Le conflit qui oppose le groupement de coopération sanitaire de la clinique de Champagne et son actionnaire majoritaire, le centre hospitalier de Troyes, s'intensifie en pleine résurgence du covid. Après une action en justice, le tribunal a donné raison au centre hospitalier, le 2 avril.
L'actionnariat du groupement de coopération sanitaire de la clinique de Champagne est détenu à 80% par le centre hospitalier de Troyes et pour le reste, par des médecins de la clinique. Mais rien ne va plus depuis des mois entre les deux groupes. Ce vendredi 2 avril, le tribunal judiciaire de Troyes a donné raison sans restriction à l'actionnaire majoritaire, retour en détails sur les derniers rebondissements de l'affaire.
Le personnel plus payé
Après des mois de conflit, la tension a atteint son paroxisme en pleine résurgence de l'épidémie de covid-19. Fin mars, les médecins, actionnaires minoritaires, ont dissous le groupement. Pour le mois de mars, les salaires des 250 membres du personnel de la clinique n'ont pas été versés. Pire, la société Apperton, en charge de la stérilisation des dispositifs médicaux de la clinique a cessé ses prestations depuis le mardi 30 mars, menaçant l'activité chirurgicale de la clinique et provoquant le désarroi de ses agents.
Un blocage que la clinique qualifie de "prise d'otage des personnels". "Monsieur Philippe Blua (directeur du centre hospitalier de Troyes ndlr) a usé abusivement de sa qualité d'Administrateur du GCS Clinique Champagne dont il ne dispose plus (du fait de la dissolution ndlr) pour bloquer le versement des salaires, indique la clinique. Il est inacceptable d'utiliser de tels moyens de pression à l'encontre des personnels de notre établissement qui oeuvrent au quotidien dans un souci permanent de répondre au mieux aux besoins de santé des patients."
"La SARL Clinique de Champagne du GCS Clinique de Champagne (...) a pris la décision d'assumer le paiement des salaires. En effet, la SARL Clinique de Champagne (actionnaire minoritaire ndlr), ne peut accepter que l'Actionnaire Majoritaire (CHT) qui a pour mission de protéger les salariés et non de les prendre a parti, mette en péril notre outil de travail. Un ordre de virement bancaire a été donné pour le versement des salaires de l'ensemble des professionnels de notre établissement", a t-il été précisé ce jeudi 1er avril par le docteur Bruno Peilleron et Marie-Aude Cozette-Mansard, responsable comptable et financière du GCS.
"Je n'ai jamais vu des gens aussi irresponsables"
De son côté, le directeur du centre hospitalier de Troyes, Philippe Blua, n'a pas de mots assez durs pour dénoncer la situation, reprenant lui aussi le terme de "prise en otage du personnel". "Je suis totalement solidaire des personnels et des patients du GCS, ce qui arrive actuellement est un scandale. Je suis indigné de ce qui se passe, et le mot n'est pas assez fort. On est en pleine pandémie, actuellement l'honneur d'un médecin, ce n'est pas de s'emparer de l'ordinateur d'un directeur (le directeur nommé par l'hôpital à la tête du GCS ndlr), ce n'est pas de le mettre à la porte de son bureau, ce n'est pas de s'autoproclamer liquidateur, ce n'est pas de se faire putschiste, c'est de soigner ! Ils sont en train de liquider l'établissement, ces gens n'ont aucune compétence, ce sont des irresponsables."
Ces gens n'ont aucune compétence, ce sont des irresponsables
Le directeur des hôpitaux Champagne Sud rejette ce qu'il appelle un putsch. "A cause d'eux, les banques ont bloqué les comptes, l'ARS envisage de supprimer l'autorisation, les fournisseurs de stérilisation refusent d'alimenter. Je leur ai dit aux fournisseurs, "allez-y si vous voulez, ce n'est plus le GCS mais vous avez notre feu vert, vous pouvez aller fournir le materiel". Ils ont refusé parce que ces liquidateurs mettent tout le monde en insécurité.
