En 1977, la plaidoirie de Robert Badinter devant les assises de l'Aube permet au meurtrier Patrick Henry d'échapper à la peine de mort. Alors tout jeune avocat, Gérard Bocquillon était à ses côtés. Il nous raconte ce moment historique.
Le grand combat de la vie de Robert Badinter aura été l'abolition de la peine de mort en France. Alors qu'on a appris ce vendredi sa disparition à l'âge de 95 ans, nous avons choisi de revenir sur le procès de Patrick Henry.
En 1977, cet homme est jugé devant la cour d'assises de l'Aube à Troyes pour le meurtre de Philippe Bertrand, un enfant de sept ans. Il est défendu par deux avocats, le bâtonnier de Chaumont (Haute-Marne) Robert Bocquillon et Robert Badinter.
Gérard Bocquillon était alors tout jeune avocat et travaillait au cabinet de son oncle Robert, à Chaumont. "Quand l'affaire Patrick Henry est arrivée, le bâtonnier Bocquillon dont j'étais le collaborateur a tout de suite dit qu'il fallait qu'on prenne un avocat sur Paris. Parce qu'une affaire de cet ordre était difficile à traiter de la province, raconte Gérard Bocquillon, interrogé ce 9 février 2024 par notre journaliste Marie-Galante Fontant. Je lui ai parlé de Badinter que j'avais vu l'année d'avant à l'université. Et finalement, on l'a appelé."
C'est dans un restaurant de Nogent-sur-Seine (Aube), à mi-chemin entre Paris et Chaumont, qu'ils se donnent rendez-vous pour discuter de l'affaire. Après une journée de réflexion, Robert Badinter acceptera de défendre le criminel.
Cinq ans plus tôt, l'avocat n'avait pas pu convaincre les jurés d'épargner la guillotine à son client Roger Bontems, jugé pour complicité dans l'assassinat d'un gardien et d'une infirmière de la maison centrale de Clairvaux (Aube).
"Le procès de la peine de mort"
Le procès de Patrick Henry s'ouvre le 18 janvier 1977 devant les assises de l'Aube. "C'était quelque chose de passionnant. Il y avait énormément de presse puisqu'il s'est dit tout de suite que ce serait le procès de la peine de mort. Donc il y avait des journalistes de toute l'Europe, même des Américains", se souvient Gérard Bocquillon.
Les rôles étaient bien définis entre les deux avocats de Patrick Henry. "Le bâtonnier Bocquillon défendait Patrick Henry, qui avait tué cet enfant. Et Robert Badinter s'occupait uniquement de plaider contre la peine de mort. Il a été excellent, racontant qu'il avait assisté à l'exécution de Bontems qui était son client. Ce qu'était l'horreur d'entendre la lame de la guillotine couper un homme en deux. C'est sûr que tout le monde était un peu tétanisé dans la salle."
Finalement, Patrick Henry est reconnu coupable du meurtre du jeune Philippe Bertrand, mais les jurés décident de ne pas le condamner à mort. Il s'en est fallu d'une voix pour que le scrutin bascule dans l'autre sens. Le criminel sera condamné à la perpétuité.
"Quand il n'a pas été condamné à mort, les gens sont sortis de la salle. Ils étaient déchaînés. Ils étaient accrochés aux grilles devant le palais de justice. Je me souviens qu'ils criaient 'donnez nous les avocats'. C'était incroyable", ajoute Gérard Bocquillon.
Après ce procès, Robert Badinter poursuivra son combat contre la peine de mort en devenant ministre de la Justice après l'arrivée de François Mitterrand à l'Élysée, en 1981. La peine capitale sera définitivement abolie en France le 9 octobre 1981.