Procès de l'accident du TGV d'Eckwersheim : "qu'est-ce qu'on a foutu ?", la difficile projection de la vidéo du drame à l'audience

Le deuxième jour du procès de l'accident du TGV d'essai, qui avait fait onze morts le 14 novembre 2015, a été marqué par la diffusion de deux vidéos : celle d'un essai qui avait eu lieu trois jours avant le drame et celle qui a enregistré la catastrophe.

Dans la salle d'audience 2.01 du tribunal de Paris, des dizaines de personnes se replongent plus de huit ans en arrière, ce mardi 5 mars 2024. Elles, leurs proches, ou les deux à la fois, étaient à bord du TGV d'essai qui a déraillé à hauteur d'Eckwersheim (Bas-Rhin) le 14 novembre 2015. La journée débute par l'audition de deux gendarmes de Strasbourg, chargés de l'enquête.

"L'appel téléphonique que j'ai reçu ce 14 novembre 2015 fait partie des moments que je n'oublierai jamais. On me dit 'Il faut que tu viennes, il y a eu un attentat dans le TGV'", se souvient un membre de la section de recherches, l'un des premiers à arriver sur place. "J'ai ressenti une forte angoisse devant le chaos, en sentant ce mélange d'odeurs de brûlé, de boue, de sang et en voyant ce train complètement désarticulé face à nous. Les corps gisaient au sol, c'était une scène apocalyptique", continue-t-il.

Avant que des photos aériennes de l'accident soient projetées, les débats se recentrent sur une vidéo. Elle a été captée par Daniel Heury, chef de bord, le 11 novembre 2015, soit trois jours avant les essais. Son fils Nicolas l'avait remise aux enquêteurs, lui qui avait retrouvé la caméra dans les affaires de son père, décédé dans l'accident du 14 novembre.

"Il était retraité depuis huit mois, on l'avait rappelé pour les essais. Il pouvait dire non et profiter de sa retraite. Mais ces essais, c'était une fierté. Cette vidéo, je la connais bien. Ils parlent des freinages 15 minutes avant. Ça semblait totalement approximatif, au juger", avait-t-il confié avant l'audience. Cette vidéo avait été partagée dans les médias en 2017 : 

"La discussion du freinage a eu lieu seulement 13 minutes avant le pont. On note une forme d'approximation, de tâtonnement", commente le gendarme, qui n'ira pas jusqu'à parler d'un manque de professionnalisme à la suite d'une question de Philippe Sarda, l'avocat du conducteur. Le document se termine par cette phrase qui résonne aujourd'hui dans toutes les têtes des parties civiles : "On sera meilleurs samedi."

La motrice avant va glisser le long du pont avant de s'écraser sur le talus

Un gendarme de la section de recherches de Strasbourg

Le gendarme revient ensuite sur l'autre vidéo, celle d'une GoPro fixée sur le pare-brise de la motrice avant le jour de l'accident. "Il y a une nouvelle discussion sur le point kilométrique (PK) où il faut freiner. Quelques secondes plus tard, c'est l'accident. Il est violent, la motrice avant va glisser le long du pont avant de s'écraser sur le talus. Ce PK de freinage n'est envisagé qu'une minute 30 avant l'accident", expose-t-il.

La vidéo de l'accident glace la salle d'audience

Sur l'écran blanc, la vidéo démarre. La salle d'audience se fige. Tout le monde connaît l'issue. Pendant plusieurs minutes, le train roule à toute allure, en survitesse même, comme le prévoient les essais. Il passe le tunnel de Saverne et les kilomètres défilent toutes les dix secondes en haut à droite : PK 398,390...

Avec la vitesse, on entend mal ce que disent les personnes à bord de la cabine. Au PK 402, un éclat de rire. Puis le train freine et le pont d'Eckwersheim, au-dessus du canal de la Marne au Rhin, s'approche. "Eh, ça aurait dû freiner là ! Oh merde, les gars !" Vu la vitesse, l'accident est inévitable. La motrice avant continue de glisser et la caméra filme la vitre qui se brise au moment de l'impact.

Dans la salle, les yeux rougissent. L'audience souffle, d'autres se prennent la tête dans les mains, on entend des "waouh...".

Putain mais qu'est-ce qui s'est passé ? On était trop vite!

Un des hommes présent dans la cabine

La GoPro tourne toujours. L'accident vient d'avoir lieu. Difficile de percevoir qui parle dans la cabine. Entre cris de douleurs et questionnements, personne ne comprend ce qui vient de se passer. "Ça va ? Tout va bien ? Qu'est-ce qu'on a foutu ?", demande un des sept hommes présents dans la cabine, au lieu des quatre places réglementaires. "Je sais pas, j'ai pas compris, on était bons !". "Putain, mais qu'est-ce qui s'est passé ? On était trop vite !", crie un autre entre deux hurlements.

Dans la cabine, tout le monde survit à la catastrophe. On appelle les secours, on tente de casser la vitre. Tout le monde est empilé les uns sur les autres. "Denis, tu me fais mal, tu me fais mal !", entend-on au loin. "C'est couché l'arrière [du train] ou pas ?", demande un autre. Il ne le sait pas encore, mais trois voitures sont immergées dans le canal. 

On l'a fait je ne sais pas combien de fois et ça a marché, et là... il y a un problème de freinage

Un des hommes présents dans la cabine

"On l'a fait, je ne sais pas combien de fois et ça a marché. Et là... il y a un problème de freinage", "on avait deux kilomètres pour freiner et ça n’a pas freiné. J'ai l'impression que ça n’a pas mordu", "Je ne comprends pas parce que tout était bon"... Autant de phrases qui résonnent dans la grande salle d'audience. Sur le banc des prévenus, le conducteur Denis T. et le cadre traction (qui lui donnait les consignes) Francis L. fixent l'écran et revivent cet instant qui a changé le cours de leurs existences.

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