Acquittement de Bernard Pallot : “Une discordance entre le droit et les faits, entre la loi et l’humanité”

Pour le professeur de droit privé et sciences criminelles de l’université de Nancy, Bruno Py, le verdict d'acquittement prononcé par la cour d'assises de l'Aube en faveur de Bernard Pallot, 78 ans, responsable de la mort de sa femme en fin de vie, dénote d’un déséquilibre entre la loi et les faits qui “vise à pousser le législateur à reprendre la plume”. Entretien.

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“Sur le plan humain, un acquittement, c’est toujours une émotion individuelle et collective”, commence Olivier Py, professeur de droit privé et sciences criminelles, mais sur le plan juridique, dans le cas d’une personne poursuivie pour assassinat sur un de ses proches malades [...], il s’agit d’un décalage entre le droit, sur le plan normatif, et la réalité des faits et des situations humaines”.

Et pourtant, le 30 octobre dernier, Bernard Pallot, 78 ans, accusé d’avoir tué sa femme Suzanne Pallot, en grande souffrance, et sur sa demande s’est-il toujours défendu, a été acquitté par la cour d’assises de l’Aube. Moins de 24 heures après, le parquet général faisait appel de cette décision. Olivier Py commente : “Il eût été possible à la cour d’assises de déclarer ce monsieur coupable et de le dispenser de peine. Cela aurait été à mon sens la solution la plus adéquate dans l’état actuel du droit". Il ajoute : "Cela aurait pu permettre de garder le symbole de l’interdit sans envoyer pour autant un message de sévérité disproportionné, à l’égard d’un homme aimant, ayant, au bout de plusieurs dizaines d’années de mariage, répondu à la demande de fin de vie de son épouse". 

Mais Bernard Pallot a été acquitté en première instance. Son histoire et celle de sa femme Suzanne rappellent au juriste celle de Marie Humbert et de son fils, Vincent, paralysé suite à un accident de la route en 2000 : “On est exactement dans la même configuration qu’il y a 21 ans, où une mère pour son enfant - comme un mari pour son épouse - après des années d’accompagnement, d’affection et d’amour, passe à l’acte”. Il poursuit : “C'est un acte mortel et donc un acte criminel dans l’état actuel du droit, et la personne se retrouve mise hors de cause sur le plan pénal”. Pour le professeur, il s’agit donc d’une “discordance entre le droit et les faits, entre la loi et l’humanité”. À l’époque, au début des années 2000, cette affaire avait favorisé l’émergence d’une des lois fondatrices de la prise en charge de la fin de vie en France, interdisant l'obstination thérapeutique déraisonnable, loi qui sera suivie quelque dix  ans plus tard par la loi Claeys-Leonetti sur les directives anticipées et la mort par sédation profonde.  

Irresponsabilité pénale  

Tuer autrui est interdit en France, et pourtant, l’acquittement a été prononcé. Le verdict de la cour d’assises de l’Aube est donc fondé sur le principe d’irresponsabilité pénale de l’accusé, de la même façon que dans le cadre du non-lieu octroyé à Marie Humbert par le juge d’instruction de l’époque. “Dans le Code pénal, précise Bruno Py, dans l’article 122.2, il est écrit : ‘N’est pas pénalement responsable, la personne qui agit sous l’emprise d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pas pu résister”. Dans le cas de Bernard Pallot, la cour d’assises précise dans sa feuille de motivation que “la détresse morale qui était alors la sienne, la pression intense à laquelle il était soumis, dans un contexte de solitude extrême, de défiance face à la précarité et l'indigence de la santé publique actuelle, sont autant d'éléments retenus comme caractérisant une cause d'irresponsabilité pénale, soit une contrainte à laquelle il n'a pu résister”. Pour Marie Humbert, le juge d’instruction déclarait alors que “dans le processus, la volonté de Vincent a supplanté celle de sa mère, l’acte de Marie Humbert ne pouvait être que l’expression du choix de son fils”.  

Mais pour Bruno Py, ces arguments sont subjectifs : “Ils consistent à penser que les quelques mots que pouvait dicter un homme paralysé généraient chez la mère lucide, discernante et autonome, une contrainte morale. Le lien est assez ténu, mais il a été admis à l’époque par le juge, et par le parquet. Il ajoute néanmoins : “Dans l’affaire qui nous occupe, au sein de la cour d’appel de l’Aube, le parquet ne l’admet pas”. Et le professeur de s’étonner de ce changement de cap en quelque 21 ans : “Là où [le juge d’instruction] trouvait normal que Marie Humbert et le docteur Chaussoy (qui a administré les substances mortelles à Vincent Humbert, ndlr) ne soient pas inquiétés, et mis hors du champ pénal, il y a en 2024, semble-t-il, un parquet général qui ne le fait pas. Sur des arguments de droit, mais qui ne le fait pas, aussi, sur une conception sociétale”.  

"On ne pourra pas faire l’économie d’un débat sur la fin de vie" 

Le professeur en droit privé et sciences criminelles poursuit : “En juin dernier, la Nation était sur le point d’adopter une loi permettant l’aide médicale à mourir, sauf que, depuis le mois de juin, il y a des choses qui ont changé, constate Bruno Py. On a changé de Parlement, on a changé de gouvernement, et donc le parquet général a changé de ministre de la Justice”. Une vision sociétale mouvante de la prise en charge de la fin de vie, éminemment politique, qui se retrouve d'ailleurs dans le discours de politique générale de Michel Barnier. Le Premier ministre est même revenu aux prémices du processus législatif, balayant le travail parlementaire de ces derniers mois et appelant de ces vœux un simple retour au débat. “Cela nous renvoie au minimum à 18 mois, peut-être deux ans, peut-être jamais, anticipe Bruno Py. Mais on ne pourra pas faire l’économie d’un nouveau débat sur la fin de vie en France, cette affaire en est encore un petit moteur auxiliaire”.

Bernard Pallot, qui sera donc à nouveau jugé devant la Cour d’appel de Reims, à une date encore indéterminée, appelait en tout cas cette évolution de ces vœux dans le témoignage qu’il livrait à notre antenne juste avant son procès : Je voudrais que [ce geste] serve un peu d’éclairage pour l’évolution de la loi en France, parce que je ne suis pas le seul dans cette situation. Si seulement on pouvait avoir, comme dans d’autres pays, une injection indolore, qui endort la personne dans le calme. C’est si dur pour les proches”.  En Suisse, comme en Belgique, l’accès à l’euthanasie est facilité car dépénalisé.  

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