Portrait : guide-conférencier en langue des signes, Philippe Latour obtient la médaille de bronze du tourisme

Guide-conférencier à Troyes (Aube), Philippe Latour vient de recevoir une médaille de bronze décernée par le secrétariat au Tourisme pour la qualité de ses visites. Sa spécialité : la langue des signes, même s’il a initié de nombreux parcours pour les entendants.

Je suis un fou furieux ! Quand on l’invite à se définir, le Troyen Philippe Latour n’a pas peur des mots. Depuis 2002, il sillonne la ville en tant que guide conférencier avec des visites thématiques pour le compte de trois entités, Troyes la Champagne Tourismeles musées de sa ville de cœur, ou encore le Centre Louis François pour l'Unesco. Ce zèle lui a valu une médaille de bronze de son ministère de tutelle. "Je ne  m’y attendais pas mais bien sûr, cela fait plaisir", commente-t-il.

Son intervention ce vendredi est plutôt originale car cet entendant aux cheveux blancs, souriant et très expressif accueille des membres de l’Association des Sourds de l’Aube. Sa mission : faire découvrir le chantier de la cathédrale St Pierre et St Paul, plus précisément la Tour sud construite au 16e siècle et jamais terminée faute d’argent. 


Au cours de cette période d’apprentissage, Philippe a découvert que l’Aube avait vu passer un homme très important : l’Abbé de l’Epée (1712-1789) qui est à l'origine de la première école pour les sourds. "C’était un janséniste qui a passé son diplôme de prêtrise à Troyes et sa première cure était à Feuges. Dans l’église de ce village, on trouve des plaques exprimant la reconnaissance des sourds et 250 d’entre eux sont venus se recueillir il y a quelques années au cours d’une commémoration car il les a beaucoup aidés.

Il s’est rendu compte que chacun signait dans son coin et ne pouvait pas bien comprendre la parole de Dieu. Du coup, selon lui, ils ne pouvaient pas aller au paradis ! C’est le premier homme qui les a rassemblés en créant une école à Paris. Je pense souvent à lui quand je fais mes visites."

Avant la montée, une dizaine de visages ouverts et joviaux échangent déjà de grands gestes  et Philippe Latour n’est pas en reste. Il a notamment affaire à une famille originaire de l'Aube et qui y revient en vacances car le père s'est installé comme agriculteur près de Poitiers. Dans ce petit groupe, seule une jeune fille possède les deux langages.  

Au fil des échafaudages, le guide éclaire sur  la restauration menée par la Direction Régionale des Affaires Culturelles. Il "signe" des explications sur les décors sculptés en pierre mais aussi beaucoup d’anecdotes et, visiblement, elles intéressent et amusent ses spectateurs de tous âges. 

Pollutions et os de moutons

Philippe Latour évoque par exemple les différentes formes de pollution qui ont attaqué la pierre, des mousses, des lichens mais aussi des émanations des cheminées d’usines au 19e siècle. "A l’époque, dans Troyes, produire beaucoup de fumée était un signe de bonne santé industrielle… c’est pourquoi il y a de quoi redire à ceux qui pensent que c’était mieux avant !"

Un peu plus haut, il raconte comment la fleur de lys a changé de symbolique. Au départ, elle était attachée à la figure de la Vierge Marie puis les Rois se la sont appropriés.

A une autre étape, il fait un focus sur une précédente période de restauration de la cathédrale au 19e siècle. "A ce moment-là, on a utilisé du ciment pour reconstituer certaines pierres. Et pour remplacer les chevilles des premiers bâtisseurs, on a utilisé des os de petits animaux, ici, ce sont des os de moutons !", explique-t-il.

A l’abri dans la cathédrale car le jour est à la tempête, Philippe Latour aborde aussi, évidemment, l’historique du monument principalement gothique.

Des coulisses des théâtres à la langue des signes française

Ancien éclairagiste aux Théâtres de Champagne et de la Madeleine, Philippe Latour a débuté sa carrière de guide en faisant visiter ces salles de spectacle. Au début des années 2000, l’office de Tourisme de Troyes cherche de nouveaux talents et valide les compétences de cet autodidacte passionné et théâtral.