Une asssemblée générale a eu lieu le 8 mars. A 85%, cette assemblée a dit "on ne dissout pas le GCS". Cela ne leur plaisait pas donc ils ont fait une asemblée générale dans leur coin, avec 15% des droits de vote, en disant, "on dissout le GCS". Je leur ai écrit pour leur dire que leur assemblée était illégale. Or, actuellement, il n'y a plus de directeur à la clinique donc plus personne ne peut payer les salaires."
Et lorsque l'on oppose au directeur du centre hospitalier de Troyes le fait qu'il aurait fait pression pour bloquer les salaires et bloquer l'apport des stérilisants, voici sa réponse. "Qu'est-ce que vous faîtes lorsque l'on vous vole votre carte bleue? Vous appelez la banque en disant "attenttion on a volé ma carte bleue, ne laissez pas n'importe qui aller sur le compte". Donc le directeur a prévenu toutes les banques en leur disant "on m'a mis à la porte de mon bureau, ne laissez pas intervenir d'autres personnes". Et du coup les banques ont tout bloqué. Le directeur a essayé d'aller sur les comptes bancaires, il n'a pas réussi, les banques lui ont coupé l'accès. Que voulez-vous qu'il fasse ? Quant à la stérilisation, j'ai déjà répondu, j'ai donné mon feu vert à la société pour travailler avec eux, elle a refusé. Personne n'a confiance dans ces gens-là !"
"Pour moi, c'est une affaire de gros sous"
"Dans cette affaire, nous avons porté plainte pour qu'un jugement clair dise qui a le droit de faire fonctionner cette structure. Et la première chose que fera le directeur quand il sera remis dans ses fonctions, c'est de prendre contact avec les banques pour rouvrir les comptes et payer le personnel. On attend le jugement d'heure en heure.
Pour moi, c'est juste une affaire de gros sous. Le seul courrier que j'ai eu de leur part, c'est le lendemain du coup de force où ils m'ont envoyé un recommandé en disant "on vous rachète la structure, elle est en train de perdre de la valeur on vous la rachète"", conclut Philippe Blua lors de son interview le 1er avril.
Les représentants de la clinique déboutés
Saisi, le tribunal judiciaire de Troyes a rendu son ordonnance de référé, le vendredi 2 avril. Il évoque "un trouble illicite manifestement causé" et ordonne à Marie-Aude Cozette-Manzart et Bruno Peilleron "d'arrêter immédiatement de se prévaloir de l'existence d'une liquidation amiable du GCS Clinique de Champagne sous astreinte provisoire de 10.000 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision" et "d'arrêter immédiatement de se prévaloir du titre de liquidateur amiable et à cesser toute action, gestion et/ou intervention au sein du GCS Clinique de Champagne et/ou tendant à empêcher le représentant légal Monsieur Philippe Blua et son directeur, Monsieur Hervé Soufflet, d'agir et d'intervenir dans le fonctionnement du GCS Clinique de Champagne sous astreinte provisoire de 10.000 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision."
En conséquence, le centre hospitalier a fait savoir que "le GCS Clinique de Champagne est dès maintenant rétabli dans son fonctionnement normal et légitime sur décision du Tribunal Judiciaire de Troyes du 2 avril 2021. Le directeur du GCS Clinique de Champagne, Hervé Soufflet, récupère tous les moyens d’occuper ses fonctions. C’est vers notre personnel et nos patients du GCS Clinique de Champagne que vont toutes nos pensées aujourd’hui. Ensemble, nous pouvons de nouveau aborder l’avenir avec sérénité et poursuivre notre activité de soin absolument indispensable aux Troyens et aux Aubois, aux côtés de l’ensemble des acteurs de santé du territoire qui font face, collectivement, à cette crise sanitaire."
Un rapprochement public-privé depuis 2018
Le rapprochement entre la clinique de Champagne et le CH de Troyes (Aube) s'est concrétisé avec la signature, le 16 mai 2018, de la convention constitutive du groupement de coopération sanitaire (GCS) Clinique de Champagne.
Interrogé à l'époque, Philippe Blua présentait le fait que ce GSC permettrait "de créer un grand ensemble public-privé qui garantira la pérennité du système de soins local", afin d'éviter "une concurrence stérile".