A Bâle, le Rhin traverse la ville. Pour passer d'une rive à l'autre, il y a bien sûr des ponts, mais également quatre petits bacs, les "Fähri", en activité depuis le 19e siècle. Une véritable institution, dont une association assure la pérennité.
A côté des péniches et des barques, quatre "Fähri" (ferries), embarcations de bois à fond plat, semi-couvertes, font vraiment partie du paysage rhénan bâlois. Du Sud au Nord de la ville, il y a, dans l'ordre : le St. Alban-Fähre (bac de la vallée de St-Alban), qui répond au doux nom de "Wilde Maa" (Homme sauvage), le Münster-Fähre (bac de la cathédrale) surnommé "Leu", le Klingental-Fähre (bac de Klingental), aussi appelé "Totentanz" (danse des morts) ou "Vogel Gryff" (griffon), et le St. Johann-Fähre (bac de St-Jean), appelé "Ueli". Deux à trois dénominations par bateau… Rien de compliqué pour les Bâlois, pour qui ces ferries font partie intégrante de leur ville, tout autant que la cathédrale ou la fontaine Tinguely. Présents depuis le milieu du 19e siècle, ces bacs ont, aujourd'hui, une fonction plus agréable qu'utilitaire, et servent davantage à transporter les touristes et les promeneurs que des Bâlois pressés de se rendre d'une rive à l'autre.
Les quatre ferries bâlois n'ont pas de moteur. Chacun se déplace le long d'un câble tendu par-dessus le Rhin, et auquel il est relié par un filin. Seul un trajet rectiligne est possible, des allers-retours d'un embarcadère à l'autre. Un gouvernail à l'arrière permet de donner au bateau l'angle optimal afin que le courant le pousse au mieux. Arrivé sur l'autre rive, l'angle est inversé et le bateau repart en sens contraire. En moyenne, il faut compter environ 5mn par traversée, un peu moins en période de fonte des neiges, quand le courant est plus fort. Et près d'un quart d'heure lorsque, comme l'été dernier, le Rhin était au plus bas.
Principaux passager : les promeneurs et les touristes. "On fait une sortie aujourd'hui, et spontanément, on a eu envie de faire un tour en bateau", confie une jeune maman, qui vient de prendre place sur le Münster-Fähre avec son petit garçon. "C'est génial que ce genre de bateau existe encore, s'émerveille une dame venue de Berlin. J'adore tout ce qui fonctionne sans moteur." Le "Fährimaa" (batelier - littéralement "homme du ferry"), s'installe tranquillement avec eux sur les banquettes de bois. Il peut se permettre de bavarder, car le bac avance tout seul. "Mais tout en discutant, il faut que je reste vigilant, pour guetter l'arrivée d'une péniche", explique-t-il. En effet, sur le Rhin, les gros bateaux ont la priorité. S'ils circulent dans le sens du courant, le petit ferry doit garder 200m de distance. "Mais à part ça, c'est un travail agréable, sans stress. Personne ne me donne des ordres. Et si un passager est un peu pénible, je modifie légèrement l'angle du bateau, pour le faire avancer plus vite. Ainsi, je peux débarquer le gêneur plus rapidement", sourit le batelier, qui ne se lasse pas d'effectuer, depuis 30 ans, le même trajet des dizaines de fois par jour : "Il y a toujours de nouveaux passagers. Jeune, j'ai parcouru le monde. Maintenant, c'est le monde qui vient à moi."
Quelques centaines de mètres en amont, derrière le prochain pont, circule le Klingental-Fähre. Son batelier y travaille depuis 46 ans. Après avoir secondé son père, il a pris sa succession en tant que "Fährimaa" officiel en 1992. Parmi ses passagers les plus fidèles, il compte un chien, Dario. Tous les jours, celui-ci fait la traversée avec son maître, depuis le quartier de Klein Basel jusqu'à la vieille ville, et retour. "Depuis qu'il a découvert ce bac, Dario veut l'emprunter chaque jour à midi, car il préfère aller faire ses besoins dans les quartiers chics du centre-ville, explique son maître. Et au fil du temps, mon chien et moi nous sommes liés d'amitié avec les bateliers."
Les premiers bacs ont été mis en circulation vers le milieu du 19e siècle, au moment où la ville de Bâle s'est agrandie, mais n'avait encore qu'un seul pont. Les ferries permettaient aux habitants de rallier rapidement les deux rives. Mais au fil du temps, avec la construction de plusieurs ponts en dur, cette fonction utilitaire a perdu sa raison d'être. En 1972, une fondation a été créée afin de les sauvegarder. Elle est propriétaire des quatre embarcations, qui ne dépendent donc pas des transports publics. Les bateliers sont des gérants-bailleurs, qui versent une contribution et fixent collégialement le prix de la traversée (1,60 CHF – environ 1,40 €). En-dehors des heures officielles de navigation, chacun est libre d'utiliser son bateau pour y proposer des événements particuliers, comme des soirées fondues. Mais ils ne pourraient pas s'acquitter des frais d'entretien (environ 25 000 CHF – 22 000 euros par an et par bac). D'où la création, en 1974, d'une association, le Fähri-Verein, destiné à rechercher les fonds nécessaires. Aujourd'hui, les cotisations de ses 4000 membres permettent de couvrir les dépenses et réparations annuelles des bateaux et, ainsi, d'assurer leur pérennité. Car impossible d'imaginer Bâle sans ces petits bateaux, discrets mais bien présents tout au long de l'année. L'hiver, ils circulent seulement de 11 à 17h, l'été ils commencent à 9h et terminent souvent dans la nuit.