Ce mardi 14 novembre marque les 8 ans du déraillement d'un TGV d'essai, à Eckwersheim, près de Strasbourg. 11 personnes avaient été tuées, et 42 autres blessées. Une première audience préparatoire se tient le 17 novembre, en vue du procès prévu l'an prochain. Les victimes réclament que les responsabilités soient établies.
L'accident de ce TGV d'essai s'était produit le samedi 14 novembre 2015, au lendemain des attentats de Paris. La rame avait déraillé sur un nouveau tronçon de la ligne à grande vitesse Paris-Strasbourg, à Eckwersheim (Bas-Rhin). Elle transportait du personnel de la SNCF, de filiales et des invités extérieurs.
11 de ces passagers ont péri dans ce train, et 42 autres ont été blessés. Une vitesse excessive est en cause, selon les experts du bureau d'enquête sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT). Le train roulait à 243 km/h au moment du déraillement, au lieu des 176 km/h admis à cet endroit.
Le procès doit se tenir du 4 mars au 16 mai 2024. La SNCF et quelques-unes de ses filiales vont comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris. 8 ans après, les victimes et leurs familles veulent connaître l'origine de cette catastrophe. Elles veulent aussi éviter l'oubli.
La nécessité d'un procès
L'avocat Gérard Chemla représente 50 personnes, qu'il s'agisse de victimes directes ou celles touchées "par ricochet". Ces dernières sont celles qui pensent avoir eu un préjudice, à la suite d'un dommage subi par une victime dont elles sont proches. Toutes attendent ce procès, même si ce ne sera facile pour elles.
"Je n'ai pas le sentiment que mes clients se jettent à corps perdu dans cette confrontation. C'est leur premier procès pour la plupart. Ce n'est pas une affaire simple : la plupart des victimes sont en lien, de près ou de loin, avec la SNCF", indique d'abord Gérard Chemla, avocat de parties civiles, dans notre matinale commune ICI matin.
"Ce procès servira à identifier les responsabilités, faire en sorte que ceux qui ont failli soient condamnés. Ce sera aussi la possibilité de 'mettre le procès au passé', qu'il ait lieu pour que les victimes et leurs familles ne soient plus dans l'attente d'un processus judiciaire", nous précise-t-il ensuite par téléphone.
Ce qu'elles attendent surtout, c'est de comprendre comment cela a pu se produire, sur une voie neuve avec un TGV bien entretenu
Gérard ChemlaAvocat de parties civiles (50 victimes directes ou "par ricochet" de l'accident du TGV d'essai)
"L'essentiel, c'est qu'il y ait des décisions de culpabilité ou d'innocence pour les personnes poursuivies. Il y aura donc des condamnations pénales ou non. Des indemnisations, pour les personnes qui ne l'ont pas été, jusqu'ici. Une partie des victimes a été indemnisée, dans le cadre de la procédure amiable", ajoute le représentant de ces victimes.
L'instruction est à présent terminée, comme le rappelle Gérard Chemla. La liste des personnes traduites en justice est maintenant claire : "Trois personnes physiques sont poursuivies. Il s'agit des personnes chargées de la conduite. Les personnes qui étaient dans la motrice et qui ont organisé la 'marche', donc celles qui ont géré les vitesses et les freinages. Il y a le 'cadre transport traction', un des pilotes, mais aussi une des personnes qui était à ses côtés. Elle devait attirer l'attention du conducteur sur les difficultés spécifiques à la voie."
Des sociétés, ou plutôt des personnes morales, vont comparaître. "Il y a la SNCF, SNCF Réseau et Systra. Cette dernière société était maître d'ouvrage de la construction de la nouvelle ligne de TGV. Mais c'est plus compliqué : la SNCF était cliente de Systra pour l'édification de la ligne, mais aussi sous-traitante, car elle mettait son personnel à la disposition de cette société filiale. On veut savoir comment la désorganisation de cette relation a fait qu'il n'y ait pas de mesures de sécurité adaptées, qui auraient pu éviter de se retrouver à cette vitesse-là, à ce point-là", détaille l'avocat de parties civiles.
La lutte contre la colère et l'oubli
Un autre avocat de parties civiles relate le ressenti de victimes et de leurs proches. D'après Claude Lienhard, l'émotion est toujours vive : "Il y a toujours sans doute de la colère, mais aussi une crainte, celle que les sociétés poursuivies fuient leurs responsabilités et qu'on se retrouve face à un ping-pong judiciaire. Il y a une très forte demande de savoir ce qui s'est passé et que les responsabilités soient établies."
Ce procès revêt une dimension particulière pour les personnes touchées par cet accident. "Il y aura un moment particulier qui est toujours très fort : ce sera l'audition des familles et des victimes. Pour beaucoup de victimes, le deuil, ou du moins une étape importante du deuil, va être le procès. Il permet d'être confronté d'abord aux sociétés, qui sont des personnes morales, mais qui vont être représentées par des personnes physiques", selon cet avocat.
Les sociétés impliquées, "personnes morales" d'après la loi, ne risquent que des amendes. La symbolique reste tout de même importante, insiste Claude Lienhard : "Pour autant, il y aura une confrontation. On verra si les représentants de ces sociétés assument leur responsabilité. Celle d'avoir exposé certes involontairement, mais quand même avec une certaine dose d'inconscience, des passagers pour cet ultime essai qui restait un essai et qui aurait dû être fait dans d'autres conditions."
Si elles sont reconnues définitivement coupables, les personnes physiques encourent au maximum 3 ans de prison. Les "personnes morales" ou sociétés définitivement jugées responsables de délits ou de crimes, sont seulement passibles d'une amende égale à cinq fois celle prévue pour une personne physique.