Ce restaurant étoilé crée ses propres boissons sans alcool, pour proposer des menus gastronomiques sans vin

Pour accompagner ses plats gastronomiques, Thierry Schwartz, chef étoilé à Obernai (Bas-Rhin), travaille avec ses équipes à la création de boissons naturelles fermentées. Au-delà d'éviter le vin, il s'agit de susciter l'envie de découvrir d'autres breuvages, de qualité.

C'est un peu comme pénétrer dans un cabinet de curiosités. Ou plutôt un laboratoire d'alchimiste. Dans l'arrière-cour du restaurant de Thierry Schwartz, à Obernai, auréolé d'une étoile au guide Michelin, les étagères de l'atelier de François Hubscher sont remplies de bocaux de fruits mis en macération, de légumes et d'herbes aromatiques à sécher, d'épluchures, de feuilles... Rien ne se perd, tout peut être utilisé pour tester de nouvelles recettes.

Le second de cuisine est le spécialiste maison de la création de boissons : kombuchas (préparation fermentée), sodas, jus, sirops, ou encore vinaigres, des dizaines de bouteilles colorées l'entourent. Il goûte, juge l'état d'avancement du processus de fermentation, en fera tester certains au reste de l'équipe, laisse les autres en maturation. 

"C'est passionnant", sourit le jeune homme. À voir son visage s'illuminer lorsqu'il explique comment il imagine ses recettes, on veut bien le croire. "Il suffit de ramener du sapin d'une balade en forêt, pour le côté résineux ou au printemps, toutes ces fleurs, l'acacia, le sureau, ça peut être très intéressant de les travailler..."

Les travailler, ça veut dire lancer une fermentation selon différentes méthodes. "Pour les sodas, des pétillants naturels, on utilise la bactérie qui est naturellement sur le fruit ou les fleurs : on la laisse se développer, explique le cuisinier de métier, et cela offre une large gamme de boissons qui suivent les saisons.

Pour les kombuchas, en revanche, la fermentation se fait au contact de la "mère de kombuchas", c'est une sorte de champignon, une symbiose entre bactéries et levures, qui se nourrit du sucre du breuvage avec lequel on l'intègre, macération de fruit ou autres, et ça va créer une boisson avec de légères bulles, ce côté un peu fermenté et acidulé."

C'est merveilleux de travailler le vivant. Ce n'est pas stable, ça évolue sans cesse, en fonction de la météo, des températures. Chaque jour, on découvre, on est surpris, on s'adapte. Parfois, ça rate, et parfois ce sont de formidables découvertes

François Huscher, créateur de boissons sans alcool

Ce matin-là, il lance un kumboucha à base de romarin. Qui viendra peut-être, dans quelques mois, accompagner un plat d'un menu. C'est en équipe que cela se décide. Avec le sommelier et le chef.

Cyril Kocher et Thierry Schwartz travaillent ensemble depuis plus d'une décennie. Leur collaboration, entièrement tournée vers les produits naturels, avec des produits de saison et de leur territoire, a été saluée par le guide Michelin : une étoile "rouge" pour la qualité gastronomique et une "verte" pour l'engagement environnementale pour le restaurant, et en 2023, le prix de la sommellerie pour Cyril Kocher.

Dans sa cave, plus de 15 000 bouteilles et une large place faite aux vins naturels. Et tout autant d'intérêt pour les boissons sans alcool concoctées dans la maison. "C'est tout aussi intéressant, tout aussi complexe. Ça ouvre des perspectives et ça nous oblige à ouvrir notre palette aromatique, et du coup, on devient plus précis, même sur les vins."

Une aventure menée en équipe depuis dix ans

Il déguste d'ailleurs ces boissons comme le vin : sentir, faire tourner le liquide dans le verre, garder en bouche longuement. Les codes sont les mêmes, le langage aussi. François Hubscher et Cyril Kocher se sont rejoints pour goûter avec le dessert fait de sabayon de marrons, de chocolat et de fèves de cacao torréfiées, un kombuscha d'eau de vin de glace, issu du dégel des grains de raisin utilisés par un viticulteur voisin pour produire un vin de glace. "Ça marche très bien, ce côté sucreux, ça prend l'acidité qui contrebalance avec le côté gras", estime le cuisinier. "Ça équilibre le chocolat, ça amène une fraîcheur... et ça a un côté circulaire : tu as envie de revenir à l'un, puis à l'autre, c'est vraiment très intéressant !" s'enthousiasme le sommelier.

C'est acté : la boisson s'accordera volontiers avec ce dessert, le temps qu'il restera sur la carte. Avec l'approbation du chef Thierry Schwartz. "Nous sommes dans cette démarche depuis très longtemps, plus de dix ans : le sans alcool, mais avec la volonté de créer chez nous, de proposer du fait maison, de qualité. Il faut que les accords soient bien travaillés, intéressants, quelle que soit la boisson proposée : le vin, la bière, le saké, ou du sans alcool."

C'est important de pouvoir proposer une expérience identique, un moment tout aussi agréable, à nos clients qui ne veulent pas consommer d'alcool

Thierry Schwartz, chef étoilé

Sur les tables, à l'heure du service, force est de constater que les verres sont encore majoritairement remplis de breuvages alcoolisés. Mais l'idée de pouvoir lier haute gastronomie et découverte de nouvelles boissons sans alcool fait son chemin.

42 euros pour un accord mets-boissons sans alcool

"Il faut expliquer à nos clients que nous prenons tout autant soin d'eux : ce ne sont pas de simples propositions de jus ou de sirops, ce sont des créations, qui ont demandé beaucoup de recherche. Et là, ils sont interpellés, et peuvent avoir envie de découvrir cela autant qu'un bon vin qu'ils ne connaissent pas, ou que le plat qu'on leur sert. Même les amateurs de vins se laissent parfois tenter par l'expérience, au moins une fois."

Chez Thierry Schwartz, l'accord mets-boissons sans alcool sur l'ensemble d'un menu est proposé pour 42 euros, contre 52 euros pour la version avec vins. "Nous avons sûrement été parmi les premiers, les précurseurs, mais on sent que cela se démocratise, progresse. Et tant mieux, car cela permet aux établissements d'évoluer, d'entrer le restaurant de demain et de satisfaire la clientèle, toutes les clientèles qui viennent s'atabler chez nous."

La cheffe triplement étoilée Anne-Sophie Pic, ou celui, tout aussi couronné, du Clos des Sens à Annecy, proposent eux aussi leur déclinaison de délices sans alcool créés par leurs sommelier(e)s. Malgré sa constante progression, le marché du sans alcool ne fait peut-être pas encore le poids en France, où les habitudes culturelles, et les lobbys de l'alcool, ont la peau dure, mais voir s'inviter les boissons fermentées, infusions et jus sur les tables des plus grands chefs est un signe du changement des envies des consommations.

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