TEMOIGNAGE. Ce garçon handicapé termine un marathon en plein désert à 14 ans

À la fin du mois d'avril, Enzo, un garçon handicapé de 14 ans, qui vit près de Troyes (Aube) a participé au très difficile Marathon des sables (Maroc, plus de 200 kilomètres). Son accompagnatrice principale, Peggie Papa, raconte cette aventure hors du commun.

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Une semaine de course, fin avril 2023. Près de 270 kilomètres parcourus dans le brûlant désert marocain. C'était le prix à payer pour aider à réaliser le rêve d'Enzo, un garçon handicapé de 14 ans vivant près de Troyes (Aube). 

Peggie Papa a accepté de raconter cette histoire à France 3 Champagne-Ardenne. Une histoire qui commence, chose étonnante... en prison. 

Six jours de course, un an de préparation

Qui êtes-vous ?

"Il y a un an, je travaillais à la maison d'arrêt de Troyes. Pierre Soyer, le président d'Handisport, y intervenait pour permettre aux détenus en situation de handicap de faire du foot en fauteuil roulant. Il m'a proposé de faire le semi-marathon de Troyes, afin d'accompagner un jeune, Enzo, en joëlette [fauteuil roulant de course en quelque sorte; ndlr]. Je ne le connaissais pas, c'est là où je l'ai rencontré. On a donc fait ce semi-marathon avec une équipe de surveillants de prison - moi j'y suis prof - pour accompagner Enzo. On était à fond pendant 21 kilomètres."

"Enzo n'a pas arrêté de nous encourager. Et il me parlait, il me demandait quelles courses j'avais faites - je suis coureuse - et laquelle était la plus dure. Je revenais du Marathon des sables, une édition très compliquée, en octobre 2021, avec des chaleurs avoisinant les 60 degrés, avec 53% d'abandon. J'avais réussi à finir la course, et j'étais revenue un peu fatiguée. Je lui ai donc dit que c'était la course la plus difficile que j'avais réalisée. Tout est parti de là : Enzo m'a dit que c'était son rêve de faire ce Marathon des sables. J'ai arrêté la joëlette, en pleine course, j'ai regardé Enzo dans les yeux, et je lui ai dit : ok, je t'emmène, je monte le projet. C'était en mai 2022."

Et qui est Enzo ?

"C'est un jeune de 14 ans, actuellement scolarisé en troisième au collège Eurêka, à Pont-Sainte-Marie... C'est un très grand prématuré, et il est donc handicapé : il n'a plus l'usage de ses jambes. À l'époque, il n'était ni un ami, ni un frère... C'était une simple rencontre. Mais aujourd'hui, Enzo, c'est comme mon quatrième enfant. Je l'ai porté pendant un an par rapport aux entraînements, la recherche des sponsors, l'organisation de soirées et spectacles... Il n'y avait pas que lui et moi, on était toute une équipe. Mais ça a été un an où on s'est rapproché tous les deux. Quelque chose de fort au niveau relationnel s'est créé. Malheureusement, j'habite dans une maison où il ne peut pas venir en fauteuil-roulant à cause des escaliers."

Aujourd'hui, Enzo, c'est comme mon quatrième enfant.

Peggie Papa, première supportrice d'Enzo (avec sa maman, bien sûr)

"Son angoisse, à Enzo, c'est que l'équipe le laisse tomber. Mais c'est impossible. Enzo fait partie de moi, aujourd'hui. Hier, il est retourné à l'école : je lui ai téléphoné pour savoir comment s'est passée sa rentrée. Je ne le lâcherai jamais. On a d'ailleurs déjà prévu d'autres courses. Pas aussi immenses, même si ce ne sont pas les défis qui me font peur : c'est plutôt le côté financier."

C'est à dire ?

"J'ai mis ma vie entre parenthèses pendant un an pour trouver les fonds. On a dû ramener quasiment 50.000 euros pour participer, ce n'était pas simple. On était huit coureurs, neuf avec Enzo, dix avec sa maman, et onze avec Pierre Soyer. L'inscription par tête représente environ 3.500 euros par personne : ça fait quasiment 40.000 euros. Et il faut 10.000 euros de matériel, en gros : nourriture lyophilisée car on est en auto-suffisance alimentaire, tenues et leur flocage, couverture de survie, couteau, boussole, aspi-venin..."

De quels sponsors avec-vous bénéficié ?

"Des collectivités, comme la ville de Troyes ou la région. Mais aussi beaucoup de petits donateurs anonymes, de petits grains de sable pour notre Marathon des sables. Et quand on a eu du mal, à la fin, à boucler le budget, on a fait une soirée caritative de ventes aux enchères le 8 février au Troyes Fois Plus. On a eu des peintures et des sculptures à vendre. On a aussi eu la chance d'avoir des joueurs de l'Estac, le club de foot, qui nous ont soutenu : ils ont offert leurs T-shirts, des crampons de tel joueur, les gants du gardien... Des gants partis à 2.000 euros : on a vu que les gens derrière nous avaient envie de nous faire plaisir, nous voir partir dans cette folle aventure.  On a pu récupérer environ 22.000 euros : de quoi nous permettre de boucler le budget en mars 2023 [voir publication Facebook ci-dessous; ndlr]."

Comment qualifier un tel projet ?

