Frédéric Colin, égyptologue strasbourgeois : "On est dans un état de passion absolue, de souffrance et d'obsession"

Depuis 2018, l'équipe du Pr. Frédéric Colin, directeur de l'Institut d'Egyptologie de Strasbourg, travaille sur un gisement funéraire intact datant de 1.500 av. J-C dans la région de Louxor. De retour de sa deuxième campagne de fouilles, il raconte cette lourde et obsessionnelle responsabilité.

Tout a commencé par une stèle, datée de la 18ème dynastie égyptienne découverte dans la région de Louxor dans la vallée de l'Assassif. Non loin de là, deux sarcophages ouverts le 24 novembre 2018 en présence du ministère égyptien des Antiquités et sous les flashs des photographes. Cette découverte a été réalisée par l'équipe du Professeur Frédéric Colin, directeur de l'Institut d'égyptologie de Strasbourg. Au retour d'une deuxième campagne de fouilles, il mesure la chance et la responsabilité d'être confronté à un site de cet ampleur encore inexploré.

Qu'avez-vous appris lors de cette deuxième campagne de fouilles?


"Elle a d’abord permis de confirmer les interprétations précédentes. Nous avions élaboré un certain nombre d’hypothèses lors de la fouille de 2018 et ces hypothèses étaient parfois construites sur des têtes d’épingles, autrement dit sur pas grand-chose. Les deux mois et demi de fouilles ont permis de démontrer de manière pratiquement absolue un certain nombre de constructions intellectuelles que nous avions faites au départ d’un petit sondage. Cette confirmation a été accompagnée de découvertes de la suite de l’assemblage qu’on avait commencé à découvrir."

"Cette année, j’espérais bien trouver un sarcophage intact parce que l’an dernier, en trouvant les deux sarcophages, les stratégies et les projections que nous avons développées nous permettent de penser qu’il y a sans doute beaucoup d’autres sarcophages peut-être des dizaines, encore protégés par des monceaux de débris. Donc, je ne vais pas dire que j’étais surpris, mais plutôt ravi que les stratégies mises en place aient abouti à trouver ce que l’on cherchait."

"Ce qui est intéressant et qui assez nouveau c’est que ces travaux nous ont permis de comprendre qu’il y a tout un cimetière qui a été intégralement déplacé d’un premier emplacement vers l’endroit où on l’a trouvé et que toutes ces inhumations ont été ré-enterrées dans ce gisement sous le passage d’une chaussée processionnelle sur laquelle, plusieurs fois par an, les élites de la région de cette capitale de l’Egypte ancienne organisaient des processions religieuses. On les a sans doute planqués sous la chaussée pour qu’ils puissent bénéficier des grands rituels collectifs qui étaient organisés au profit de tous les défunts de la nécropole."
   

Qu'est-ce qu'il y a d'unique dans ce site?


"Ce qu’on est en train de découvrir depuis 2018 et qui va encore nous demander beaucoup de travail, c’est tout un gisement archéologique qui conserve des inhumations du tout début de la 18ème dynastie. Ce gisement est de plus de 3.500 ans d’âge. C'est un ensemble funéraire intact, inviolé tel qu’on en trouvait beaucoup au début du XXe siècle mais qu'on trouve extrêmement rarement aujourd'hui."

"Nos prédécesseurs ne disposaient pas des méthodes, des outils, des questions, des concepts, bref, de tout l’apparat scientifique dont nous disposons et avec lequel nous allons pouvoir travailler sur ces gisements intacts. Ils ont détruit des quantités astronomiques d’informations, parce qu’à l’époque on ne fouillait pas les sites archéologiques pour comprendre des associations d’objets et de structures. On fouillait pour faire des collections d’objets qu’on exportait dans le monde entier. Le but de l’archéologie de l’époque était de ranger des objets sur des étagères. Ces gisements n’existent plus puisqu’ils ont été perturbés par les fouilleurs. Ils nous sont inaccessibles pour toujours."

"Et là, ce qui est extraordinaire, sur un gisement comparable à ce qu’ils ont connu, nous allons pouvoir l’étudier scientifiquement. Le fait qu’on ait pu trouver un, deux, trois ou quinze sarcophages est relativement anecdotique finalement. Ils se trouvent qu’ils sont splendides, parfaitement conservés et extrêmement riches en données. On va pouvoir reconstituer les gestes qu’ont fait les fossoyeurs qui les ont mis là."
 

Dans quel état êtes-vous face à ces fouilles inédites?


"Je n’ai qu’un nombre d’heures et de jours pour effectuer ma mission. Quand on est dans des conditions de terrain, on a une très grande responsabilité parce que quand lorsqu'on commence un sondage, on expose à l’air un gisement. Vous devez impérativement finir votre travail sous peine de mettre en danger le patrimoine égyptien. On est dans une situation d’urgence comparable à celle d’un chirurgien en train d’opérer un patient."

"Face à cette énorme responsabilité, qui fait intervenir une dizaine de chercheurs et plus d'une trentaine d’ouvriers, on est tenu d’avoir un rythme de travail absolument obsessionnel. On se retrouve pendant deux mois et demi de 6h du matin à 21h, on n’a qu’un seul objectif : produire des données scientifiques et les sauver."

"Il n’y aucune place pour le plaisir, l’émotion et la rêverie. On est dans un état de passion absolue, de souffrance et d’obsession pour arriver au bout d’un véritable marathon afin de pouvoir revenir dans son université sans avoir honte de ce qu’on a fait. Ça n'a rien à voir avec ce que le grand public appelle « passion ». C’est plutôt un état déraisonnable."

Prochaine mission en octobre 2020 avec, peut-être un voyage à prévoir en avril. L’ampleur de ce que les chercheurs ont trouvé fait qu’ils commencent à devoir envisager de faire deux missions par an : une mission de terrain pour la fouille et une mission post-fouilles pour étudier ce qu’ils n’ont pas eu le temps d’étudier et qui, en attendant, se trouve rangé dans des magasins sécurisés.
 
 
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