Rund Um. La 38e revue du cabaret de la Choucrouterie, à Strasbourg, s'intitule "Achtung bicyclette". Une fois de plus, la joyeuse troupe de Roger Siffer propose une thérapie par le rire pour soigner petits bobos et grands maux de société.
Depuis bientôt quarante ans, le cabaret strasbourgeois de la Choucrouterie, niché près de la Petite France, adoucit les mœurs en aidant à muscler les zygomatiques. Sa 38e revue, commencée depuis mi-novembre, s'appelle "Achtung bicyclette - Ils ont un vélo dans la tête." Et comme chaque année, elle s'attaque à nos petits travers, nos grands problèmes de société et nos plus ou moins grands hommes et femmes politiques.
Car lorsque la situation est morose, les prix du gaz en hausse et le moral en berne, rien de mieux qu'une bonne crise de rires pour retrouver la joie de vivre. Et l'énergie de repartir du bon pied... à coups de pédale, s'entend.
Mais, au fait, pourquoi le vélo ? Posons la question à Roger Siffer himself qui, justement, actionne la roue accrochée sur scène, afin de mieux éclairer le décor. ll doit bien avoir sa petite idée, et nous éclairer par la même occasion. Et effectivement, cette piste (cyclable) est la bonne.
"En alsacien tu peux dire : 'Nämm dir a Velo' (prends-toi un vélo) – 'Prends une veste - Va te faire voir…'" explique le cabaretier et maître des lieux. "Et puis actuellement, le vélo est très à la mode à Strasbourg et en Alsace. Sans oublier "qu'en français, 'T'as un vélo dans la tête', signifie : 'T'es un peu maschuge (fada)'. Or, maschuge, on l'est tous, mais certains plus que d'autres. Et ceux-là, il faut les titiller."
La maire de Strasbourg première visée
Première dans le collimateur, la maire écolo de Strasbourg, Jeanne Barseghian. A peine égratignée dans la revue de l'an passé, elle en prend pour son grade, cette fois. A inaugurer un "Marché de l'hiver" en lieu et place du Christkindelsmärik (mot imprononçable pour elle), qui n'ouvre qu'une demi-heure par jour, économie oblige. Et à prôner que le plastique, les vélos électriques et le nucléaire, tout ça est parfaitement écolo.
Dans un autre sketch, la maire de Strasbourg se retrouve face à la préfète du Grand Est Josiane Chevalier, en rivales d'une émission Koh Lanta revue et corrigée. Les rats de la capitale alsacienne trouvent leur chantre en la personne d'un joueur de flûte de Hamelin, qui met les points sur les i : "Plus besoin de danser dès qu'ils sifflent. Ici au cabaret, on siffle sur (on se fiche de) la politique."
Fermeture des musées strasbourgeois deux jours par semaine, et fermeture du zoo de l'Orangerie sont aussi au menu. Une cigogne suggère même de mettre les politiques en cage, pour remplacer les animaux. Mais d'être "sympas avec les écolos" en leur lançant "des cacahuètes bio."
Problèmes énergétiques et réchauffement climatique
"Hello ils ont un petit vélo dans la tête, qui fait vraiment bobo" chante la troupe sur scène. "Les Verts ont un grain. Qu'est-ce qui leur prend à nos écolos ?" Le prochain tour de roue – ou plutôt de manivelle – actionne un orgue de barbarie, qui accompagne une complainte sur la hausse des prix de l'énergie.
Problèmes énergétiques, encore, les nains de Blanche Neige, en version lorraine, doivent redescendre dans les mines de charbon. Et question réchauffement climatique, à la Chouc, on préfère prendre le taureau par les cornes. En rebaptisant certains villages, histoire de les habituer à la nouvelle donne : Krautergersheim en Bambou-ergersheim. Et Tiefenbach (ruisseau profond) en Sahara. Et, tant qu'à faire, en se préparant à l'échéance du Nouvel An 2032 et ses 32 degrés. Avec des cigales sous les fenêtres, des bananes qui mûrissent sur le balcon, et la nostalgie du verglas d'antan.
