Bas-Rhin : Hoerdt, capitale de l'asperge d'Alsace, a désormais son musée

Rund Um : Depuis 150 ans, Hoerdt doit sa renommée à ses asperges. Cette commune de la Basse-Zorn s'est même dotée d'un musée, qui raconte par le menu l'histoire d'amour entre ses habitants et ce légume pas comme les autres.

Autour de Hoerdt, les champs sont recouverts de longues rangées de bâches blanches. Elles protègent la croissance des fragiles plantes potagères qui ont fait la renommée de la petite ville de 4.500 habitants.

Depuis un siècle et demi, cette culture exigeante, introduite par un pasteur revenu d'Algérie, a modifié le mode et le niveau de vie des Hoerdtois.

Cette idylle nécessitait d'être expliquée au grand public, autant qu'aux gourmets de tous poils. C'est donc chose faite, par la création de ce musée de l'Asperge et des traditions locales de Hoerdt.

Le lieu, résolument contemporain, voulu par la commune depuis plus d'une décennie, a été inauguré dès février 2020. Mais depuis, pour cause de crise sanitaire, il a dû jongler avec de longues périodes de fermeture.

2022 est donc la première année où les visiteurs il peut accueillir les visiteurs de manière régulière. Et leur présenter toutes les facettes de l'asperge hoerdtoise, tant sur le plan historique et sociologique que botanique.

Hoerdt et l'asperge, une histoire d'amour

Emmanuel Dollinger, maraîcher, résume parfaitement la situation : "Les asperges, à Hoerdt, on a ça dans le sang."  Tout comme ses parents, ses grands-parents et d'autres aïeux, il est dans les champs matin et soir en période de récolte. 

"Je suis la 5e génération qui plante des asperges à Hoerdt, toujours sur le même terrain" précise-t-il. Cette constance familiale remonte presque aux origines.

Une culture introduite par un ecclésiastique

Le musée est aménagé dans un bâtiment tout neuf aux lignes épurées, qui prolonge une ancienne auberge à colombages. Dans l'une de ses trois salles, il présente les débuts de cette culture, dus à l'initiative d'un pasteur visionnaire, Louis Gustave Heyler.

Originaire de Scharrachbergheim (Bas-Rhin), ce dernier a été muté à Hoerdt en 1869, après un ministère en Algérie. "Il a vu la pauvreté des paysans locaux, car à Hoerdt, à part les rieds inondées, les prairies et un peu de tabac, il n'y avait pas grand-chose", raconte Rémy Maechling, guide bénévole et membre de l'association des Amis du musée.

Il a donc eu l'intuition ingénieuse "de dire : je vous ramène des asperges. Elles poussent dans le sable algérien, elle peuvent donc pousser dans le sable de Hoerdt."

Des essais dans son propre jardin lui ont permis de constater que le limon sableux local, amassé depuis des siècles par les crues de la rivière Zorn, s'avérait effectivement propice à cette plante étrangère.  

Un succès très rapide

Le pasteur Heyler a rapidement réussi à convaincre le maire et quelques paysans. Mais beaucoup hésitaient face à ce légume inconnu qui mettait trois ans à produire la première récolte.

Au départ, tous les Hoerdtois n'ont pas sauté à pieds joints" dans cette nouvelle culture, confirme Emmanuel Dollinger. "Ils se posaient des questions, c'est pourquoi il a fallu du temps", jusqu'à ce que tous s'y mettent.

Mais peu à peu, les réticences sont tombées. "Et l'asperge de Hoerdt est devenue célèbre en Allemagne, au Luxembourg, à Paris, ainsi que sur les marchés de Strasbourg" résume Remy Maechling.  

Un bocal d'asperges stérilisées, cueillies en 1895, a même eu les honneurs de l'exposition universelle de 1900 à Paris. Bocal qui, aujourd'hui, compte parmi les pièces maîtresses du musée.

La renommée de la commune a aussi fait celle de ses restaurants. Dans une autre vitrine, l'ancien restaurant "La Charrue" présente son livre d'or, agrémenté de signatures célèbres : Bourvil, Luis Mariano, Jean Marais, les Compagnons de la Chanson…  

La vie des Hoerdtois modifiée en profondeur

La nouvelle culture a aussi permis d'améliorer le niveau de vie des habitants. "Certains étaient cheminots, d'autres travaillaient à la poste, et beaucoup faisaient les trois-huit à l'hôpital de Hoerdt" explique Rémy Maechling. Cet à-côté agricole, "c'était donc comme un deuxième salaire."  

L'argent ainsi gagné a permis de mieux entretenir les fermes. La vie associative s'est développée, ainsi que les fêtes, messti et carnaval. La première Fête de l'Asperge ("Spàrichelféscht") a vu le jour en 1932. Cette année, elle se tiendra les 7 et 8 mai prochains.  

