Les agriculteurs se mobilisent du 17 au 19 février pour demander une prise en compte de leur rémunération lors des négociations commerciales avec les grandes surfaces. La loi de 2018 a-t-elle changé la donne ? Jean Kauffmann, éleveur à Zutzendorf, nous explique ce qu'il en est.
Trois jours pour tenter de se faire entendre et peser dans la balance. C'est l'objet de la mobilisation nationale des agriculteurs, du 17 au 19 février, alors que se tiennent en ce moment les négociations commerciales entre distributeurs et vendeurs. Une phase cruciale pour les producteurs, qui a lieu tous les ans à la même période, de décembre à début mars, et qui va déterminer à quel prix ils pourront vendre leur produit. Le mouvement est décliné sous diverses formes dans les départements. Dans le Bas-Rhin, la FDSEA a appelé les agriculteurs à des rassemblements sur trois parkings de supermarché, à Haguenau, Erstein et Marlenheim.
Un avenir incertain
Parmi eux, il y a Jean Kauffmann, 40 ans, éleveur de porcs à Zutzendorf depuis 2003. Il témoigne sur sa condition, difficile, d'agriculteur. Son regard est sans concession et le constat qu'il en tire est plutôt amer: "Si je n'aimais pas ce métier, ça ferait longtemps que j'aurais arrêté". En presque 20 ans, cet agriculteur dit avoir vu son métier évoluer, pas forcément en bien. "On n'a plus de vision à court et à long terme, on ne sait plus où on va", un manque de visibilité qui ne l'incite pas à se lancer dans de gros investissements. A cet avenir incertain, Jean dit faire face en plus aux difficultés qui s'accumulent: des charges fixes qui augmentent, comme les intrants, ou des réglementations de plus en plus contraignantes, comme celles qui régissent le bien-être animal, notamment.
Des conditions difficiles
Pour s'adapter, Jean Kauffmann dit ne pas avoir le choix: "Il faut se spécialiser et être à l'affût des nouvelles technologies qui nous permettent d'augmenter nos gains de productivité", gains de productivité consommé et "avalés" par ailleurs par les coûts supplémentaires, tempère l'éleveur. Résultat: "Il faut travailler deux fois trente-cinq heures dans la semaine. Pour même pas sortir un SMIC la plupart du temps." Des conditions difficiles qui expliquent selon l'exploitant la désaffection des jeunes pour le métier. "Beaucoup d'exploitants de plus de 55 ans ne trouvent pas de repreneurs, les jeunes s'intéressent de moins en moins au monde agricole." En tout cas, il ne poussera pas ses deux filles de 3 et 9 ans à se lancer dans ce milieu "pour, dit-il, ne pas leur faire vivre la galère qu'on vit aujourd'hui".
Nouvelle donne avec la loi de 2018 ?
On aurait pu croire que la loi de 2018, dite loi EGalim, censée remédier aux problèmes de rémunérations des producteurs, allait se traduire par un progrès significatif. En fait, "ça n'a rien changé, si ce n'est les bonnes intentions affichées dans la première année de son application", rectifie Jean Kauffmann. Les négociations commerciales, fixant les prix payés aux producteurs, se passent entre les distributeurs - grandes et moyennes surfaces (GMS) - et les vendeurs - industriels et coopératives. Les producteurs ne sont pas consultés. L'avis de Jean Kauffmann sur ce fonctionnement est sans appel: "C'est un système complètement tordu. Les GMS traitent avec une multitude de fournisseurs à travers des centrales d’achat et traiteront avec celui qui lâche le plus au niveau prix."
La guerre des prix
Et comme les distributeurs se livrent entre eux à une féroce concurrence, les prix sont forcément tirés vers le bas. Au détriment des producteurs. "Les grandes surfaces se font une guerre des prix suicidaire, cela conduit à une destruction de l'élevage et des transformateurs en France", constate-t-il avec amertume.
Justement, la loi EGalim, promulguée le 30 octobre 2018, a été votée pour permettre aux producteurs de vendre à un prix équitable. Mais d'après l'éleveur bas-rhinois, il n'y a pas de contraintes claires pour faire appliquer la loi: "Rien n'empêche une grande surface d'aller se fournir dans des pays où la viande est moins chère, en Espagne ou en Allemagne, par exemple." Beaucoup de bonnes intentions donc, pour cet agriculteur, mais pour au final pas grand chose. "C'est pour ça qu'il faut qu'on se mobilise, et pour que notre voix pèse dans la balance au moment des négociations."
Les agriculteurs se mobilisent
Ce mercredi 17 février, ils sont une centaine d'agriculteurs à s'être rassemblés sur le parking du supermarché Cora de Haguenau pour sensibiliser les consommateurs à leur cause. "On va pas trop les embêter, on va leur distribuer des tracts pour les informer de notre combat", explique Jean Kauffmann. La mobilisation va se poursuivre jeudi 17 et vendredi 19 février.