Alors que 500 personnes ont protesté contre les violences policières et le racisme à Strasbourg dimanche 14 juin 2020, France 3 Alsace s’est entretenu avec deux artistes locaux engagés sur la question de la différence. Ils nous livrent leurs expériences et leurs espoirs.
Manon a 28 ans et l’envie de bouleverser le monde. Cette autrice-illustratrice strasbourgeoise fait partie de ceux qui ont choisi de se soulever contre les violences policières et le racisme le 5 juin dernier, place Kléber, où plus de 3000 personnes s’étaient rassemblées.
"Je pense qu’il était temps que quelque chose comme ça se passe. Il faut rappeler que des violences il y en a aussi sur notre territoire. On a enfin un regard public sur ces problématiques", assène-t-elle d’emblée, d’un ton vif, tranché, satisfaite de constater l’ampleur des manifestations qui se poursuivent, notamment à Strasbourg. Ce dimanche 14 juin, ils étaient encore 500 manifestants à brandir les maux d’une société en plein examen de conscience.
Elle, est d’origine vietnamienne. "On vit beaucoup de choses similaires entre les asio et les afro-descendants. Les stéréotypes qui collent à nos peaux sont différents mais cette intersection des luttes est importante. Nous subissons aussi du basching racial. On l’a encore vu avec le covid-19 où on nous disait que c’était de la faute des asiatiques. Dans la rue, certains changeaient de trottoir, d’autres évitaient de prendre l’ascenseur en ma présence", témoigne-t-elle.
Un racisme presque quotidien que constate aussi Sylvain, 20 ans, allias "Heaven Love", étudiant en art du spectacle, spécialisé dans la peinture et le maquillage professionnel. Lui ne bat pas le pavé mais s’engage dans ses créations. "Je me sens particulièrement touché parce qu’on ne parle pas assez de ça en France. Il y a un certain racisme décomplexé. Ça m’est arrivé d’avoir des remarques qui peuvent paraître anodines mais qui ne le sont pas. Parce que je suis noir, on va par exemple me demander de quel pays d’Afrique je viens ou si je supporte bien le froid. Quand il fait chaud, on va me lancer : vous êtes habitués vous les noirs". La semaine dernière, j’étais dans un restaurant, on m’a pris pour un livreur. Voilà. C’est très courant et ça n’arrive pas qu’à moi", raconte-t-il.
Des uppercuts donnés parfois sans réelle intention de blesser mais qui restent "invivables au quotidien" et qui résonnent particulièrement depuis le 2 juin dernier et la mort de George Floyd, un Afro-américain de 46 ans, au cours de son arrestation à Minneapolis. Un évènement dramatique qui a remis sur le devant de la scène le mouvement de contestation des violences raciales "Black lives matter", (les vies des noirs comptent). "Il a fallu ça, ce qui est quand même triste sachant que d’autres combats existent depuis des années en France sans trouver échos", reprend Manon.
Les soulèvements des derniers jours, en France et ailleurs dans le monde, sont-ils révélateurs d’une réelle prise de conscience ou sont-ils le fruit d’une viralité médiatique ? "Le tournant est en marche", tranche Manon. "Nous n’en sommes qu’au début, il ne faut rien lâcher. Le retour en arrière n’est pas possible".
La jeune femme en appelle à davantage d’éducation antiraciste pour faire bouger les lignes. "Il ne faut pas que ça reste un mouvement de résistance. C’est du travail d’intérêt public et ça commence tout petit, dans les livres, les comptines. Il faut donner plus de visibilités aux personnes racisées. Pour ma part, je travaille depuis deux ans sur l’écriture d’une bande-dessinée qui évoque la mixité".
Selon elle, l’art n’est pas en reste. "Le milieu culturel doit montrer l’exemple. Il y a encore des visions exotiques de l’autre dans ce domaine". Heaven Love arrive au même constat. Pour la partie maquillage, il est en train d’élaborer une série qui célèbre la peau noire. "Ça m’inspire, c’est inscrit dans mon ADN".
Agiter frénétiquement les plumes, les pinceaux et les couleurs en espérant enfin obtenir l’égalité et peut-être trouver la paix.