Mais ce nouveau labeur, très contraignant, a également donné une identité particulière à la commune. "Il y a encore quarante ans, presque toutes les familles de Hoerdt en cultivaient" se souvient Rémy Maechling.

Durant la saison de la récolte, tous, petits et grands, étaient donc debout aux aurores. Lui-même se rendait aux champs avec ses parents "le matin, avant d'aller à l'école." Ainsi que le soir, "avant de pouvoir rentrer faire les devoirs."  

Dans un petit film projeté aux visiteurs durant le parcours, d'autres habitants de Hoerdt racontent leurs souvenirs de jeunesse, et leurs liens avec l'asperge.  

Une plante souterraine

Une autre salle du musée, agrémentée de belles vidéos et d'une tablette tactile, est réservée à l'aspect botanique. On y apprend que l'asperge blanche de Hoerdt est un croisement de trois variétés : "l'Africaine", la "Géante d'Erfurt" et la "Blanche d'Argenteuil".  

Avant l'avènement, dans les années 1980, des plantations par rangées, sous bâches, les asperges étaient cultivées sous des buttes (Spàrichelhiffe). Ces petits monticules de terre, au pourtour rond et au sommet aplati, devait être reformé chaque année en mars à l'aide d'une binette ("Rehrheuj"). La reproduction d'une telle butte, en coupe, permet de bien visualiser ce qui se passe sous le sol.  

Le rhizome (appelé "griffe"), "est planté à 10 centimètres sous la surface du sol" explique Rémy Maechling. Il lui faut trois années pour bien s'étendre, et donner une première récolte.     

Par-dessus, la butte ronde permettait au soleil de "la chauffer tout au long de la journée", car l'asperge a besoin de chaleur. Au dernier stade de croissance, bien nourrie par l'humidité du sous-sol, une asperge peut grandir de 5 à 6 centimètres par jour.  

"Lorsqu'elle se trouve à un ou deux centimètres sous la surface, le sol aplati, asséché par le soleil, se fissure" précise Rémy Maechling. "On sait donc qu'une asperge commence à pointer."

Alors il faut creuser un peu et la sortir. "Mais si on constate qu'elle est encore à 5 centimètres de la surface, on la recouvre à nouveau", et on repasse le soir.    

Durant la saison, environ six semaines entre fin mars et fin mai, la cueillette de l'asperge nécessite donc une surveillance constante, et une réactivité biquotidienne. Car il faut éviter à tout prix qu'elle sorte de terre, et prenne le soleil.

"Si elle pointe le bout de son nez, elle change de couleur avec les UV, et devient violette" explique encore le guide bénévole. Or la blancheur de l'asperge de Hoerdt est un gage de qualité.  

Des soins toute l'année

Une belle iconographie permet également de suivre le cycle annuel de la plante. En février-mars, les rangées rehaussées (autrefois les buttes) sont formées. Et si nécessaire, de nouvelles "griffes" sont plantées (le système racinaire a une longévité d'une dizaine d'années).  

En juin, après la récolte, les fanes continuent de croître, permettant à la plante de faire ses réserves pour l'année suivante. En octobre-novembre, on récolte les baies rouges, afin de récupérer les graines. Puis les rangées (ou buttes) sont démolies, et les fanes, montées en arbustes jaunis, arrachées.   

Originaire d'Asie mineure, appréciée dès le 4e siècle avant notre ère par Hippocrate en tant que plante médicinale, puis des Grecs antiques comme aphrodisiaque, et des Romains pour accompagner le poisson, l'asperge a attendu la fin du 19e siècle pour séduire Hoerdt.  

Mais leur histoire commune est faite pour durer. Et ce musée, créé par la commune pour un budget global de 3 millions d'euros, dont deux tiers de subventions, en apporte les preuves. 

Pourtant, sur fond de crise sanitaire, ses deux premières années ont été un peu chaotiques. "On a ouvert le 8 février 2020, et refermé le 8 mars. On a pu rouvrir, refermer en octobre 2020, rouvrir en mai 2021" se souvient la président des Amis du musée, Claudine Bilger.

"Le musée n'a pas encore connu de Fête de l'Asperge, et ces deux dernières années, durant la saison de récolte, il était fermé" déplore-t-elle. Mais cette année, enfin, "c'est la première fois qu'il y aura, en parallèle, la saison des asperges, la Fête et notre musée ouvert." 

Les visiteurs sont accueillis tous les dimanches de 14h à 17h, ainsi qu'en semaine, sur réservation. Une troisième salle propose des expositions temporaires. La prochaine sera dédiée à la vaisselle et aux plats à asperges. 

     

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