Le procès du déraillement mortel du TGV Est à Eckwersheim a débuté il y a un mois au tribunal correctionnel de Paris. Ce jeudi 4 avril, c'est le conducteur qui a été auditionné. Denis T., 57 ans, qui avec deux autres prévenus, était aux commandes de la rame d'essai le jour du drame.
Ce jeudi 4 avril est un jour important dans le procès de l'accident de la rame d’essai de la LGV Est Européenne, qui avait fait onze morts et 42 blessés en novembre 2015. Après quatre semaines de débats qui ont vu, entre autres, se succéder à la barre l’ancien PDG de la SNCF, Guillaume Pepy et de nombreux experts judiciaires, c’est désormais au tour du conducteur de la rame, Denis T, 57 ans, d'être entendu.
En plus de la SNCF et de deux de ses filiales chargées des essais, dont Systra, ils sont trois prévenus physiques, poursuivis pour homicides et blessures involontaires, à être entendus cette semaine. Denis T donc, mais aussi Francis L, le cadre transport traction (CTT), auditionné mardi dernier, ainsi que Philippe B, 65 ans, pilote employé par Systra, filiale chargée des essais. Lui viendra à la barre vendredi 5 avril. Des témoignages clés pour tenter de comprendre ce qui s'est réellement passé le jour du drame.
Impréparation
Trois hommes qui ont, peut-être, l'explication de ce qui a pu survenir le 14 novembre 2015. Et dans la salle, dans toutes les têtes, cette question : à qui la faute ?
Auditionné en début de semaine, le cadre, chargé des consignes de freinage, n’a pas reconnu d’implication directe dans l’accident. Évoquant les choix de vitesse imposés par Systra, il raconte ses doutes. "C’était intenable. Ça me faisait peur, mais on m’a dit que ça passait bien, qu'il n'y avait pas de problème". Ce dernier accuse aussi, au passage, le conducteur : il n'aurait pas suivi ses consignes.
Appelé à la barre, le conducteur réfute ces affirmations. Marmonne. Presque inaudible tout le long de cette journée. Lui ne serait qu'un simple exécutant, obéissant aux consignes. "C’est injuste d’être cité devant le tribunal, je ne me sens pas responsable."
Le conducteur raconte l'impréparation,"c'était léger", qui semble entourer cet essai technique. "J’ai eu un schéma grossier de la ligne que j’ai réussi à récupérer auprès du chef d’essai. Les pentes et les montées n’étaient même pas mentionnées.[...] Ces essais n'étaient pas assez cadrés." La présidente lui demande "Est-ce que vous avez discuté en amont de la marche avec le pilote Systra sur les particularités de la voie ?" " Non pas particulièrement" répond-il.
Point de freinage
La distance de freinage avant d'aborder le pont d'Eckwersheim, élément clé dans ce drame, a été sous-évaluée. Pourquoi Denis T., malgré les doutes qu'il paraît aujourd'hui formuler, a-t-il aveuglément appliqué les consignes ? "Nous, on est persuadés d’avoir freiné au point kilométrique 401 le matin, on pense qu’on a de la marge, qu'on peut freiner plus tard." La marche précédente, du matin, où Denis T. avait freiné plus tôt que prévu, ne respectant pas les paliers prévus par le protocole, n'a pas été débriefée, questionnée, pas même durant la pause déjeuner. "Alors que ces marches de montée progressives sont si importantes pour valider, vous vous passez le déjeuner à parler d’autre chose. C’est sérieux ça ?" Denis T. concède "Je suis d’accord avec vous"
La présidente rebondit "Donc vous décidez du 402. 402, ça laisse 1,8 km pour ralentir, il faut le double selon les experts. Comment avoir pu concevoir que ce serait possible ?" Denis T. conclut "Je me le demande encore. Je me demande comment on en est arrivé là." Là au pont, au point kilométrique 403 et à l'accident mortel.
On se sent quelque part victime de tout ça, de cette organisation
Denis T, conducteur de la rame
L'avocat des parties civiles constate : "Vous n’aviez pas d’approche critique de l’organisation. Vous ne posez aucune question autour de la sécurité durant ces essais." Denis. T admet : "On faisait avec ce qu’on avait." Et ce que n'avait pas Denis T., c'était de l'expérience.
Ce 14 novembre, il s'agissait pour lui du premier essai en survitesse sur une nouvelle ligne, sans avoir été formé au préalable. A-t-il surestimé ses compétences ? "Non, si on nous a choisi, c'est qu’on avait des compétences. Mais on n'avait pas assez de documents." Denis T. concède encore avoir eu quelques doutes sur la stratégie de freinage, jusqu'au dernier moment, tout en "ayant bien fait ce qui avait été décidé. [...] On se sent quelque part victime de tout ça, de cette organisation."
Poids moral
Argument repris par son avocat Maître Philippe Sarda. "Il porte le poids moral et humain de ce drame, mais ce n'est pas parce qu'on éprouve humainement une responsabilité qu'on accepte d'être désigné comme coupable. Il a parfaitement rempli son rôle, les relevés de vitesse ont montré qu'il a freiné, mais vraiment de manière chirurgicale quand il devait le faire. Il n'avait pas la responsabilité de déterminer quand il fallait le faire."
On a envie d'avoir en face de soi des personnes qui assument, qui ne se défaussent pas. Pour l'instant, ce n'est pas ce qui s'est passé
Gérard Chemla, avocat des parties civiles
Alors que s’est-il passé dans la cabine de conduite ? Les consignes étaient-elles claires ? L’équipe a-t-elle été distraite ? Les versions divergent et les parties civiles, elles, patientent. "On a envie d'avoir en face de soi des personnes qui assument, qui disent réellement ce qui s'est passé, qui ne se défaussent pas. Pour l'instant, soyons clair, ce n'est pas ce qui s'est passé", déplore Gérard Chemla, avocat de parties civiles.
Francis L. et Denis T., encore très marqués par le drame, expriment tous deux des regrets sans reconnaître de fautes. Tout comme le pilote auditionné vendredi 5 avril, ils encourent 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende.