Alors que les élections européennes se rapprochent, l'enjeu du niveau de participation se fait de plus en plus pressant. Les acteurs de la "Fête de l'Europe", qui se tient jusqu'au 31 mai à Strasbourg, nous racontent comment ils s'y prennent pour intéresser le grand public, et les électeurs potentiels, à ces institutions si complexes.
"Vous entendez, les chants ?". À peine a-t-on commencé notre conversation téléphonique avec Perrette Ourisson qu'elle nous interrompt pour écouter ses élèves entonner en chœur la neuvième symphonie de Beethoven. La présidente de l'association strasbourgeoise Ballade est ravie. Ils sont une quinzaine, ce jour-là, ces enfants du quartier de Cronenbourg, à répéter pour leur concert du 9 mai. Ils doivent interpréter l'hymne européen à l'occasion de la kermesse de la Fête de l'Europe, événement organisé par la Ville et l'Eurométropole de Strasbourg tout au long du mois de mai.
"On leur a expliqué qui était Ludwig Van Beethoven, l'histoire de cet hymne, ce qu'il représentait, confie Perrette Ourisson. Nous avons des enseignants-musiciens originaires de plusieurs pays d'Europe, et par ce contact ils prennent conscience de tout ce qu'il y a de commun entre eux et d'autres pays européens." Un orchestre participatif, des cartes géantes, des quiz, des concerts...Une grande partie des associations qui contribuent à la Fête de l'Europe auront recours au ludique et à l'amusement pour tenter d'intéresser le grand public aux enjeux européens. Mais la tâche ne sera pas aisée. Selon un sondage Ipsos publié en mars, 44% des Français disent n'être pas ou moyennement intéressés par les élections européennes. Et seuls 24% des Français estiment être bien ou très bien informés sur le rôle et le fonctionnement de l'Union Européenne.
"Il ne faut pas se voiler la face, aujourd'hui le lien entre les citoyens et les institutions est compliqué de manière générale, pas seulement vis-à-vis de l'Europe, concède Carole Zielenski, adjointe au maire notamment en charge de la citoyenneté européenne. Or il se trouve que les institutions européennes sont des sortes de superstructures englobantes : il peut y avoir ce sentiment d'en être très éloignés au quotidien. Notre pari c'est d'utiliser la dimension festive et ainsi d'aller vers de nouveaux publics, pas forcément portés à s'y intéresser." Le défi majeur sera en effet d'aller au-delà du public acquis, puisqu'il s'agit tout de même de la 10e édition de cet événement strasbourgeois.
Parler de l'Europe dans les quartiers
La perspective des élections européennes a cependant incité les organisateurs à mettre les bouchées doubles cette année. "C'est la première fois en dix éditions qu'on aura une kermesse, une sorte de village européen où plusieurs partenaires seront rassemblés le même jour au même endroit, explique Carole Zielenski. Le but reste de brasser large : on varie les formats, les ateliers, et on essaye d'aller dans de nouveaux lieux."
Si cette kermesse du 9 mai aura lieu place du Château, d'autres événements se tiendront dans des quartiers prioritaires ou dans d'autres communes de l'Eurométropole de Strasbourg, toujours avec l'idée de rendre l'Europe "attrayante et concrète" auprès de populations a priori éloignées. Le média Les Défricheurs prépare par exemple une série d'activités à Ostwald ou dans les quartiers de l'Esplanade et du Neuhof. "Les ateliers culinaires autour de recettes européennes, c'est l'occasion d'apprendre des choses sur les pays voisins et prendre conscience qu'on a des choses en commun : avant d'être sensible à la politique, il faut apprendre à se connaître, estime la présidente Araceli Valdez. Il y aura aussi des mots croisés, des quiz, pour les enfants Tintin dans plusieurs langues européennes, des ateliers maquillage..."
Rendre l'Europe concrète
Mais prendre conscience qu'il existe une culture européenne est une chose, s'intéresser au Parlement européen ou au Conseil de l'Europe en est une autre. Comment transformer la curiosité en engagement ? Tous nos interlocuteurs ont usé du même mot d'ordre : rendre l'Europe concrète. "On a invité plusieurs acteurs des quartiers dont les projets sont financés par l'Europe, à venir l'expliquer devant les habitants, indique Araceli Valdez. Comme ça tout le monde verra que si telle association permet aux jeunes de voyager à l'étranger pour élargir leur horizon professionnel, par exemple, c'est entièrement grâce à l'argent de l'UE. Il faut qu'ils voient que leur vote aura un impact sur leur quotidien."
Le processus est le même pour intéresser les jeunes (31% seulement des 18-24 ans ont prévu d'aller voter le 9 juin, selon le dernier sondage Ipsos) selon Alexandre Godonaise, président des Jeunes Européens : "L'entrée ludique permet de passer ensuite à une discussion plus charpentée autour du fonctionnement des institutions et de l'importance de voter. À ce stade, l'essentiel est de parler de l'impact concret de l'Europe dans le quotidien des gens. On peut par exemple parler de la directive des chargeurs universels (à partir du 28 décembre 2024, un même chargeur devra pouvoir recharger l’ensemble des appareils électroniques de petite et moyenne taille sur le marché, NDLR) de la qualité de l'eau en bouteille ou des mesures sur l'environnement. Les gens sont surpris, car l'Europe pour eux c'est seulement les 3% de déficit public ou les politiques d'immigration."
L'avantage à Strasbourg c'est qu'il y a la possibilité de faire visiter le Parlement Européen : c'est le meilleur moyen d'intéresser
Alexandre Godonaise, président des Jeunes Européens
Parmi les jeunes, il y a la génération des primo-votants qui constitue, comme à chaque échéance électorale, un public privilégié pour ces acteurs qui souhaitent inciter au vote. Il y aura même une remise officielle des cartes électorales à l'Hôtel de ville de Strasbourg. "Ce sont 300 jeunes primo-votants qui recevront leur carte, et je trouve que cet aspect protocolaire est très incitatif, commente Alexandre Godonaise. Il faut dire qu'à Strasbourg, l'avantage c'est qu'il y a la possibilité de faire visiter le Parlement Européen."
Cette année, 3200 lycéens de Strasbourg ont parcouru les travées monumentales du Parlement. "On a également organisé un jeu intitulé "Qui veut gagner l'hémicycle" avec 11 lycées, et dont la finale se tiendra le 14 mai, explique Eric Braun, directeur du Centre d'information sur les institutions européennes (CIIE). Il s'agit l'organisme de sensibilisation à l'Europe par excellence. "On a eu des retours très positifs des enseignants sur ce genre d'expériences, qui ont tendance à marquer les jeunes, poursuit-il. Il faut comprendre que les moins de 30 ans, de manière générale, ont toujours connu l'Europe telle qu'elle est : sans frontière, sans guerre. Il y a aussi tout le contexte des fake news qui circulent sur les réseaux sociaux, notamment à propos de l'Europe. Tout cela fait que la sensibilisation est un travail de longue haleine."
Les jeunes, et les moins jeunes, répondront-ils présent sur ce mois dédié à l'Europe à Strasbourg ? Surtout, cela se traduira-t-il par une mobilisation accrue aux élections de juin ? "Il serait bien présomptueux de croire que notre petite fête, à Strasbourg, puisse avoir un impact sur l'abstention aux élections, écarte avec un sourire Carole Zielenski. Mais on veut croire qu'on aura une influence, à notre échelle et sur le long terme, oui." La fête de l'Europe, qui a officiellement démarré le 3 mai, se poursuivra jusqu'au 31 mai.