A l'heure du déconfinement, le collectif "Arts en Résistance" continue d'occuper le théâtre de Champagne à Troyes en cette fin mai 2021. La municipalité leur demande de partir, le collectif est convoqué devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ce mercredi 2 juin.
Depuis le 23 avril, le collectif "Arts en Résistance" occupe le théâtre de Champagne à Troyes. Une occupation qui se poursuit en cette fin du mois de mai alors que flotte partout un air de déconfinement et que les spectacles ont pu reprendre en intérieur avec une jauge à 35%.
Les membres du collectif ont d'ailleurs prévenu, pas question pour eux de quitter ce lieu qu'ils ont rebaptisé "le théâtre du peuple", à moins d'être expulsés de force ou de voir leurs revendications satisfaites. Ce mercredi 2 juin, ces représentants sont convoqués devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne pour déterminer si l'occupation est illégale.
"Ne pas céder au chantage"
Dans un communiqué de presse du 31 mai 2021, le collectif a fait connaître sa position, affirmant ne pas vouloir "céder au chantage".
"Le collectif Arts en Résistance, constitué à l'appel du théâtre l'Odeon de Paris et composé d’artistes de toutes disciplines mais aussi de technicien.ne.s du spectacle et de travailleur.euse.s précaires, est désormais sommé de quitter les lieux par François Baroin.
C’est par la voie judiciaire que ce dernier a mis ces citoyen.ne.s au pied du mur alors que son 1er adjoint, Marc Sebeyran, se targuait depuis le début de l’occupation d’avoir toujours été "prêt au dialogue". Ces discussions n’étant qu'unilatérales avec ce dernier, les membres du collectif ont envoyé le 22 Mai une lettre recommandée avec accusé de réception au maire de la Ville de Troyes, demandant un entretien afin de présenter leur plan de relance local. C’est pourtant avec mépris et méconnaissance du travail colossal fourni par les occupant.e.s que le président des maires de France a répondu, sonnant la fin (provisoire) de cette expérimentation enrichissante de tiers lieu culturel au théâtre du Peuple.
Après les visites de policiers municipaux, d’huissiers et même du directeur des affaires administratives de Troyes au théâtre, le collectif d’Arts en Résistance doit se présenter mercredi 2 juin 2021 au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne afin que soit statuée juridiquement l’évacuation du lieu. D’ores et déjà, les personnes participant de près ou de loin à cette initiative ont pris la décision de ne pas céder au chantage (car il s’agit bien de chantage lorsque des mesures judiciaires et financières sont prises envers des personnes non-violentes et fédératrices mais déjà précarisées par la situation) et de garder cette dynamique interdisciplinaire, riche et joyeuse. C’est ainsi que les occupant.e.s du théâtre du Peuple entendent continuer leur mouvement dans un autre lieu où leurs disciplines ne seront pas muselées et limitées à des pratiques conventionnelles, dont la place est légitime mais qui ne sont pas les seules à pouvoir s’arroger le titre d’art et les financements afférents."
Le collectif a par ailleurs lancé une pétition de soutien en ligne qui a recueilli près de 8.000 signatures au 31 mai.
L'assurance de ne pas être fermé à nouveau
Mais alors qu'est-ce qui motive le collectif a poursuivre son occupation ? "On ne veut pas de la réouverture comme elle est en train de se passer là, prévient Damien Boureau, 39 ans, professeur de musique, guitariste et l'un des représentants du collectif. Nous souhaitons une réouverture avec la prise en compte de l'année quasiment et demie qui vient de se passer pendant laquelle la seule solution apportée à la crise sanitaire a été des fermetures systématiques puis un flou sur l'histoire du pass sanitaire, etc. Nous voulons l'assurance que si, en septembre ou en octobre, il y a une nouvelle vague, les lieux culturels, ne soient pas de nouveau fermés. Or aucun moyen n'a été mis en place pour cela."
La période écoulée a visiblement laissé des traces indélébiles d'autant plus profondes que c'est la première fois dans l'histoire de France que les salles de spectacles restent fermées pendant une durée aussi longue.
Prolongement de l'année blanche
Proposer un plan pour éviter une refermeture totale, c'est l'une des revendications nationales du collectif qui demande également une prolongation des droits des intermittents. "Souvent les gens ont tendance à penser que l'intermittence, c'est un système d'assistanat. En fait, les personnes qui cotisent, cotisent à chaque cachet à 50% de ce qu'ils vont retoucher après pendant les périodes d'inactivité. Et là, évidemment, la période d'inactivité a été extrêmement longue. Du coup, l'année blanche en 2020, c'était le prolongement du statut des personnes qui avaient cotisé pendant l'année précédant le Covid.
