Frédéric Colin, directeur de l'Institut d'égyptologie de l'Université de Strasbourg, rentre à peine d'Égypte. Tout juste remis de ses émotions. Le 16 décembre dernier, alors que l'équipe dont il fait partie est sur le point de partir, il découvre un sarcophage du Moyen Empire à Louxor (Égypte). Une pièce de puzzle de plus pour reconstituer l'histoire.
Nous retrouvons Frédéric Colin dans son laboratoire à Strasbourg. Le voilà rentré de Louxor depuis quelques jours et sa tête est visiblement encore là-bas. Son esprit tourné vers cette découverte, presque inopinée, qu'il n'a pas eu le temps d'étudier. Un sarcophage encore intact, quelques planches, qui contiennent un squelette et peut-être d'autres choses encore.
Mauvais timing
L'équipe de Frédéric Colin, constituée de plusieurs étudiantes dont deux doctorantes et une bénévole de l'Unistra, a travaillé plusieurs mois à Louxor. En partenariat avec l'IFAO, l'institut français d'archéologie orientale.
Des fouilles qui devaient prolonger celles menées en 2018 et 2019 et qui avaient déjà mis à jour cinq sarcophages du Nouvel Empire (du 14e siècle au 9e siècle avant J.-C.), réinhumés, c'est-à-dire déplacés de leur endroit initial. Cette troisième campagne s'annonçait moins fructueuse. Jusqu'au tout dernier jour. Alors que l'équipe range les affaires et nettoie le site, ils tombent, presque par hasard, sur un sarcophage.
"J'étais en train de préparer notre relevé final de contexte, documenter le contexte dans lequel nous trouvons les objets. Le dernier endroit n'était pas très intéressant, mais il fallait faire un relevé pour l'année prochaine. Le fouilleur a donc délicatement nettoyé à la brosse le sol pour un relevé 3D. En nettoyant, il a vu un petit morceau de bois apparaître : un centimètre et puis deux et puis 15. Nous avons alors compris que c'était un sarcophage."
J'ai ressenti un énorme stress, du désespoir même, en me disant pourquoi est-ce qu'on trouve ça à une heure de la fin du chantier ?
Frédéric Colin, archéologue
La découverte est importante, mais disons, dans un premier temps, malvenue. Niveau timing. "J'ai ressenti un énorme stress, du désespoir même, en me disant pourquoi est-ce qu'on trouve ça à une heure de la fin du chantier ? Mon travail, ce n'est pas de trouver des objets ou des contextes, ce n'est pas de prendre du plaisir sur la fouille, ce n'est pas non plus de découvrir ce que nous ont laissé les Égyptiens anciens, c'est de documenter tout cela est de construire patiemment un puzzle qui nous permet de raconter l'histoire."
En une heure, impossible de documenter quoi que ce soit. Ce sera pour la prochaine campagne, en octobre 2025. En attendant, que faire de cette découverte ? Ses collègues égyptiens du ministère des antiquités sont alors d'un soutien précieux. Ils autorisent l'équipe d'archéologues d'Unistra, à stocker le sarcophage en le protégeant dans une boîte, construite sur mesure, sur le site. "J'étais beaucoup plus décontracté du coup, je savais que nous aurions tout le temps qu'il faudrait l'an prochain pour faire la fouille stratigraphique du contenu du cercueil."
Cercueil du Moyen Empire
Le sarcophage renfermera donc pendant quelques longs mois encore ses secrets. Il n'a pas été ouvert pour mieux le préserver. Les premières observations ont tout de même permis d'en savoir un peu plus. Le cercueil, comme ceux découverts en 2018 et 2019, a probablement été déplacé lors d'un chantier ancien réalisé pour un pharaon, et son origine remonte au Moyen Empire (il y a 4000 ans environ).
"C'est un cercueil qui est composé de planches assemblées dans un circuit que nous avons trouvé en position secondaire, c'est-à-dire que les Égyptiens anciens eux-mêmes l'avaient déjà déplacé d'un premier contexte qui était son lieu de repos. Avec une lampe de poche, nous avons pu observer entre les rainures des planches : il y a un individu dont on voit très bien la dentition. L'étude va montrer s'il a été momifié à l'origine. Mais en tout cas, s'il a été modifié, ça n'a pas tenu très longtemps. Là, on sera davantage sur une fouille d'anthropologues, une fouille d'identification du sexe du défunt, de son âge ... Je sais donc que l'an prochain, nous aurons besoin d'une équipe ad hoc."
Son contenu sera ainsi étudié en 2025 "en collaboration avec des archéo-anthropologues (archéologues spécialistes de la fouille des corps humains), en modélisant en 3D toutes les étapes de la recherche, comme l'équipe le fait systématiquement depuis 2018".
Puzzle
Un travail de longue haleine. Mais au regard de l'histoire, avec un grand H, que valent quelques mois d'attente ?
Le travail archéologique de l'équipe d'Unistra se fait pièce par pièce, strate après strate, mois après mois. Un ensemble de couches stratifiées accumulées pendant plus de 3.000 ans (une stratigraphie) de plus de huit mètres a ainsi été fouillé "durant trois campagnes de fouilles", soit au total plus de six mois de terrain.
As physical and mental preparation for her thesis defense, she participated in the excavation at the site until just four days before the defense. It was brave! 😅 https://t.co/8fy9dmmHpC pic.twitter.com/wdj4YFDV1D
— Frédéric Colin Strasbourg (@ColinStrasbourg) December 23, 2024
Ce cercueil n'est donc qu'un élément du puzzle, pour une étude plus large de l'époque. "Depuis 2018, nous construisons patiemment un puzzle dont nous n'avons que quelques pièces. Les trouvailles de 2018 et 2019 nous ont donné beaucoup d'informations sur une zone du puzzle. Cette nouvelle découverte se trouve à un endroit plus éloigné. L'an prochain, nous fouillerons la totalité de la couche, des mètres cubes de terre où nous trouverons d'autres indices. Peut-être d'autres sarcophages, peut-être toute autre chose, probablement des objets, des indices sur l'environnement de ce sarcophage."
Cette découverte peut constituer un éclairage à une question anthropologique importante
Frédéric Colin, archéologue
Il pourrait apporter un "éclairage" à "une question anthropologique importante" qui est de savoir "comment les Égyptiens anciens se comportaient vis-à-vis du corps momifié et des sépultures de leurs ancêtres lorsqu'ils découvraient des cercueils anciens et qu'ils devaient les exproprier de leur lieu de dernier repos à l'occasion de grands travaux publics." C'est d'ailleurs pour "mieux comprendre la nature et la portée de la découverte de 2018 et 2019, en cherchant si les cinq sarcophages constituaient une tombe isolée ou une partie d'un ensemble plus vaste et plus systématique de réinhumations", que cette nouvelle mission avait eu lieu.