C’est un anniversaire qui se fête. La Guinguette du Passage à Romilly-sur-Seine (Aube) célèbre ses cent ans en 2024. Un siècle de souvenirs, d’anecdotes et de nostalgie. Une histoire qui dure depuis dix décennies grâce à la passion d'une même famille, les Morin, et qui traverse les générations.
Chez les Morin, le goût est à la fête et à la danse, et cela dure depuis maintenant cent ans. À Romilly-sur-Seine (Aube), la Guinguette du Passage est une institution pour les passionnés de musette et de musiques actuelles. Tous les dimanches après-midis, de mai à septembre, jusqu’à 300 danseurs viennent prendre du bon temps sous la tonnelle en acier - structure d’époque ! - et apprécier le cadre idyllique du passage du Gué-Bourgeois. Un lieu bucolique qui fait partie de l’histoire locale et qui, depuis son ouverture en 1924, rassemble les foules, toutes générations confondues. Mais il faut remonter un peu plus loin dans le temps pour comprendre son histoire.
Une histoire familiale qui commence début XXème
Peu avant la Première Guerre mondiale, en 1911, Gaston Morin, alors chef de gare à Romilly-sur-Seine, fait l’acquisition d’une petite maison de campagne située juste après le Pont du Passage de la commune. Il rachète dans la foulée le café attenant. Déjà dans les années 1910, les affaires fonctionnent bien, et la vie y est paisible. Père de quatre fils, c’est l’un d’entre eux, Georges Morin, qui crée la guinguette en 1924. Ce dernier a alors 27 ans. Le succès se met en place au fil des ans, les danseurs sont de plus en plus nombreux et les Morin accueillent en parallèle sur le même site des enfants en colonie de vacances durant l’été.
Georges Morin devient à son tour père de deux enfants, Geneviève et Jacques, nés respectivement en 1922 et 1926. Dès le plus jeune âge, les deux bambins s’amusent sur la piste et côtoient musiciens, danseurs, curieux ou simples flâneurs venus se poser le long de la Vieille Seine le temps d’un après-midi. L’entre-deux-guerres et l’arrivée des congés payés en 1936 marquent l’insouciance de la paix et l’envie de se divertir, alors que les Français se dandinent sur Y’a d’la joie de Maurice Chevalier ou Quand on s’promène au bord de l’eau de Jean Gabin. Des années folles enthousiastes et créatives qui s’achèvent brutalement en 1939, lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale.
La Seconde Guerre mondiale souffle la joie de danser
De mai 1940 à avril 1945, les bals sont totalement interdits sur le territoire français, considérés comme une jouissance outrageante. Si organiser des guinguettes clandestines aurait pu leur effleurer l’esprit, les Morin auraient du rapidement abandonner l’idée. Car les Allemands avaient établi un camp juste en face de leur propriété. "En 1944, ils ont fait sauter le Pont du Passage, il n’y avait plus aucun accès entre l’Aube et la Marne. Avant cela, ils ont dit à la famille d’aller se réfugier pour éviter des blessés", indique Martine Morin, actuelle propriétaire de la guinguette.
La guerre n’empêche pas Geneviève, fille de Georges Morin, de reprendre le café à l’âge 20 ans, en avril 1942, juste après le décès de sa mère, morte de la tuberculose. "Officiellement ils étaient tous les deux - Geneviève et Jacques - à reprendre la guinguette. Mais Jacques avait déjà un emploi à la SNCF et, à l’époque, il n’était pas possible de cumuler deux activités", ajoute Martine Morin. D’une main de maître, au sortir de la guerre, frère et soeur donnent une seconde vie à l’établissement et font de la guinguette le rendez-vous dominical par excellence. Cinq décennies à taper du pied, swinguer, guincher et flirter qui laissent des souvenirs, de la nostalgie et un défi : celui pour Hervé, le fils de Jacques, et de Martine sa compagne, de reprendre dignement le flambeau.
Une génération après l'autre, et toujours la même passion
Pour Hervé Morin, la question de reprendre ou non l’activité familiale ne s’est même pas posée : "À l’époque, mon grand-père Georges voulaient donner du plaisir aux autres. Et nous aussi on aime ça, la guinguette c’est un moment de plaisir et d’oubli", souffle-t-il. De nature réservé, Hervé n’est pas tellement du genre à se confier. Mais s’il est à la tête de la guinguette depuis 33 ans, c’est qu’il s’y plaît : "C’est le contact avec la clientèle qui m’intéresse", sourit-il. Martine, sa femme et co-propriétaire, ne peut qu’appuyer ses dires. "Ce que l’on souhaite, c’est laisser la trace de nos ancêtres exister encore longtemps, il faut les respecter et leur rendre hommage. Si la guinguette est toujours là après 100 ans, c’est que naturellement elle plaît".
Il faut respecter nos ancêtres, et leur rendre hommage.
Martine Morin, propriétaire de la Guinguette du Passage
La tradition voudrait que la prochaine génération reprenne les affaires familiales. "Nous avons un fils, il a 34 ans et il est maçon. Il habite sur la propriété, et bien sûr qu’on aimerait le voir reprendre. Et pourquoi pas notre petit-fils par la suite". Pour cela, il faudra attendre un peu, car le petit Ethan n’a que 5 ans. Mais d’après ses grands-parents, il se débrouille déjà très bien sur la piste de danse…
Plus que deux dimanches pour profiter de la Guinguette du Passage en 2024 : les 22 et 30 septembre, de 14h30 à 19h30. Entrée : 10 euros, gratuit à partir de 17h30.