Au cours de l'automne 2021, des grumes sont sciées pour donner des poutres qui viendront coiffer Notre-Dame-de-Paris, après l'incendie qui a ravagé sa charpente en 2019. Dans l'Aube, la scierie Philippe Tarteret est l'une des cinq du département à contribuer à ce projet, fondé sur le mécénat.
Le projet de reconstruction de la toiture de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris promet d'être monumental. Et pour faire renaître la charpente détruite par l'incendie du 15 avril 2019, il va falloir des chênes d'exception.
Mais on ne passe pas d'un chêne en pleine forêt à une poutre majestueuse soutenant le toit de la cathédrale. Il y a des étapes intermédiaires. Parmi lesquelles le sciage des grumes (ces troncs récemment abattus mais pas encore écorcés, travaillés...).
Le département de l'Aube est à la manoeuvre. Cinq de ses scieries vont contribuer à l'effort de reconstruction, le plus souvent sous le sceau du mécénat. Il s'agit des scieries Philippe Tarteret à Estissac, Monniot à Brienne-le-Château, de Beauvoir à Bragelogne-Beauvoir, du Vaudois à Rumilly-les-Vaudes, et Collignon à Ervy-le-Château (détails dans la carte ci-dessous).
Mathieu Berthe est le directeur commercial de la scierie Philippe Tarteret, qui scie des grumes pendant l'automne 2021 : elles seront destinées à la charpente de la flèche de la cathédrale. Il a répondu aux questions de France 3 Champagne-Ardenne.
Comment ça se présente ?
"On fait partie des scieries qui allons scier des poutres pour la cathédrale. Le processus a commencé avec les propriétaires forestiers depuis le début de l'année. Ils ont offert des grumes, c'est du mécénat. Elles ont été rapatriées dans les scieries qui ont la capacité de scier ces pièces, dont notre scierie, qui peut scier des pièces très longues. On est en train de sélectionner les grumes, regarder ce qu'on peut faire dedans, et on va les scier dans les semaines ou mois qui arrivent."
Comment s'est organisée votre participation à ce projet ?
"Cela a été géré au niveau de la Fédération nationale du bois, il y a eu un appel. Dans les instances nationales, après l'incendie, les gens se sont demandé comment on allait faire. Donc les propriétaires forestiers se sont regroupés et ont proposé ce système de mécénat pour les grumes. Des bois sélectionnés sur pied arrivent des propriétaires publics, via l'ONF [Office national des forêts; ndlr] qui représente l'État, et privés."
Tous ceux qui voulaient se porter volontaires pouvaient participer
"Après, via la Fédération nationale du bois, il y a eu un engagement à faire du mécénat sur le sciage. On nous amène du bois, on va faire la prestation de sciage sous forme de mécénat, et les bois repartiront. Dans les adhérents de la Fédération nationale du bois, tous ceux qui voulaient se porter volontaires pouvaient participer, et une répartition s'est faite selon les capacités : selon la longueur de sciage possible dans les scieries participantes."
Quelle longueur ça représente, comment allez-vous faire ?
"Il y a des pièces jusque 20 mètres de long : toutes les scieries ne peuvent pas scier si long. C'est ainsi qu'un certain volume a été affecté à chaque scierie, et selon ce que les scieries voulaient faire. Notre scierie s'est engagée sur trois-quatre camions. Chaque scierie a la possibilité de faire ça sous forme de mécénat, soit sous forme de prestation [payée; ndlr]. On peut choisir, utiliser les deux systèmes s'il le faut... Dans notre cas, on va faire du mécénat. Tout dépend du volume : toutes les scieries ne peuvent pas faire que du mécénat. Le mécénat n'est pas fait pour gagner de l'argent."
Sur quelles dimensions allez-vous travailler ?
"On nous a demandé de scier des pièces qui font de dix à quatorze mètres. C'est une taille qui reste exceptionnelle, qu'on ne fait pas tous les jours, mais qu'on scie quand même plusieurs fois dans l'année : on sait faire, on a la capacité technique. On va aussi avoir avoir des pièces plus courtes... C'est la longueur qui fait la difficulté, et qui fait qu'on reçoit ces bois-là. Après, vous allez avoir des sections de dix centimètres par dix centimètres, des chevrons qui vont faire onze centimètres par onze centimètres... jusqu'à quatorze mètres de long. En section, ce n'est pas très grand, mais c'est très très long."
Que vont devenir exactement ces grumes ?