Il propose alors des thématiques classiques comme la découverte du quartier St Jean avec l’Eglise de la Madeleine mais également des circuits bien plus personnels. Il met en place le fameux Sightjogging, ou visites en courant, une offre qui a récolté un franc succès mais qui a été suspendue du fait du Covid. Il n’hésite pas également à faire des tours en segway ou à vélo.

"J’ai également concocté un parcours baptisé le Troyes coquin, un autre sur les sculptures de Troyes, et l’année dernière une déambulation sur la thématique des cloches" ajoute-t-il.

"Pendant longtemps, même si je n’avais pas de sourd dans mon entourage, je me disais que j’avais envie d’apprendre la LSF." Les langues ne sont pourtant pas le point fort de Philippe au départ. "Il y a deux autres guides à Troyes qui ont d’ailleurs également eu une médaille du tourisme, Christine Lerat notamment pour son anglais, et Camilla Weyer son italien. Moi, j’ai appris l’allemand et j’ai tout oublié, donc je parle le français et le gaulois. Malgré tout, la langue des signes, c’est technique, cela me ressemble. C’est comme découvrir un autre monde ! Les sourds vivent la même chose que nous mais avec une pensée différente." 

Le hasard a voulu que Philippe Latour ait envie de franchir le pas  juste au moment où la Ville de Troyes proposait des sessions à ses agents. "Nous étions une dizaine au départ mais au fil du temps le chiffre a bien diminué ! J’ai passé 12 niveaux de 30 heures sur 5 ans !" 

La difficulté est double

Il y a d'abord une question de syntaxe différente, que l'on apprend d'ailleurs bien avant les signes de base. Il faut toujours mettre l’idée la plus importante en tête de phrase. Si par exemple, je veux parler des tombes dans la cathédrale, je dois d’abord signer «la cathédrale» puis « à l’intérieur» puis « les tombes » Le verbe et la question se mettent toujours à la fin. Par exemple, je ne signerai pas «qui dans la famille a fait telle chose mais «dans la famille telle chose qui ?» Et puis il y a des signes qui n’existent que chez les sourds, alors il faut s’accrocher ! Notamment le Pi qui ne veut pas du tout dire 3,1416, et qui se signe différemment selon les régions.

Des visites guidées très exigeantes

Les jours de balade avec des sourds, Philippe Latour ne prévoit rien d’autre. "Cela me demande beaucoup plus d’énergie, résume-t-il. " C’est une sacrée gymnastique d’esprit !  Ma chance, c’est que les visites comportent toujours des étapes de marche pour se remettre les idées en place. Et puis, il y a toujours un moment où ils ont besoin de se mettre en cercle entre eux et de gesticuler. S'ils bombardent, je peux avoir du mal à suivre! Nous, on peut se dire une messe basse en douce, mais eux quand ils se parlent, c’est forcément plus visible, ça engage tout le corps. "

Impossible en tout cas de mélanger les publics au sein d’une même promenade selon Philippe Latour car il n'est pas interprète. " Cela demande un bac +3 et de prêter serment."  

Sensible au handicap en général

Selon Philippe Latour, le nombre de visites pour ce public est très aléatoire, même si les tarifs pour les handicapés fixés par son employeur sont toujours plus accessibles que pour les autres. "J’ai parfois enchaîné plusieurs conférences lors de la venue de Juifs sourds intéressés par Rachi," explique-t-il. Pour la découverte du patrimoine de l’Unesco, j’ai eu la venue régulière, plusieurs fois par an, de jeunes enfants du centre médico-social et pédagogique de Chanteloup. Mais globalement, on ne peut pas prévoir grand-chose."

En tout cas, Philippe Latour ne peut nier qu’il  est sensible au handicap de façon générale. En ce moment, il réfléchit à l’organisation de visites avec des aveugles. "Cela demande des accompagnateurs et un itinéraire concentré, alors c’est plus compliqué. Mais nous pourrions les faire en extérieur. Ainsi, ils pourront toucher les statues sans souci."

Gageons que son employeur, Troyes la Champagne Tourisme, suivra une fois de plus son idée.      

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