"Ce n'était pas qu'un projet d'emmener un garçon et une équipe. Ça va bien au-delà. On a eu un soutien énorme de personnes complètement anonymes. Ça a pris une ampleur incroyable, qu'on ne soupçonnait pas au départ de cette aventure. J'en profite pour remercier l'organisateur de la course, Patrick Bauer, et tous les bénévoles."

Pourquoi vouloir courir le Marathon des sables ?

"C'est un défi énorme. On peut prouver que rien n'est impossible. Pour Enzo, relever un tel défi, c'est être capable de tout affronter. Il en ressort grandi. Lui, comme toute personne porteuse de handicap."

Au coeur du désert marocain

Comment s'est passée la course ?

"Tous les coureurs, y compris Enzo, doivent porter notre vie : sac de couchage, matériel de sécurité, 2.000 calories par jour en nourriture lyophilisée, notre eau aussi. Celle-ci est donnée par l'organisation chaque soir, mais on doit la porter. On s'est retrouvé chacun avec huit à dix kilos dans nos sacs, et les sacoches de la joëlette d'Enzo."

"La première étape faisait 35 kilomètres, le dimanche 23 avril. Le lundi : encore 35 kilomètres. Le mardi : encore 35 kilomètres. Étape longue le mercredi : 90 kilomètres... mais à vol d'oiseau, en GPS; pour nous, c'était plus de 100 kilomètres en 30 heures car on devait contourner certains passages pour s'enfoncer le moins possible dans le sable. On a eu un peu de repos le jeudi. Vendredi : marathon de 42 kilomètres, 46 pour nous. Le samedi, c'était une dizaine de kilomètres."

Et comment vous l'avez vécue ?

"Globalement, on n'a pas eu trop de soucis. Évidemment, on a eu des ampoules, on a vomi, on a saigné du nez, on a eu la diarrhée. Enzo aussi. Mais rien de grave, pas d'abandon. Au niveau de la joëlette, on a malheureusement eu plusieurs crevaisons. Dans ces moments-là, on attendait l'assistance pour nous amener le matériel et réparer ou changer la roue. On aurait dû emmener les outils, c'était un peu notre tort : une deuxième joëlette était mieux préparée pour ça en ayant directement le matériel. On avait aussi des talkie-walkies qui ne fonctionnaient pas, donc quand on crevait, un coureur devait partir à fond devant pour trouver quelqu'un de l'organisation et avoir de l'assistance."

"Au niveau de la température, j'ai entendu dire que ça avoisinait les 50 degrés au soleil. Avec une sécheresse énorme : on a toujours la bouche sèche, les yeux secs... On a beau s'arroser : deux secondes après, on est à nouveau sec."

Quel souvenir particulièrement beau voulez-vous nous confier ?

"Lors de l'épreuve longue, on a crevé vers 05h00. On attendait l'assistance... et on s'est endormi sur les dunes. Quand l'assistance est arrivée, on a découvert un lever de soleil magnifique. C'était un moment où on était content d'avoir crevé pour pouvoir vivre ça."

Quel est votre état d'esprit à la fin de tout ça ?

"On était hyper heureux d'avoir réussi à terminer cette course difficile. J'ai vraiment le sentiment d'avoir apporté quelque chose à Enzo, quelque chose qui sera ancré toute sa vie future... Car en septembre, il va partir dans un lycée vers Nancy. Il va quitter sa famille, ses repères ici. Et je sais qu'à travers cette magnifique aventure, il pourra puiser des forces, des ressources. J'en suis fière. Je dis je, mais il s'agit de toute l'équipe, évidemment. On lui permet d'avoir un bagage solide toute sa vie d'adolescent, d'homme, de futur papa qui sait. Finir un Marathon des sables, c'est transformer une vie. Celle d'Enzo, et les nôtres, à nous coureurs [Enzo a terminé la course debout; voir vidéo ci-dessous]." 

durée de la vidéo : 00h00mn22s
Enzo termine la course debout. ©Peggie Papa

Et que vous a dit Enzo ?

"Il nous a tous remerciés. Il était mignon : il nous a tous donnés un surnom, il nous avait catalogués. Il est très, très reconnaissant. Mais toujours avec cette angoisse de l'abandon. C'est nouveau, pour lui, que toute une équipe ait pu se mobiliser autour de lui pendant un an. Son handicap, aujourd'hui, au collège comme dans son quotidien, c'est quelque chose qu'il ne vit pas bien. Il se sent mal-aimé : à l'école, il n'a pas d'ami. On ne lui tient même pas une porte pour qu'il puisse passer avec son fauteuil... Ce sont des difficultés au quotidien."

Comment se fait le retour au quotidien ?

"La transition est particulière. On retrouve notre quotidien. J'ai retravaillé le mardi 2 mai, Enzo est retourné au collège aussi... C'est difficile. Les nuits, on se donne des nouvelles entre membres de l'équipe, et on a toujours la tête dans le désert. On est toujours là-bas. Avec ou sans Enzo : c'était mon troisième Marathon des sables, et ça fait ça à chaque fois. Lydie, la maman d'Enzo, m'a appelée pour me demander : combien de temps ça va durer, j'ai l'impression d'être toujours là-bas ? On met au moins une bonne semaine avant de se reconnecter au réel." 

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