Tout le monde ne va pas pouvoir travailler normalement
Et là, aujourd'hui, on nous dit voilà, à partir du 31 décembre 2021, il va falloir que les intermittents puissent justifier d'une activité pour avoir des droits, les fameux 507 heures et 43 cachets, pour la période précédente, c'est-à-dire l'année en cours. Evidemment, si on ne peut pas travailler normalement pendant les six prochains mois, cela sous-entend qu'il y aura plein de personnes qui ne pourront pas prolonger leur statut et avoir de nouveau une assurance chômage. Du coup, elles ne pourront pas pallier aux périodes d'inactivité.
Même si toutes les salles ouvraient aujourd'hui et qu'elles avaient l'intention de repartir avec une activité normale, comme il y a eu des reports pendant un an et demi, il va y avoir un bouchon en terme de programmation qui va se créer. Donc tout le monde ne va pas pouvoir travailler normalement jusqu'à ce que cet entonnoir passe et qu'on retrouve une vitesse de croisière."
A ce titre, le collectif s'oppose également à la réforme de l'assurance chômage, applicable à partir du 1er juillet 2021, qui fixe notamment une nouvelle règle de calcul du salaire journalier de référence servant de base à la détermination du montant de l'allocation. Un mode de calcul qui pourrait pénaliser ceux qui alternent contrats courts et inactivité.
La Ville dans le viseur
A côté de ces revendications nationales, d'autres sont très locales. Avec dans le viseur la municipalité de Troyes. "Si les problèmes qui sont soulevés partout en France sont une réalité, il nous est impossible de ne pas souligner combien l’approche culturelle locale (axée principalement sur le patrimoine et non sur le spectacle vivant) amplifie les difficultés pour les artistes et autres acteurs du monde culturel du bassin troyen", dénonce le collectif sur un de ses tracts.
Avec d'abord la demande d'une "programmation alternative d'urgence". "Nous proposons des Arts de Rue, de la musique, des comédiens, du chant populaire, du chant lyrique, des happenings, pour égayer et animer la cité, les quartiers et les places importantes du 5 juin au 1er août avec mise à disposition d’une scène par la Ville à prévoir si nécessaire. Sur une base moyenne de 800 € par spectacle, cela représente un budget de 21.600 € pour 3 prestations hebdomadaires du 5 juin au 1er août. Pour rappel, le collectif est composé de compagnies associatives à statut déclaré qui peuvent donc prendre en charge la facturation."
Le collectif demande également la mise en place d'un "tiers lieu" pour la création artistique et un meilleur accompagnement artistique. "Notre mouvement milite aujourd’hui pour une réouverture des espaces culturels, mais pas pour un retour au passé. Or nous faisons le constat d’un manque de prise en compte de la diversité culturelle locale sur notre territoire. Notre occupation du théâtre de la Madeleine, puis du théâtre de Champagne a pour but, en plus des revendications nationales portées par le collectif, de favoriser cette diversité. Nous voulons donner la possibilité aux artistes locaux de développer et présenter leurs oeuvres dans des conditions professionnelles, financières et logistiques, et d’autre part nous souhaitons favoriser la création et l’échange entre artistes émergents et artistes confirmés. Nous voulons donc obtenir un lieu dès maintenant permettant cette émulation, et ce aussi bien pour les arts visuels, graphiques et plastiques, que pour la musique, le théâtre, la danse et le cirque. Ce lieu artistique et d’expression libre n’existant pas à Troyes, nous le créons en ce moment même au Théâtre de Champagne."
"On a recensé une douzaine de lieux inoccupés sur l'agglomération troyenne qui pourraient acceuillir le collectif. On a essayé d'engager le dialogue mais on n'a jamais rencontré le maire de Troyes", développe Damien Boureau. Ça a été systématiquement son premier adjoint chargé de la culture ou le directeur des affaires culturelles, qui est un juriste, qui venait en réunion. Là, aujourd'hui, la Ville nous dit "écoutez, on va prolonger la programmation estivale de deux semaines". Sachant que dans les deux semaines, il y a trois soirées de concerts. Il y a une incompréhension totale de leur part. C'est marqué noir sur blanc sur le plan de relance du gouvernement, les aides doivent conduire à la création, à la diversité culturelle. Et c'est exactement ce qui manque à Troyes."