Au rayon des thèmes de crise, l'inspiration des joyeux drilles est fertile. Il y a bien sûr le GCO, qui implique de suivre le panneau Schiltigheim pour atteindre Strasbourg sans passer par la case péage. Mais aussi la crise hospitalière, qui force les infirmières post-retraitées à reprendre du service. Et le départ d'Adidas, qui pousse Jean Rottner à fréquenter le musée vaudou.
Deux salles et deux langues
Comme toujours, la joyeuse bande joue en parallèle dans deux salles, et saute d'une langue à l'autre : français dans la petite salle, alsacien dans la grande. Et parfois, les rôles peuvent être interchangeables. De quoi se faire des nœuds au cerveau.
"C'est vrai que c'est un peu schizophrénique" reconnaît le comédien Jean-Pierre Schlagg. "On n'est pas toujours dans la même distribution, parfois quelqu'un joue mon rôle dans la salle d'à côté tandis que j'interprète un autre personnage ici. (…) On a la tête coupée en deux, il faut commuter d'une scène à l'autre, sinon ça capote."
Il faut du temps pour que les automatismes se mettent en place. "Disons… les dix premières représentations, c'est un peu chaotique (...) On ne change pas seulement de salle, mais aussi de costume, parfois on se change dans le sas d'entrée, parfois en loge. Et on court comme des tarés."
Joie communicative et personnages récurrents
Mais qu'on ne s'y méprenne pas. A la Chouc, personne ne pédale dans la choucroute (oui, bon, elle est moyenne, n'est pas Roger Siffer qui veut). Galvanisée par ses contraintes, la troupe, toutes générations confondues, dégage une formidable énergie et une joie communicative.
Suzanne Mayer joue cette année "le rôle d'une vieille chanteuse, un beau personnage" (Brigitte Fontaine) mais avec un petit regret : elle n'a "pas le droit de chanter." Pourtant, elle l'assure, en amont, on peut exprimer son désaccord. "Il y a parfois de petites révoltes, et de grosses négociations. Mais les problèmes se règlent devant un verre ou un petit plat, en faisant des blagues." Ouf, on se rassure, la Chouc n'est pas le monde de la politique.
Seul point commun : comme en politique, ici, on affectionne les récurrents. Même le défunt maire de Colmar, Gilbert Meyer, victime depuis des décennies des piques les plus aiguisées - et des sketches les plus hilarants - continue de vivre à travers son personnage. L'an dernier, il venait perturber l'ambiance d'un paradis un rien déjanté. Cette fois, il revient hanter son successeur. Et question récurrents, une mention spéciale au trio fétiche - et exclusif du spectacle en alsacien : les Bidochons locaux Charele, Schanne et Robbes. Qui, cette fois, s'offrent un sauna à Baden-Baden.
Quand on demande aux comédiens leur avis sur cette revue, comparée à toutes les précédentes, Nathalie Muller a la réponse : "Encore meilleure, toujours meilleure !" La détermination de la troupe "s'est encore fortifiée avec toutes ces histoires de Covid, où il y avait peu de gens en salle. Maintenant, on a la niaque pour jouer, retrouver notre public, le faire rire et passer un excellent moment."
Après le Covid, le vélo
Il est vrai que l'an passé, à la même époque, le public – du moins celui du spectacle dialectal - boudait un peu son plaisir. Par peur de choper le virus en un lieu dont l'absence de distanciation sociale fait tout le charme. Et par perte de l'habitude de sortir le soir, après des mois de confinement.
Mais heureusement, les bonnes habitudes reviennent au galop, (ou à coup de pédales). Venir rire à la Chouc, c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas. Et ceux qui ont retrouvé le bon chemin sont emballés.
"C'est vraiment super. Tous les sketches sont vraiment bien" s'exclame un homme, regard pétillant. "Espérons qu'ils continueront aussi longtemps que possible. Car ils vieillissent, et nous aussi" s'écrie un enthousiaste un tantinet inquiet. Et une dame de résumer : "Bombisch – c'est de la bombe. Mais je ne vous dirai rien de plus. Venez voir par vous-mêmes !"
La revue est jouée jusqu'au 26 mars 2023, du jeudi au dimanche. Avec relâche durant les vacances scolaires.