"On les transforme en poutres brutes. Les architectes nous ont donné une liste de sections. On a rapatrié les grumes désignées, et on va les adapter avec ces sections pour travailler au mieux, pour limiter les pertes. Ces sections de charpente seront stockées chez nous - dehors car il faut faire le processus de séchage du chêne - probablement jusqu'en 2022. C'est le moment moment où ils vont commencer la reconstruction de la flèche, où l'organisme viendra les collecter. C'est un projet à long terme, qui va durer un moment."
Les tailleurs de pierre marquent leurs blocs. Et vous, avec vos poutres ?
"Ce n'est pas prévu. Il y a une traçabilité, dans le sens où il y a des plaquettes. Mais au niveau de la charpente, ce n'est pas prévu de marquer notre nom. Déjà qu'il va y avoir une quantité phénoménale de poutres... Ça ne nous est pas venu à l'idée."
D'où viennent vos arbres ?
"Tous les arbres sont identifiés, chacun est tracé. Il y a une plaquette de suivi. Les arbres [pour la reconstruction; ndlr] viennent de toute la France. Nous, on a des arbres venus des forêts dans les départements limitrophes de l'Aube. Il va y avoir de l'Île-de-France, Bourgogne, Champagne... Une affectation est faite selon les spécifications de scieries : nous pouvons avoir des bois qui viennent d'un peu plus loin car nous faisons des grandes longueurs. On a essayé, pour limiter au maximum les frais, et pour l'écologie, d'affecter à chaque scierie les bois les plus proches..."
Que pense-t-on de votre participation à ce projet, dans la scierie ?
"C'est quand même entretenir du patrimoine, une image de marque. C'est une reconnaissance du travail qui a été fait par nos anciens, qui avaient fait des choses exceptionnelles. Dans notre secteur d'activité, le bois, c'est un milieu où on travaille en se projetant. Le bois, ça vous rend humble : vous héritez de quelque chose, vous l'utilisez et transformez, et transmettez quelque chose."
"C'est cette notion de patrimoine, de transmettre aujourd'hui. Aujourd'hui, nous, un chantier comme ça, c'est intéressant. Parce que ça nous pose des questions techniques, il y a une science, qu'on va pouvoir transmettre aux jeunes charpentiers, qui vont travailler sur un chantier exceptionnel."
Et dans la région ?
"C'est aussi important car c'est une façon de faire perdurer, de mettre en valeur des métiers qui ne sont pas toujours connus. Nous permettre de perdurer dans le temps, car il y a quand même plein de problématiques aujourd'hui sur l'achat du bois. Des entreprises comme nous forment un maillage dans le territoire. On va faire Notre-Dame : ça va mettre en valeur la forêt, ça va amener d'autres sujets plus généraux sur l'économie forestière. Je tiens à préciser que Tarteret va scier ces poutres, mais dans l'Aube notamment, quatre autres scieries vont participer. C'est un projet de filière."
Pourquoi les scieries comme la vôtre sont importantes ?
"Une scierie dans un pays, ça fait travailler. Des bûcherons. Des restaurants qui sont en campagne, parce que les bois ne poussent pas en ville... Des transporteurs qui vont dans la campagne. Des garagistes aussi, grâce aux camions forestiers à réparer. Des propriétaires forestiers qui peuvent investir dans la forêt, car ils savent que derrière, il y aura une scierie pour acheter leur bois dans 30 ans. C'est de l'investissement rural ,qui maintient des routes. Les scieries en campagne, ça permet de soutenir l'activité; alors qu'il en ferme tous les jours. On est 43 dans notre scierie, donc ça fait 43 familles."
Sur ces 43 personnes, combien affectées sur les poutres de Notre-Dame ?
"C'est l'ensemble de la scierie qui est concerné. Les 43 salariés sont impliqués. La scierie Tarteret et les autres scieries de l'Aube vont travailler dans leur ensemble pour Notre-Dame. Bien sûr, celui qui prend la pièce avec le chariot-élévateur, il est tout seul. Tout le monde va pas conduire le chariot... Mais c'est un projet collectif; une entreprise est un projet collectif à la base."
"La secrétaire qui va gérer les transporteurs pour venir chercher les pièces, le responsable du parc, moi qui répond à vos questions, les gens qui vont scier les pièces, la personne qui va nettoyer... Tout le monde est impliqué à différents niveaux. Ça fait 60 ans qu'on existe, donc tous ceux qui ont travaillé avant font aussi qu'aujourd'hui, on peut faire Notre-Dame."