Après l’assassinat du professeur d'histoire-géographie Samuel Paty, une cellule d’urgence médico-psychologique a été ouverte pour aider les professeurs, élèves et parents choqués. En 2018, un dispositif identique avait été activé après l'attentat à Strasbourg. Un psychiatre témoigne.
Suite à l’assassinat vendredi 16 octobre de Samuel Paty, un professeur d'histoire-géographie, devant son collège de Conflans-Sainte-Honorine, une cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) a été ouverte. Ce dispositif, toujours déclenché par le SAMU, est mis en place en cas de situation traumatisante à grande échelle, comme une explosion, un grave accident de train, un attentat meurtrier.
A Conflans-Sainte-Honorine, elle doit accueillir et aider les professeurs, élèves et parents choqués. Une telle CUMP a également été activée au moment de l’attentat terroriste de Strasbourg, le 11 décembre 2018. Adrien Gras, médecin psychiatre aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, fait partie des volontaires à la CUMP 67. Il nous explique son fonctionnement.
A Strasbourg, l’acte terroriste a eu lieu le soir vers 20 heures. Immédiatement, les psychologues, psychiatres et infirmiers en psychiatrie, inscrits sur une liste de volontaires, ont été sollicités. Tous ceux qui étaient disponibles se sont retrouvés au SAMU pour rejoindre le terrain.
On s’est regroupés au SAMU et en tenue de SAMU, nous sommes arrivés sur place vers 21h. La ville n’était pas encore sécurisée, le meurtrier courrait toujours, il fallait longer les murs.
Des psychiatres secouristes d’urgence
"Nous sommes tous formés aux techniques de prise en charge du trauma, sur le plan psychologique et organisationnel. Nous intervenons par équipe de cinq, six personnes. Nous avons toujours avec nous un médecin pour les prescriptions, faire un arrêt maladie ou un certificat médical. Et nous avons aussi des pédopsychiatres et psychologues pour enfants".
"A peine arrivé, la police m’a demandé d’annoncer à l'une des épouses, le décès de son mari qui venait d’être abattu par le terroriste. Elle était réfugiée dans un appartement proche du lieu avec son fils. Ensuite on a vu par exemple un secouriste qui n’était pas en service ce soir-là. Il était sorti pour faire ses courses, il est intervenu pour aider les personnes autour de lui et a été lui-même choqué."
Faire parler les victimes grâce au defusing
La technique pour laisser ou faire parler les victimes s’appelle le "defusing". "Différent du debriefing où l’on évoque les faits, le defusing doit permettre aux gens de parler, sans qu’on leur pose de question. On les laisse d’abord exprimer leur vécu et ressenti. Puis nous leur donnons des informations sur les phases par lesquelles ils risquent de passer et les signes d’alerte qui peuvent survenir dans les semaines qui suivent et pour lesquelles il faudrait consulter."
Leur expliquer les étapes du choc
"Une fois qu’elles se sont largement exprimées, nous expliquons aux victimes que dans les jours qui suivent, c’est normal de ne pas dormir, d’avoir peur, de pleurer, de sursauter. Mais si un mois plus tard les gens font toujours des cauchemars, ont toujours des flashs visuels, sursautent au moindre bruit, évitent de faire les choses par peur, on parle de stress post-traumatique et on les engage à consulter."A partir de 23 heures, a été mis en place un centre d’accueil et de regroupement des impliqués, le CARI. Le CARI reçoit toutes les personnes présentes, mais non blessées physiquement. Cet accueil se divise en deux parties, une administrative et une consacrée aux soins. "Dans les situations d’attentats, nous avons un protocole en commun avec la police, les pompiers, la préfecture" explique le psychiatre. "La police et la préfecture constituent la partie administrative, dans la partie médicale on trouve le PUMP, Poste d’urgence médico psychologie, qui se situait Place Gutenberg, dans le bâtiment de la chambre de commerce."
1200 personnes accueillies
"Toute la nuit nous avons reçu plusieurs centaines de personnes sur place. Au fur et mesure arrivaient celles qui pouvaient enfin sortir des magasins et restaurants qui rouvraient leur portes. Certaines, bloquées longuement, étaient aussi choquées. Nous avons mené des entretiens individuels et en groupes de cinq à dix personnes, quand les victimes étaient d’accord. Nous étions une quinzaine de spécialistes à travailler toute la nuit jusqu’à 7 heures du matin. La Protection civile a organisé l’installation de lits pour les victimes. Au bout de deux jours, nous avons eu l’aide des équipes de différentes régions, pour nous relayer et nous permettre de nous reposer, car nous n’avions pas arrêté.""Très vite nous avons ouvert la salle des fêtes de l’hôpital civil de Strasbourg, puis une salle au CHU de Hautepierre, parce que certaines personnes avaient peur de revenir en ville. Et enfin le grand centre du Palais de la musique et de la danse, tenu par les associations des familles, sur la presqu'île Malraux." Au total, la CUMP, a accueilli 1.200 personnes en une semaine.
Des séquelles parfois longues
Mais les victimes, touchées de près ou de loin, avaient la possibilité de consulter des spécialistes pendant six mois, dans une permanence, rue du Jeu des enfants. Des hommes et femmes de tous âges et de tous milieux socio-professionnels ont été touchés. Il s’agissait de témoins visuels ou de personnes qui ont entendu des coups de feu, depuis leur domicile, ou encore enfermées dans un bar ou un restaurant.Six mois après l'attentat, 25% du nombre de personnes aidées par la CUMP souffraient encore de stress post-traumatique. A Strasbourg, elles ont la possibilité de consulter une cellule d’urgence médico-psychologique ouverte toute l’année.