars, on ne lui connaît pas de problème en prison. "Je travaille à la buanderie, là-bas." 

Après l'accident, le prévenu n'a pas pu être interrogé tout de suite. Gravement blessé au bras et au fémur (où il garde des séquelles), il a été hospitalisé à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière (à Paris). "Il ressort du dossier, monsieur, qu’il y a eu un mandat de recherche pour vous entendre après votre sortie de l’hôpital." Le concerné confie vouloir présenter ses condoléances à la famille, et qu'il n'a "jamais voulu que cela arrive". À ces mots, de premières larmes sont audibles du côté de la famille des victimes.

La juge poursuit son récit, implacable. "Vous conduisiez très vite sur une route limitée à 90 km/h. Il commençait à faire nuit. Vous aviez consommé de l’alcool et vous manipuliez votre téléphone. Vous avez perdu le contrôle de votre véhicule et vous avez dévié sur la voie de gauche. Vous en souvenez-vous ?" La question en filigrane est s'il a pu oublier de livrer ou reconnaître certains détails. À plusieurs moments de l'audience, le prévenu confie qu'il n'arrive "pas à [se] souvenir"

Je me suis dit qu'avec deux bières, l'alcool n'allait pas monter.

Le prévenu

Le prévenu est grand, bien bâti. Il reconnaît, en tenant son micro fermement, avoir bu deux bières à 17h00, ce fameux 12 juin 2021. À 21h00, il s'est rendu chez sa soeur. Quand la juge lui demande comment il se sentait, il répond que "bien. Je me suis dit qu'avec deux bières, l'alcool n'allait pas monter." Les analyses révèlent la présence de 0,95 gramme d'alcool par litre de sang. La limite légale est de 0.80 gramme (soit à peu près quatre verres).

L'audience s'ouvre avec un rappel des faits complet, effectué par la juge. On apprend que la voiture n'était pas assurée, ce qu'ignorait le prévenu. Il s'agit du véhicule de l'entreprise qui l'emploie : elle installe et entretient des réseaux de fibres optiques. L'homme vit à Romilly-sur-Seine depuis 2020. Il est originaire de Côte-d'Ivoire, arrivé en France en 2018. Il est en couple et a une famille : sa benjamine est née au mois de juillet 2022. Son entourage décrit un homme gentil, timide, et généreux.

Rappel des faits avant le procès

C'est un accident tragique qui a marqué les mémoires autour de Romilly-sur-Seine (Aube). Le 12 juin 2021 avait lieu un accident qui allait faire quatre morts (dont trois enfants) et un blessé grave.

Deux voitures sont entrées en collision frontale sur la route D619, à hauteur de Crancey (Aube). La voiture percutée abritait un père (28 ans) et ses trois enfants (6, 4, 1 ans). Seule la fillette de 3 ans a survécu au moment du choc mais trop grièvement blessée, elle a succombé à ses blessures une semaine plus tard. Toutes les personnes impliquées dans cet accident survenu en milieu de soirée étaient du secteur. 

Le conducteur de 35 ans, au volant du véhicule qui a percuté de plein fouet l'autre, pourrait avoir eu un comportement fautif. Dans les jours qui ont suivi le drame, Sophie Macquart-Moulin, alors procureure de la République de Troyes, confiait à France 3 Champagne-Ardenne qu'"il se pourrait que [ce] conducteur ne soit pas en règle, au niveau du permis."

"Il est par ailleurs connu pour avoir déjà commis des excès de vitesse : il pourrait être établi qu'il roulait à vitesse excessive." De son côté, L'Est-Éclair ajoute un autre facteur aggravant : la conduite en état d'ébriété.

Il a été placé en détention provisoire en mars 2022 après avoir survécu à ses blessures. Sa mise en examen pour homicide involontaire avec circonstances aggravantes (article 221-6-1 du code pénal) a été officialisée suite à l'enquête. Le suspect a envisagé en fin d'année 2022 de faire appel du prolongement de sa détention provisoire. Il se serait rétracté devant le désarroi de la famille des victimes (voir le lieu de l'accident sur la carte ci-dessous).

Le procès s'ouvre finalement ce lundi 3 avril 2023. Et les juges devront tenir compte de la grande émotion qui risque de régner dans la salle d'audience. Le prévenu (à qui est reproché d'avoir embouti la voiture où se trouvait la famille) risque dix ans de prison.

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