Pour arriver à créer cette diversité, le collectif souhaite également une meilleure répartition des subventions selon eux "allouées à quelques structures qui profitent très largement du système" au détriment "des petites structures". "Il faut prendre en compte les écueils du système dans lequel on est et essayer de compenser un peu ça par le biais justement d'ouvertures de structures de culture locale. Qu'est-ce que ça veut dire un artiste local? Ce n'est pas un artiste qui fait des choses de moins bonne qualité. C'est quelqu'un qui est juste sur place et qui est en proximité avec le public, qui est en proximité dans ses actions culturelles, qui rayonne sur un territoire ce qui n'est pas le cas de personnes très connues qui ne vont pas être en proximité et faire des actions sur le territoire, au niveau des scolaires etc."
La municipalité "en appelle à la raison"
De son côté, le premier adjoint du maire de Troyes, Marc Sebeyran, en charge de la culture, se dit "prêt au dialogue" mais "en appelle à la raison". "J'ai rencontré à trois reprises les membres du collectif et nous sommes encore prêts à discuter de leurs revendications locales. Seulement à l'heure où les lieux de culture ouvrent à nouveau, des répétitions doivent s'organiser ainsi que des résidences et des captations musicales au sein du théâtre de Champagne, il faut donc évacuer pour que la vie culturelle puisse reprendre justement", indique le premier adjoint.
Concernant les revendications, là aussi, les réponses sont tranchées. "Il y a une demande de plus d'art de rue? Nous avons multiplié par deux la programmation de nos animations d'été intitulées Ville en musiques. Au total, nous aurons 80 concerts et 500 musiciens qui vont faire des concerts en plein air. C'est un vrai plan de relance culturel !"
Quant à la création d'un tiers-lieu, "une réflexion est en cours depuis avant la crise sanitaire afin de créer un lieu de rencontre entre les artistes mais également avec des espaces pour les étudiants, les seniors, des associations etc. Mais cela ne se décide pas d'un coup de baguette magique car c'est un investissement important, assure l'élu. Sur tout ce qui peut être culture dite alternative, on est prêt à regarder la possibilité de les diffuser dans nos lieux culturels actuels. On a aussi la Chapelle Argens qui est un lieu pour les musiques actuelles, on est prêt à élargir son utilisation. On a un certain nombre de lieux qui sont disponibles, je pense qu'il faut déjà les faire repartir en faisant en sorte qu'il y ait une vraie programmation et un retour de la relation entre les artistes et leur public. Et ensuite, on poursuivra la réflexion sur ce tiers-lieu.
Nous avons multiplié par deux la programmation de nos animations d'été intitulées Ville en musiques. C'est un vrai plan de relance culturel!"
De plus, on n'a jamais refusé à quelconque artiste, quelconque association qui vient nous voir, de les aider. Il n'y en a pas que pour les grandes structures. A chaque fois qu'il y a une demande de subvention, on essaye d'y répondre et de faire en sorte que l'artiste puisse trouver un moyen d'expression. S'ils n'ont pas eu, c'est qu'ils n'ont pas demandé!"
Vers une évacuation de force ?
"Les huissiers sont passés pour constater notre occupation. Il faut savoir que dans tous les lieux occupés de France, à un moment ou un autre, il y a des pressions qui se sont faites", relate Damien Boureau, du collectif.
"En effet, les huissiers sont passés la semaine dernière (mi-mai ndlr) plus pour constater qu'il n'y a pas de problèmes liés à la sécurité, abonde Marc Sebeyran. On a constaté qu'il y a des branchements électriques qui ont été faits, des cendriers alors qu'il est interdit de fumer dans le théâtre. C'est un théâtre municipal, on doit assurer la sécurité, c'est notre responsabilité."
Faut-il donc s'attendre à une intervention policière pour déloger de force le collectif ? "Pour l'instant, il y a une demande très forte qui est faite pour qu'ils quittent paisiblement le théâtre, sinon la saison culturelle ne pourra pas reprendre. Ce qu'ils font là est contre leur intérêt", se borne à répéter l'élu dans un souci évident de ne pas envenimer d'avantage la situation.
Réponse des intéréssés. "Aucune programmation n'était prévue au théâtre avant octobre 2021. Peut-être ont-ils prévu des choses dans un second temps pour essayer de justifier qu'on doive partir. L'harmonie municipale doit venir jouer, je crois que c'est le 19 juin, sachant que nous, évidemment, on a toujours dit qu'on n'empêcherait pas un spectacle de se faire."